Le CIO a su résister aux jeux des lobbyings tant politiques que de certains grands sponsors qui font pression pour que les villes olympiques choisies conviennent à leurs stratégies de développement. Les membres du Comité international olympique (CIO) ont largement élu, vendredi dernier à Copenhague, Rio de Janeiro ville hôte des Jeux olympiques d'été 2016. Par sa décision, le CIO a offert au Brésil les premiers JO sud-américains de l'histoire. Rio a été préféré à Madrid lors du troisième tour de scrutin par le score éloquent de 66 voix contre 32 à la capitale espagnole. «Ils sont venus, ils sont tous là»... Le roi d'Espagne, Juan Carlos, son épouse Sofia et son Premier ministre, José Luis Zapatero pour Madrid; le président des USA, Barack Obama et son épouse Michelle pour Chicago, le président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva pour Rio; le nouveau Premier ministre japonais, Yukio Hatoyama pour Tokyo et tant d'autres. Quatre villes provenant de trois continents et quatre enjeux distincts pour le mouvement olympique, suivant le vainqueur. L'on retiendra que c'est la première fois dans l'histoire du mouvement olympique que le président des Etats-Unis d'Amérique, l'homme politique le plus emblématique de ce début du XXIe siècle, se présente devant le CIO pour promouvoir «sa» ville. La victoire à l'arraché des Londoniens, à Singapour, avait été favorisée, dit-on, par les promesses d'aide à la construction d'infrastructures sportives faites par Tony Blair aux pays africains... A Copenhague, ces leaders politiques se sont retrouvés auprès des106 membres du CIO dont 98 votants, pour quels résultats? L'échec de Chicago, au premier tour du scrutin, est l'expression d'une forme de banalisation de l'hyperpuissance. Il confirme la justesse de l'analyse du président Obama et renforce son idée de reconstruction de l'image des USA. Cet échec porte à coup sûr un gout d'antiaméricanisme, nourri par le souvenir des problèmes rencontrés lors des Jeux de Los Angeles en 1984 et d'Atlanta en 1996, du scandale de corruption autour de Salt Lake City en 2002 et l'arrogance du gouvernement de George W. Bush. Le rejet de Chicago au premier tour apparaît comme l'échec politique des USA et non d'Obama directement. Le charisme du locataire noir de la Maison-Blanche, ajouté au lobbying mené discrètement par sa femme, n'ont pu à l'évidence changer le cours du scrutin ni confirmer le renversement de tendance, au bénéfice de Chicago, annoncé par nombre d'observateurs. De façon plus générale, il en a été de même pour la prédilection du président du CIO, Jacques Rogge, qui, dans une interview accordée, mardi passé, au quotidien espagnol El Mundo, affirmait: «La présence de chefs d'Etat pour défendre les villes candidates peut s'avérer décisive en cas de vote serré... On l'a vu, il y a quatre ans à Singapour, entre Londres et Paris.» Au premier tour, les votants ont créé la surprise en éliminant la cofavorite Chicago, puis Tokyo au second tour. Pouvait-il en être autrement pour l'Asie huit ans après Pékin? Que dire, également, de Madrid qui avait tous les atouts et dont les quatre années après Londres en 2012 sont apparues comme le principal handicap? Cet échec marque aussi la fin de l'aura de l'ancien président Samaranch qui a confié à la presse espagnole: «Avec mes mots, qui sont rares mais importants, je vais essayer d'aider Madrid.» Le duel attendu n'a pas eu lieu Pour Rio, c'est le président Luiz Ignacio Lula da Silva qui a soutenu la candidature devant les membres du CIO, en insistant sur l'argument fort du dossier: «Le droit de l'Amérique du Sud à organiser ses premiers Jeux olympiques.» «Rio est prêt. Donnez-nous cette chance», avait-il ajouté en évoquant la «nouvelle frontière» que ces Jeux historiques représenteraient pour le mouvement olympique. Pour le président Lula: «L'heure du Brésil a sonné. Le Brésil fait partie des dix plus grandes économies du monde et est le seul parmi ces dix pays à n'avoir jamais organisé les JO. Pour les autres villes candidates, ce serait une édition de plus. Pour nous, ce serait l'occasion de construire un nouveau Brésil.» Les représentants de Rio souligneront que l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Asie avaient un quasi-monopole sur les JO depuis 1896. Carloz Nzman, président du comité d'organisation de Rio, a dévoilé un graphique qui montrait que l'Europe a organisé les JO d'été ou d'hiver 30 fois, l'Amérique du Nord 12 fois, dont huit aux Etats-Unis, l'Asie cinq fois et l'Australie à deux reprises. Henrique Meirelles, président de la Banque centrale du Brésil, a expliqué aux membres du CIO que son pays était la dixième puissance économique du monde et, selon la Banque mondiale, sera passée à la cinquième place en 2016. Pour d'autres, ce sera d'abord l'image planétaire d'une grande fiesta sportive au bord de l'océan, sous les yeux des habitants des favelas qui vont surplomber la fête olympique. Des favelas où croupissent des millions d'êtres humains soumis à une implacable loi des gangs. Pour la construction ou la rénovation des 12 stades retenus pour la Coupe du monde de football en 2014, le Brésil va débourser 29,7 milliards de dollars. Une somme faramineuse à laquelle vont s'ajouter 14,4 milliards de dollars pour financer les JO de 2016. Ce sera, au total, plus de 44 milliards de dollars... si par bonheur les estimations ne sont pas dépassées. Euphorique, le président Lula dira: «J'ai soixante-trois ans et jamais je n'ai vécu un moment où le Brésil était dans une telle santé économique, où les Brésiliens avaient autant confiance en eux. Nous allons changer les bidonvilles en banlieues, changer nos mentalités, donner une chance à la jeunesse et les JO seront un accélérateur.» Pour Jacques Rogge, le président du CIO: «Rio a présenté un dossier très solide, basé sur une vision des Jeux qui célèbre les athlètes et le sport et qui, plus largement, donne l'opportunité à la ville, à la région et au pays, de mettre en application ses ambitions pour le futur.» Pour avoir favorisé la rotation des continents, le CIO a su résister aux jeux des lobbyings tant politiques que de certains grands sponsors qui font pression pour que les villes olympiques choisies conviennent à leurs stratégies de développement. Les Jeux olympiques sont en train de précéder l'évolution du monde. Les choix ne sont plus simplement ceux des Etats, à cause de l'intrusion très forte d'une gamme de nouveaux acteurs. Pour les besoins de sa légende originelle et le souvenir du message de Pierre de Coubertin, le CIO avait choisi Athènes en 2004. Par le choix de Rio, le CIO cherche à renouer avec sa vieille tradition diplomatique et humaniste qui a été complètement effacée après l'arrivée de Samaranch en 1980. Au-delà de toute analyse, ce qu'il faut retenir, également, c'est la communion profonde que nous avons ressenti avec la délégation brésilienne, avec tous nos amis de Rio et du Brésil à l'annonce des résultats. Lula embrassant les siens qui sans protocole le serraient dans leurs bras, Lula ému et en pleurs, c'est le retour à l'humanisme sportif, c'est la consécration de la dimension humaine et citoyenne, du militantisme, c'est la réapparition du syndicaliste qui porte un amour fou pour son peuple: Rassek marfoue ya Lula! Bon courage et bonne chance!