Kamel Boudjadi vient de publier son premier roman après une dizaine d'années dans l'écriture journalistique, exercée à Tizi Ouzou. Dans cet entretien, il revient sur son livre et sur le choix de l'écriture romanesque comme moyen d'expression alternatif au journalisme. L'Expression: Comment est née l'idée d'écrire un roman sur les harraga? Kamel Boudjadi: D'abord, séparons l'idée d'écrire un roman et celle relative au sujet des harraga. Concernant le roman, j'ai déjà écrit mais les difficultés de l'édition ont fait qu'ils restent dans les tiroirs. Donc, celui-ci est le premier que j'édite mais, ce n'est pas le premier que j'ai écrit. Pour revenir à celui-ci, je dois vous dire qu'il n'est pas venu comme une idée mais, c'est plutôt le cheminement d'un travail. Je les ai beaucoup côtoyés, ces jeunes, pour réaliser des reportages, des articles voire des entretiens. J'ai par la suite compris que ces jeunes ne sont rien en différents de moi, de toi, des autres. Ils pensent comme nous. Ils ressentent les mêmes choses que nous. Leur avoir attribué un nom «Harraga» a, par contre, beaucoup contribué dans leur différenciation et leur isolement. Par la suite, des solutions maladroites sont arrivées pour terminer le travail de stigmatisation. Le phénomène, à mon sens, ne demande pas de solutions miracles. Ils n'ont pas besoin d'argent. Ils veulent juste la liberté d'être et de devenir ce qu'ils désirent être dans leur pays. La solution ne demande pas d'argent; il faut juste faire sauter les barrières qui se dressent devant leur désir de s'épanouir et de se réaliser. Dans votre roman, s'agit-il de faits avérés ou bien est-ce une trame entièrement imaginaire? Le travail romanesque est juste venu pour assembler des faits réels. Mon roman est un appel pour qu'on cesse de parler et de penser à leur place. Je ne crois pas aussi qu'il soit uniquement un problème politique ou économique. Ce phénomène factuel tire son origine de caractéristiques sociologiques plus profondes. Ne faut-il pas chercher du côté de l'histoire des mouvements migratoires de nos populations à travers l'histoire? Ne faut-il pas creuser du côté de la loi de l'exemple? Que voient ces jeunes chaque jour, si ce n'est des gens qui s'en vont et qui reviennent épanouis sur tous les plans? Tout ce qui est dans le roman est réel, dit, raconté et exprimé par les concernés. Que pouvez-vous dire au sujet des harraga dans un roman et que vous ne pouviez exprimer dans un article journalistique? Avec le temps, j'ai compris que les articles journalistiques n'expriment point le fond du problème. Bien au contraire, ils lui donnent une connotation politique et économique. Ça contribue à leur isolement. Nombre de jeunes sont retrouvés morts par-ci, nombre d'émigrants clandestins sont cueillis par les gardes-frontières par-là. Dans les articles, ces jeunes n'ont pas de nom mais plutôt des numéros. On les réduit à de simples chiffres. Il faut qu'on parvienne à avoir un autre regard sur la question. Le roman, par contre, peut les faire parler. Là, ils peuvent dire ce qu'ils ressentent. Ils peuvent aller au bout de leur rêve sans qu'aucune force ne vienne se dresser devant eux. Dans le roman, ils peuvent se défaire du discours moralisateur et hypocrite. Croyez-vous vraiment qu'ils ignorent le danger de partir avec une simple embarcation? Croyez-vous vraiment qu'ils ignorent que ceux qui leur servent des discours moralisateurs ont toujours les portes ouvertes dans tous les consulats? Quelle est, selon vous, la frontière entre l'écriture journalistique et l'écriture romanesque? Honnêtement, je ne peux pas vous le dire. Par contre, je sais que le roman peut abolir toutes ces frontières qui séparent le monde réel de l'imaginaire. Dans le cas précis du roman en question, je sais aussi que les jeunes n'ont pas comme noms, des numéros et des chiffres. Ils pensent, réfléchissent, mesurent le degré du danger qu'ils encourent, ont des sentiments et surtout, ils rêvent. Vous avez sans doute été influencé par de nombreux écrivains que vous avez lus et appréciés. Parlez-nous de vos romanciers préférés... Celui qui ne cesse de me donner envie de le lire, c'est incontestablement Mouloud Feraoun. Il met à nu et dévoile dans son oeuvre ce visage que l'on ne cesse de vouloir cacher. Dans ses romans, les êtres sont dépourvus de cette carapace d'hypocrisie qu'ils doivent porter tout le long de leur vie. Il déstabilise cette béatitude factice. Dans l'oeuvre de Feraoun, le chemin et la place du village rappellent à l'homme qu'il sera toujours lui-même. Son salut ne peut venir que de sa capacité à évoluer par lui-même sans chercher un autre soi-même, dans un autre univers qui n'est pas le sien. Comptez-vous poursuivre l'écriture romanesque ou est-ce juste un accident de parcours? Comme je vous l'avais déjà dit, j'ai des romans qui ne sont pas publiés. L'écriture, c'est une passion pour moi. Je suis aussi passionné par l'histoire des mouvements migratoires humains. J'aime bien voir de plus près ces frottements entre les différences des peuples. L'humanité aujourd'hui est faite par ces derniers. C'est une grande source d'inspiration que je compte à l'avenir exploiter.