A Bordj El-Kiffan, on vit la destruction de ces commerces avec satisfaction. «Cela est un signe de la déliquescence de l'Etat.» La phrase est celle d'un médecin habitant Bordj El-Kiffan, venu, comme d'autres, goûter à l'ambiance électrique des lieux. La dangereuse dérive, qui a marqué cette commune balnéaire aux portes de la capitale, a ravivé des consciences qui jusque-là ne faisaient que subir. Deux jeunes personnes se sont livrées à un combat à couteaux tirés au Fort turc, à quelques mètres d'un quartier d'habitations. «On ne peut plus sortir avec nos parents, tant l'endroit est indécent», lancent les jeunes amassés aux portes de la place. «Ce genre de violences n'est pas une première, il ne se passe pas une semaine sans qu'un homicide soit commis à cet endroit»; la ville de Bordj El-Kiffan connaît constamment des incidents sanglants de ce type. La présence massive de jeunes filles «d'un certain genre», qui débordent du parc pour entrer dans les champs de vision des riverains, tout en «affichant» leurs moeurs, finit de rendre «l'air insoutenable». «L'Assemblée communale ne vaut rien devant ces dinosaures», crie presque, toute agitée, noyée dans la foule, la vice-présidente de l'APC de Bordj El-Kiffan. «Elle est venue faire son show», chuchote, le sourire amusé, un vieux, brun et chétif, qui n'a, lui, rien contre un verre. A Bordj El-Kiffan, on vit la destruction de ces commerces avec satisfaction. Ailleurs comme à Zéralda où s'est produit, avant-hier, une altercation entre des habitants et des prostituées, la portée de l'événement est tout autre. Elle rappelle ce mouvement de folie qui a conduit des adolescents de Hassi Messaoud, à charger ce qu'on appelle pudiquement «des célibataires», l'année dernière. Les exécuteurs de cette descente mémorable ont échappé au jugement d'une «justice» qui ne trouve plus d'emprise. A Bordj El-Kiffan, les autorités civiles et policières ont été interpellées significativement à plusieurs reprises et ont toutes détourné le regard. Les habitants ont eu droit à des intimidations quand il s'agissait de penser à déloger ces commerçants qui leur mènent la vie dure. L'endroit, où sont implantés aujourd'hui les cabarets du Fort turc, devait, à l'origine, être un lieu de plaisance. Les tenanciers actuels sont arrivés à convaincre les tenants de «l'ordre public» d'un changement de vocation. Les autochtones n'arrivent plus à supporter une clochardisation de leur espace vital. De même à Zéralda. Dans cette commune, la violence «légitime» des riverains a visé des victimes d'un autre engrenage (lire l'article ci-dessus), que la morale sociale marginalise, ce qui complique davantage leur situation. Les relais constitutionnels ne régulent plus, depuis longtemps, la vie des populations. Les plus indulgents imputeront cet état de fait à un manque d'imagination; pour d'autres, modérés, estimeront que cette violence, qui se substitue de plus en plus aux relais établis pour le maintien de la cohésion morale, est une preuve d'impuissance. Une troisième frange conclura à une structure étatique gangrenée par la compromission qui n'hésite pas à capitaliser le désarroi et la grogne pour induire des changements. Sans toutefois régler quoi que ce soit.