Le secret de notre bonheur est entre nos mains: que l'Algérien se réconcilie avec lui-même, que chacun oeuvre pour le bonheur de l'autre. Je sais que, pour employer le langage du potache que je fus autrefois, ma voix compte pour du beurre. Mais, comme j'ai pratiqué le football au Widad Athlétique de Boufarik, quand j'avais l'âge de jouer dans l'équipe des juniors, comme tous les Algériens, je me sens mal des événements qui nous ont coûté des sueurs froides et des blessures douloureuses, pendant les deux derniers matchs de football, entre les équipes nationales d'Egypte et d'Algérie. J'ai entendu dire nos jeunes: «On a accueilli les Egyptiens avec des roses à Blida, ils nous ont accueillis avec des cailloux trempés dans la haine. Ils ont brûlé notre drapeau!» J'ai vu toutes les télévisions étrangères, c'est-à-dire celles de l'Occident, j'y ai vu des visages stupéfaits, des regards incrédules devant le spectacle affreux de son et lumière dénaturé, donné non loin des Pyramides ébranlées par les Pharaons dénaturés de ce temps pourri; et le Sphinx de Gizeh, aux sombres prunelles, soudain étincelantes de colère, contemplant du haut de ses vingt mètres son peuple devenu fou. Et j'ai vu certaines télévisions dites «arabes» poursuivre leurs programmes avec un calme qui, oubliant la douceur de la solidarité et ce que peu auparavant était la fraternité louangeuse, ressemble presque à un contentement de ce qui arrive «au peuple frère» d'Algérie. Aujourd'hui, on parle même de miasmes de guerre, et l'on confirme par les faits que la guerre est trahison; on affiche sa philosophie, soulignant la désillusion du vivre ensemble; on se dresse sur ses ergots de guerrier éconduit jadis, oublieux de sa dignité: «À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire!» Chaque jour que Dieu fait, on entend battre le tambour: les invectives s'ajoutent aux invectives, les bravades s'accumulent en tas d'immondices partout, les insultes - comme battre monnaie courante nouvelle - se façonnent à la forge du diable et s'échangent à la plus-value des insanités...Mon Dieu que la laideur des mauvais esprits qui souillent le bleu du Nil ne déteigne pas, à force de frottements, en infirmité sur nos jeunes! Oui, j'en ai peur - nos jeunes sont si fiers d'être algériens, si épris de liberté, si dignes devant l'adversité. Ils ont abandonné leurs tristes murs de chômeurs et leurs infamantes tables de bisness...Nous les avons admirés quand ils se sont organisés pour chanter l'Algérie, ah! qu'ils étaient beaux! Nous les avons soutenus quand ils se sont livrés à la bataille pour l'honneur, nous les avons trouvés prêts pour embellir nos coeurs et nous redonner confiance. Oui, à nous, les anciens, ils nous ont fait revivre notre jeunesse. Cette richesse humaine est déjà le peuple d'aujourd'hui, bientôt le peuple responsable de demain. Il faut tirer profit de cette expérience qui fait dire: à toute chose malheur est bon. Rien n'est perdu. Nous avons gagné le droit d'aller en Afrique du Sud, et sans doute notre belle et jeune Equipe nationale fera flotter notre honneur dans ce pays qui nous est aussi cher que le nôtre. Il faut que nos jeunes retrouvent confiance, une confiance nouvelle, celle de vivre ici, chez eux. Le vrai problème auquel il faut trouver d'urgence une solution, à vrai dire des solutions, est d'éduquer et instruire, de former et d'employer, de respecter toutes les intelligences jusque-là oubliées et souvent ignorées. La route est longue, mais notre chance est qu'elle existe, nos chouhada, nous l'ont ouverte toute grande. L'Algérie est un immense chantier; on n'aura pas assez de cerveaux et de bras pour construire notre Maison. Nos jeunes n'ont pas d'autre demeure que celle qui devrait être aujourd'hui la leur, la leur définitivement...Le secret de notre bonheur est entre nos mains: que l'Algérien se réconcilie avec lui-même, que l'Algérien puisse croire en l'Algérien, que l'intellectuel encourage l'intellectuel, que la justice règne dans tous les domaines de notre vie sociale, que chacun oeuvre pour le bonheur de l'autre. Il me vient le souvenir d'avoir déjà écrit quelque chose de semblable dans Révolution africaine des «Réflexions pour une grande rencontre avec nous-mêmes» (en 1970, n° 314-318) et «Education et Révolution» (en 1971, n° 364-366), - il y a 40 ans! N'y aurait-il pas de solutions à notre volonté d'être beaux et cultivés qu'il faudrait trouver des solutions aux solutions! Oui, c'est difficile. Mais notre peuple exige sa place dans le monde: alors ou nous avançons ou nous reculons. Le surplace, si par malheur nous le souhaitons déjà, c'est facile: laissons-nous battre sur tous les stades du monde. Mais oui, je sais que, moi citoyen, parmi les citoyens, ma voix compte pour du beurre...