Avec cette nouvelle statistique de cas probables, le taux de mortalité due à cette maladie devient insignifiant. Eminent professeur en épidémiologie, le Docteur Chakou qui a formé plusieurs génération de médecins, a à son actif 6 brevets au Centre de recherche de développement (CRD) approuvés par des institutions de renommée internationale. En présence du responsable de la communication du ministère de la Santé, M.Belkessam, le Dr Chakou a bien voulu nous entretenir sur le sujet de la grippe porcine. L'Expression: Le premier cas de grippe A/H1N1 est apparu en juin dernier. Six mois plus tard ce sont 445 cas qui ont été dénombrés à travers tout le pays. Quelle lecture faites-vous de ce chiffre? Pr Chakou: Il y a une vague d'épidémie que nous affrontons de plein fouet. Au terme de cette saison, une saison qui va durer tout l'hiver, l'épidémie devrait connaître sa décrue au mois d'avril. A ce moment-là, ce ne sont pas tous les Algériens qui seront touchés par le virus. Selon les prévisions de l'OMS, l'attaque par ce virus sauvage devrait toucher entre 20 et 40% de la population. En effet, selon l'hypothèse la plus défavorable, le taux devrait être de 40%. C'est-à-dire qu'au terme de la saison hivernale, saison de la transmission active du virus à la fin avril, nous devrions avoir à peine 40% des Algériens qui auront subi les conséquences du virus et seront donc protégés de ce virus sauvage. Or, 60% d'Algériens resteront encore vulnérables pour le prochain pic d'épidémie que nous connaîtrons inévitablement durant l'automne et hiver 2010-2011. Voilà pourquoi nous tenons tant à la vaccination. Et que nous prévoyons de la commencer rapidement. Aussi, il faut savoir que nous allons vacciner maintenant et jusqu'au mois d'avril. Le ministère prévoit de continuer à vacciner à chaque fois que le vaccin sera disponible, y compris au mois de juillet, août, septembre, octobre 2011. Tout cela dans le but de protéger davantage la santé des Algériens. Il faut savoir également, que selon les experts de l'Organisation mondiale de la santé, la vaccination contribue à la décrue de l'épidémie et protège les populations les plus vulnérables, notamment les femmes enceintes, les malades chroniques, les personnes âgées et les enfants, cela bien sûr, indépendamment du taux d'attaque. Le ministre oeuvre donc à réduire au maximum la morbidité, c'est-à-dire le nombre de personnes atteintes mais aussi de réduire le taux de mortalité par rapport à l'épidémie en cours. Quels sont les plans du ministère pour parer à cette épidémie? Le virus nous lâchera à moins qu'il ne mute. Restons dans l'hypothèse où le virus ne connaît pas de mutation, ou, en tout cas, pas de mutation significative. J'entends par mutation significative, une mutation qui rendrait le vaccin disponible inefficace, voire obsolète. Dans ce cas de figure, nous protégerons encore la population par l'extension des mesures de protection que nous sommes en train de mettre sur pied et de consolidation de ce qui a déjà été mis en oeuvre. Mais aussi par la vaccination. Si le virus reste tel qu'il est, nous lui réglerons son compte d'ici la saison prochaine en couplant trois mesures essentielles. La première relève d'une stratégie de prévention. C'est-à-dire l'hygiène collective élémentaire, ou plus précisément l'hygiène des mains. Le ministre a beaucoup insisté sur cela à chacune de ses interventions, parce que le virus se transmet par voies inter-humaines. On parle, on respire, on éternue, puis on se serre la main...la personne malade peut transmettre son infection par le biais de ces gestes anodins. Le lavage des mains est dans ces cas-là primordial et essentiel dans la prévention de la transmission du virus. Il faut également observer une certaine distance et ne s'en approcher à moins de 2 mètres. Ce sont des méthodes de base, mais Dieu sait à quel point elles sont efficaces. L'emploi de moyens de protection est tout aussi important. Nous avons des masques en quantité suffisante et ils seront distribués gratuitement dans les prochains jours pour optimiser au maximum les résultats de ces mesures. Il ne faut pas que ces mesures soient tournées en dérision, ou que les uns et les autres en aient marre, ou qu'ils minimisent son impact sur la santé de la population. La deuxième mesure qui peut enrayer l'épidémie est l'utilisation des antiviraux Avec le fameux «Oseltamivir». Là, je précise, nous sommes au stade de traitement qu'il soit curatif ou ambulatoire (préventif). L'objectif est d'abord de soigner de manière rapide et efficace les malades, notamment lorsque le médicament est pris tôt. Ce dernier permet par là même, de réduire la durée de la maladie, et donc de réduire la durée de la période de contagiosité ou de transmission. L'Oseltamivir traite de manière efficace la grippe A/H1N1. Aussi, administré au sujet en contact avec le malade, constitue une très bonne mesure pour prévenir la transmission et la propagation du virus. S'agissant de la quantité dont dispose l'Algérie, elle est de l'ordre de 7.5 millions de traitements. Ces derniers couvrent, et couvriront très bien les besoins du pays. La troisième mesure, quant à elle, est bien connue, c'est évidemment la vaccination. A ce propos, dans beaucoup de pays