La chevauchée est longue (1000 ans!) entre les Mechtoïdes (et les Proto-Méditerranéens captiens) à Amzagh en passant par «Poil-Rouge»... ...C'est-à-dire à ce retour au plus loin dans les origines, là où se retrouvent les racines les plus sûres, les plus authentiques d'une société. «Izuran» est le vocable berbère relatif à l'origine de la chose, comme «racine» ou plutôt comme «germe» qui précède «racine» et constitue le principe du commencement. Justement, Izuran au pays des hommes libres (*) de Fatéma Bakhaï est le roman de la recherche des ancêtres les plus lointains dans l'histoire de notre pays. Plus exactement, et au sens large, c'est une enquête sur l'Histoire ou, mieux, une «quête» d'éléments historiques montrant que «la berbérité en tant qu'identité et culture s'est forgée sur la terre d'Afrique du Nord et nulle part ailleurs», ainsi que l'a affirmé la spécialiste en préhistoire et protohistoire sahariennes, Malika Hachid dans Les Premiers Berbères, Entre Méditerranée, Tassili et Nil, Ina-Yas & Edisud, 2000. Née à Oran le 19 décembre 1949, Fatéma Bakhaï fait ses études primaires en France et après l'indépendance ses études secondaires au Lycée français d'Oran. Diplômée d'une licence en droit à l'université d'Oran, elle enseigne, un temps, le français et, à partir de 1981, elle exerce la fonction d'avocate. Bientôt elle s'intéresse à l'écriture (contes pour enfants et récits pour la jeunesse, études, articles,...) et, conjointement, à la recherche historique, spécialement un sujet très motivant pour une intellectuelle algérienne soucieuse de tenter de reconstituer son arbre généalogique, de remonter aux racines (Izuran) de son peuple. C'est à travers ses premiers romans qu'elle commence son expérience de chercheur de «l'identité algérienne». S'écartant de la voie littéraire prise par plusieurs auteurs des années 90, dont les oeuvres témoignent du drame de la «décennie rouge», créant ainsi ce qu'on a appelé «la littérature de l'urgence» formalisée par le «réel» ou l'«actualité», Fatéma Bakhaï se consacre à une oeuvre de longue haleine pour comprendre, analyser et redéfinir une émotion profonde à laquelle tout naturellement s'attachent les Algériens. Pour remonter jusqu'à la source, Fatéma Bakhaï va nager, si j'ose dire, à contre courant. Elle commence sa «quête de l'authentique», en 1993, avec La Scalera (un roman montrant la lutte désespérée de Mimouna pour s'affirmer dans la société algérienne). Elle publiera d'autres ouvrages dont Un Oued pour la mémoire (1995, un roman où le patrimoine - l'Oued - est un repère important pour affirmer «une identité» à transmettre par Aïcha à sa petite fille Mounia), Dounia (1996, une femme glorieuse aux premiers jours de l'entrée des Français en Algérie), La Femme du caïd (2004, un sujet à la fois social et politique: la vie de Talia, une femme du siècle dernier),...Izuran, au pays des hommes libres est un roman qui reprend avec davantage de conviction et de pertinence la recherche des racines. L'histoire commence au temps des Poils-Rouges qui chassaient «dans les frondaisons» et s'arrête au temps d'Amzagh qui, revenant de Carthage, prévient son père de la prise de cette cité «par de nouveaux conquérants venus de l'est, des musulmans qui n'ont qu'un seul cri de ralliement: Allah Akbar.» Bien que la fiction domine dans ce récit, la simplicité du style, la précision de la description des événements (conquêtes romaines et carthaginoises), la générosité de la réflexion, le souffle épique éblouissant, rehaussent cette fresque totale servie par une qualité littéraire et historique peu commune jusque-là dans notre littérature à thème historique. Elle nous rappelle, par là aussi, la belle tentative de l'historien et écrivain Djamel Souidi avec, entre autres ouvrages, son Amastan Sanhaji (tome 1: Un Prince dans le Maghreb de l'An Mil; tome 2: Le Serment de fidélité). Dans son ouvrage qui annonce une trilogie très prometteuse, Fatéma Bakhaï procède d'une pédagogie pure, la seule efficace pour rendre attachants à ses lecteurs, les personnages et les événements d'un grand thème qui incontestablement intéresse les Algériens et les incite à rechercher leurs «racines». Sa démarche est triple: elle offre à imaginer sinon à observer les faits grâce à une documentation abondante et surtout extraordinairement fiable; les personnages et les événements sont replacés «dans le temps» et «dans l'espace» avec une rigueur descriptive éblouissante; l'expression est constamment claire et intelligible pour conduire une excellente communication sereine entre histoire et fiction et bien évidemment pour ne rien perdre de la «connaissance historique» établie. La reconstruction du passé est extrêmement méthodique, l'arbre généalogique s'élève et se développe tout naturellement, nous permettant de suivre, de vivre, les différentes époques dans lesquelles ont évolué tant de personnages au caractère plein de vérité et d'audace. C'est sûr, derrière cette peinture, il y a la compétence de Fatéma Bakhaï, car devant l'ampleur de la tâche, elle a déployé une grande vertu fermentée par une lucidité objective et une honnêteté scrupuleuse. Elle a soigneusement évité l'anecdote et les hypothèses de circonstance, elle a renoncé à formuler des constatations trop personnelles, partisanes ou dogmatiques, elle a transcrit, en quelque sorte, le vraisemblable, sans jamais l'imposer. C'est pourquoi ses personnages dialoguent et vivent dans une histoire parfaitement humaine, celle d'une nation qui a la volonté de reconquérir son bien fondamental qui révèle peu à peu ce que l'on sait et ce que l'on ignore. N'est-ce pas raison que l'on ait pu dire que «l'histoire n'enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et donne des exemples de tout»? Fatéma Bakhaï nous fait entrer dans un domaine où elle témoigne de sa propre culture pour nous présenter une aventure humaine qui ne lasse pas l'attention puisque nous apprenons notre poétique généalogie - fût-elle figurée - qui éclaire le présent de notre société. Aussi suis-je tranquille sur l'avenir de la Matriarche qui a donné naissance à la tribu d'Ayye et qui n'a jamais, à vrai dire, renoncé à ses «droits et libertés». Un voyage dans le temps attend le lecteur volontaire qui se pose des questions sur son passé... (*) Izuran au pays des hommes libres de Fatéma Bakhaï, Editions Alpha, Alger, 2010, 205 pages.