La junte au Myanmar, déjà éreintée par l'Occident pour avoir exclu Aung San Suu Kyi des prochaines élections, fait désormais aussi l'objet d'un rapport accablant d'un expert de l'ONU qui s'interroge sur de possibles crimes «contre l'humanité». Tomas Ojea Quintana, Rapporteur spécial des Nations unies au Myanmar, a rendu jeudi les conclusions de sa récente visite dans le pays, la troisième depuis qu'il occupe cette fonction. «Selon des informations concordantes, il existe une possibilité que certaines des violations des droits de l'homme puissent entrer dans les catégories de crimes contre l'humanité ou crimes de guerre» définis par la Cour pénale internationale (CPI), écrit-il. L'expert accuse l'Etat birman d'être l'instigateur et non le témoin passif de diverses violations dénoncées régulièrement par les organisations de défense des droits de l'Homme, viols, travail forcé, persécutions de minorités, traitement inhumain des détenus, enfants soldats. «Vu la nature flagrante et systématique des violations des droits de l'Homme au Myanmar sur plusieurs années, et l'absence de responsabilité, il semble qu'(elles) soient le résultat d'une politique de l'Etat qui implique les autorités à tous les échelons des pouvoirs exécutif, militaire et judiciaire». Le mois dernier, au cours d'un séjour de cinq jours au Myanmar, Tomas Quintana avait rencontré des détenus, des membres de l'opposition et des cadres de la junte, sans pouvoir s'entretenir ni avec Mme Suu Kyi, ni avec le généralissime Than Shwe, homme fort du régime. Son rapport accable une dictature avec laquelle les Etats-Unis puis l'Union européenne ont décidé l'an passé d'entamer un dialogue, sans pour autant renoncer aux sanctions économiques. Il intervient aussi alors que l'Occident s'insurge contre l'exclusion des élections législatives promises cette année, pour la première fois depuis 1990, de tous les prisonniers politiques au premier rang desquels la prix Nobel de la paix. Au-delà d'une simple dénonciation de faits, Tomas Quintana, dont le rapport a été rédigé avant la promulgation cette semaine des lois sur les élections, invite l'ONU à agir avec fermeté. Les institutions onusiennes «pourraient envisager la possibilité de créer une commission d'enquête avec un mandat spécial sur la question des crimes internationaux», écrit-il. «C'est la première fois, en quelque 20 ans d'engagement des Nations unies dans mon pays, qu'un responsable de l'ONU émet une recommandation crédible, significative et importante pour contribuer à changer la situation au Myanmar», s'est félicité Aung Din, de l'organisation US Campaign for Burma. Renaud Egreteau, chercheur sur le Myanmar à l'université de Hong Kong, regrette pour sa part un «pavé dans la mare» contre-productif, car susceptible de crisper encore plus la junte dans son isolement volontaire. Bien que non démocratiques et entièrement verrouillées, les élections restent, selon lui, une étape nécessaire pour une évolution du régime et entraîneront dès 2011 un renouvellement de la génération des généraux birmans. Le rapport de Tomas Quintana «ne va pas faciliter le processus de transition» au Myanmar, affirme-t-il. «Si l'on regarde l'assise du régime actuel, dans les dix ou vingt prochaines années, il sera encore là». «Même si on ne veut pas parler à cette génération de militaires, il faudra parler à la prochaine. Une rupture du dialogue ne fera pas avancer les choses»