en Occident, la population en général et le personnel de santé en particulier ont accueilli le vaccin avec méfiance. Comment l'expliquez-vous? Il y a un problème de communication. Pratiquement, tous les citoyens disposent d'une télévision, cet outil de communication efficace. Malheureusement, les Algériens sont généralement branchés sur les chaînes françaises et les chaînes arabes qui ne sont pas le meilleur exemple en matière de communication. Prenons l'exemple des médias français qui se sont retrouvés ces dernières semaines, le réceptacle d'affrontements entre les différents laboratoires pharmaceutiques qui se livrent une guerre sans merci. Tout ce débat ésotérique sur le vaccin ne repose sur aucune notion scientifique. Ayant écouté les arguments des uns et des autres sur la dangerosité du vaccin, je peux dire qu'aucun n'a avancé quelque chose de convaincant. Je réaffirme, en tant que médecin, aucun argument ne m'a convaincu. L'existence de deux types de vaccins, à savoir avec ou sans adjuvants, suscite une autre polémique. Qu'en est-il en Algérie et quelle est la position du ministère de la Santé? Le ministère de la Santé a importé et continuera à importer des vaccins de GSK, un vaccin adjuvanté. Nous nous sommes positionnés par rapport à la constatation des experts de l'OMS. Nous pouvons affirmer et réaffirmer que le vaccin adjuvanté ne pose aucun problème de contre-indication en ce qui concerne les catégories vulnérables, notamment les femmes enceintes. Au contraire, il est recommandé chez ces dernières, quel que soit l'âge de la grossesse. Et c'est encore une fois, la guerre des laboratoires qui suscite cette polémique autour des vaccins adjuvantés. Le gouvernement français a commandé des vaccins de plusieurs laboratoires. Certains l'ont fourni avec des vaccins adjuvantés, alors que d'autres laboratoires lui ont livré des vaccins sans adjuvant. Ce dernier s'est trouvé avec ces deux vaccins sur les bras qu'il fallait utiliser. Dans ce contexte, chaque laboratoire est entré dans une guerre pour montrer que son vaccin était le meilleur en créant une polémique. De son côté, le gouvernement français précise sur son site Internet que personne n'est libre de choisir son vaccin. Par ailleurs, il faut savoir que la femme enceinte est celle qui présente le risque de mortalité le plus élevé. Il est de 7 à 10% supérieur à celui du dernier des personnes à risques, vous imaginez! C'est à nous de les convaincre que le vaccin adjuvanté ne représente aucun risque pour elle, et qu'il est au contraire le plus préconisé dans sa situation. Et c'est à nous de protéger notre peuple pour lui donner les informations nécessaires. Certains s'inquiètent de l'augmentation de décès par rapport aux cas recensés. 19 décès pour 445 cas. C'est beaucoup? C'est peu? Je dois d'abord vous rappeler que le ministère de la Santé s'est engagé à communiquer sur l'évolution de l'épidémie depuis l'apparition du premier cas en Algérie. Les symptômes de la grippe saisonnière comme la grippe A/H1N1 vont du plus simple au plus compliqué. Cela va des petites céphalées aux cas compliqués qui entraînent parfois la mort. Au regard de ces symptômes que tous les cas de grippe ne consultent pas, que ce soit dans le secteur public ou le secteur privé. Donc, ne consultent que les patients qui soupçonnent la grippe A, parce qu'ils sont revenus de l'étranger, ou parce qu'ils ont été en contact avec une personne venue de l'étranger ou encore avec une personne déjà atteinte par la grippe A. Ceux-là se rendent généralement à l'hôpital ou aux centres de référence pour faire des prélèvements. Mais ce qu'il faut comprendre et retenir, c'est que ces cas confirmés ne sont que la partie visible de l'iceberg. Les 445 cas déclarés et confirmés aujourd'hui ne sont rien à côté des milliers de personnes atteintes par cette grippe et qui n'ont pas été en consultation. Ces derniers ont procédé à l'automédication et sont guéris aujourd'hui. D'autres encore, se sont présentés dans les centres de santé où on leur prescrit des traitements curatifs avant même de savoir s'ils souffraient d'une grippe saisonnière ou d'une grippe de type A. Car aujourd'hui, on ne fait des prélèvements que pour les cas sévères de grippe, les autres sont directement soumis au traitement antiviral qui est prescrit pour les deux types de grippe. A la lumière de ces données, il y a donc des milliers de cas de grippe A qui se sont accumulés depuis l'apparition du premier cas au mois de juin dernier et qui ne sont pas recensés. Toutefois, pour connaître approximativement le nombre, l'OMS et le centre de surveillance et de contrôle des maladies d'Atlanta, ont mis au point un modèle mathématique qui permet, sur la base d'un taux d'attaque, de déterminer le nombre de personnes qui seraient contaminées par le virus durant la saison de transmission. En Algérie, ce modèle a donné un nombre de cas contaminés probables par le virus de l'ordre de 7 à 8 000. Ces derniers s'en sont sortis avec ou sans traitement avec l'Oseltamivir. Ce chiffre est infime par rapport au nombre de la population dans ce pays. C'est pour cela qu'il faut comparer les taux de mortalité due à cette maladie à ces chiffres-là et non, au 445 cas confirmés par le ministère.