La crise que traverse la chanson kabyle depuis l'assassinat de Matoub Lounès, en 1998, n'est pas près de connaître le bout du tunnel. En l'absence de succès et de nouveautés à la hauteur des aspirations du public, on assiste à un défilé d'hommages souvent insipides, d'où le narcissisme et le populisme sont les seuls aspects qui transparaissent. Depuis la fin de l'été où il y a eu, malgré tout, quelques innovations, dans le domaine de la chanson de fête, il n'y a plus rien. On ne fait que ressasser les vieilles chansons et la Kabylie semble en proie à une crise sans précédent dans le domaine artistique. Ce dernier fût pourtant à l'avant-garde du combat identitaire et aussi dans le travail de la transmission de la langue. Le départ de Matoub Lounès a laissé un vide incommensurable. Pendant vingt ans, de 1978 à 1998, Matoub n'a jamais failli à la règle d'éditer au moins deux albums par an et aucune de ses cassettes ne ressemblait à l'autre tant sur le plan musical et poétique qu'au niveau de l'interprétation vocale. Etait-ce donc Matoub qui comblait le vide ou bien le rebelle a-t-il emporté avec lui les dernières graines de ce genre? A ce jour, Matoub demeure l'artiste qu'on écoute le plus à chaque coin de rue. Sa voix interprète inlassablement des chansons qui ne cessent de convoquer la nostalgie chez les anciennes générations et de susciter l'intérêt de la jeunesse. Mais la chanson kabyle peut-elle se suffire à un seul chanteur qui a pu surmonter les écueils de la mortalité artistique grâce à son génie que la Kabylie peine à remplacer ou du moins à relayer? Comment expliquer qu'aucune nouveauté mise sur le marché n'arrive à accrocher un public qui se compte par millions? Les éditeurs de cassettes qui se sont spécialisés dans la chanson kabyle ne cessent de se plaindre. La majorité d'entre eux ont mis la clé sous le paillasson. Après avoir connu les débuts de gloire dans les années 1970 et le summum de la grandeur dans les années 1980, et 1990, la chanson kabyle est en plein déclin. Beaucoup de chanteurs ayant fait un tabac dans les années 1980 ont tenté plus d'une fois de rebondir, mais ils n'arrivent malheureusement pas à accrocher la nouvelle génération, devenue plus exigeante avec, notamment la mondialisation et la découverte de tout ce qu'il y a de parfait dans la musique universelle. La chanson kabyle est-elle aussi victime de la mondialisation? Assurément! On le perçoit bien dans les cybercafés où s'effectuent les téléchargements des nouveautés. Sur six chansons téléchargées, une seule est kabyle, nous confie un gérant de cybercafé à Tizi Ouzou. La chanson à texte où il s'agit plus de morale et de leçons ne suscite aucun intérêt chez les jeunes d'aujourd'hui qui veulent vivre et écouter des chansons qui glorifient la vie au lieu de les réprimander ou de s'ériger en chanteurs donneurs de leçons. Le message de la jeunesse sera-t-il saisi? C'est la seule façon pour que la chanson d'expression kabyle retrouve ses marques. En attendant, rendons des hommages! Il y aura toujours des bouquets de fleurs à offrir et des appareils photo pour immortaliser le dépit de ne plus pouvoir faire éclore des oeuvres artistiques porteuses d'espoir et de génie créateur.