En s'arrogeant la nomination des membres de la commission d'enquête électorale, le président afghan Hamid Karzaï a déjà suscité l'inquiétude dans la communauté internationale, échaudée par les fraudes massives qui avaient entaché sa réélection en août. Car ce changement crucial intervient à sept mois des législatives. Le chef de l'Etat a signé mardi une série d'amendements lui permettant de nommer les cinq membres de la Commission des plaintes électorales (ECC). Cette institution avait joué un rôle prépondérant dans l'invalidation pour fraudes d'un tiers des bulletins de vote - environ 500.000 - en faveur de M.Karzaï après le premier tour de la présidentielle le 20 août dernier. Le président avait finalement été réélu après l'abandon de son rival Abdullah Abdullah avant le second tour, mais sa légitimité, ainsi que la crédibilité de l'ONU dans l'organisation et la surveillance du scrutin, avaient été sérieusement entamées. Auparavant, trois des cinq membres de l'ECC étaient choisis par les Nations unies. «Avec des étrangers dans la commission, ce n'était pas une structure afghane. Pour afghaniser le processus, le président a modifié des articles de la loi», a plaidé un porte-parole de la présidence, Siamak Herawi. Les législatives, initialement prévues pour fin mai, ont été repoussées au 18 septembre, en raison de l'impossibilité logistique de les organiser à temps et de l'insurrection des taliban qui ne cesse de gagner du terrain. Londres a très vite réagi. «Il est vital que le gouvernement afghan tire les leçons» de la présidentielle, a déclaré un porte-parole du Foreign Office. «Nous continuerons à travailler avec l'ONU et le gouvernement afghan pour prendre toutes les mesures nécessaires à la mise en place d'institutions électorales afghanes indépendantes», a-t-il poursuivi. «Nous sommes préoccupés par les premières informations selon lesquelles le décret pourrait réduire l'indépendance de la Commission des plaintes électorales», a renchéri le chef de la diplomatie canadienne, Lawrence Cannon. Quant au rival de M.Karzaï à la présidentielle, Abdullah Abdullah, il a exhorté depuis Paris la communauté internationale et l'ONU «à faire pression pour mettre en place un processus plus transparent» avant les législatives. L'ancien numéro2 de l'ONU en Afghanistan, Peter Galbraith, a estimé pour sa part que les pays occidentaux devaient revenir sur leurs promesses de financer les prochaines élections jusqu'au retrait des amendements à la loi électorale signés par M.Karzaï. La communauté internationale «devrait insister pour qu'il y ait une commission électorale indépendante, pas une commission nommée par lui», a déclaré à la BBC M.Galbraith, qui avait démissionné fin 2009 pour protester contre, selon lui, la complaisance de l'ONU à l'égard des fraudes du scrutin présidentiel. «Le contribuable américain ou d'ailleurs ne devrait pas payer pour un simulacre d'élections», a-t-il ajouté. La présidentielle, financée par l'ONU, avait coûté 300 millions de dollars. Selon l'analyste politique Ahmad Sayedi, la prise de contrôle de facto par le chef de l'Etat afghan pose la question de la nature démocratique et indépendante de la Commission électorale indépendante (IEC) et de la Commission des plaintes électorales (ECC). La première, chargée de superviser le scrutin et de proclamer les résultats, est déjà nommée par le président et n'a d'indépendance que le nom, selon ses détracteurs. Désormais, même la seconde «ne sera plus indépendante», déplore M.Sayedi.