Dans les pièces de Hajar Bali, les personnages sont souvent hideux, cruels, impuissants et fragiles à la fois, car représentés tels qu'ils sont vraiment. Quand on cherche à comprendre la signification du mot théâtre, tout nous accule vers l'action dramatique, faire du théâtre relèverait ainsi d' une situation dramatique, autrement une situation qui prendrait un tournure grave ou tragique, jusqu'au paroxysme créant de vives émotions, mais n'excluant pas les éléments comiques et la légèreté réaliste. C'est cela le théâtre de Hajar Bali alias Djalila Kadi Hanifi mathématicienne de formation, passionnée de théâtre. Elle le dit: «Mes premières lectures ont été du théâtre. Ionesco, y compris Shakespeare en passant par Becket. Je ne faisais que les lire. j'ai du mal à raconter un événement mais préfère raconter des dialogues. En plus, j'écris des nouvelles, mais je ne sais pas écrire long». Et de renchérir: «Le théâtre raconte des situations, on n'a pas de problème avec le temps.» Lors de la présentation de son recueil Rêve et vol d'oiseau sorti aux éditions Barzakh, jeudi dernier à la librairie Noun, Selma Hellal évoque naturellement le mot catharsis dont le sens est de se décharger d'un trop-plein d' émotion afin de se libérer d'un poids, comme pour se purifier l'âme d'un lourd secret. C'est le cas dans la première pièce de théâtre, ouvrant ce recueil qui comprend par ailleurs 11 pièces dont la plupart ont été réalisées dans le cadre d'une résidence dont Le château, pièce théâtrale écrite au Québec. Dans celle-ci, la quête de soi, salvatrice et rédemptrice, est au coeur de l'oeuvre. Farida, la trentaine, invite toute sa famille à passer dans la nouvelle demeure pour célébrer l'anniversaire de son père, vieux, acariâtre, qui refuse de lui révéler certaines choses sur son passé douloureux, du temps où il a servi comme officier dans l'armée. Notre passé. Pour Rachida, c'est l'occasion ou jamais de parler et crever l'abcès. Mais pourquoi l'a-t-elle amené dans ce drôle d'endroit et pourquoi s'obstine-t- elle à remuer le couteau dans la plaie? Un château.. Un endroit plein de voix étranges...Son fils est parti il y a des années et ne parle plus à son père. Des non-dits pèsent sur cette famille. Un passé que Farida tente de faire resurgir par tous les moyens jusqu'à énerver son père qui continue, têtu, à lui dire qu'elle n'a rien compris tout en jouant aux échecs, signe de dualité, mais aussi de force de résistance contre la mort et l'abnégation. Son père était comme ça. Il fallait prendre une décision et il l'a fait. Dans le château, une autre histoire, du même nom vient intervenir et mettre son pied dans le plat de la grande histoire. Il s'agit du roman inachevé de Franz Kafka. Inachevé, l'ouvrage est publié en 1926 à titre posthume à l'initiative de Max Brod, ami de l'auteur. Le Château traite de l'aliénation de l'individu face à une bureaucratie qui a coupé tout contact avec la population. Le père de Farida ne veut pas remuer le passé et dire ce qui s'est passé, il y a de cela des années dans un endroit appelé B, (Bentalha Ndlr). Pièce poignante et forte en dramaturgie, Le château laisse des signes sans trop déballer. Sans fioriture, elle évoque notre «amnésie collective», forme d'«autisme» sur des événements pas si lointains et dont on tente aujourd'hui d'oublier. La désillusion est omniprésente dans la plupart des pièces de Hajar Bali. Comme un silence tapi dans l'ombre qui dit la déshumanisation et la lâcheté de l'être humain. Dépourvus d' artifice, les êtres dans Rêve et vol d'oiseau, pièce maîtresse également de ce recueil, écrite et montée en 2006, les personnages sont englués dans leur réel, un couple n'arrive plus à communiquer, la vie coule sans grand fracs. Mais un jour, un coffre vient tout remettre en question. On tentera de l'ouvrir par tous les moyens. Que contient-il? Voudrait -on basculer à tout prix et changer de destin? Sommes-nous insatisfaits de nos existences au point qu'on veuille à tout prix changer de peau. Bas les masques! Dans les pièces de Hajar Bali, les personnages sont souvent hideux, cruels, impuissants et fragiles à la fois car représentés tels qu'ils sont vraiment. Le théâtre de l'absurde duquel se revendique Hajar Bali, est non dénué de légèreté et d'humour quand même. Dans Rêve et vol d'oiseau Hajar Bali, qui aime lire en arabe prend conscience de son incapacité d'écrire en arabe, et s'en moque dans cette pièce, une sorte d'autorisation personnelle. Le sérieux mêlé au lyrisme, agrémenté de légèreté est la forme d'écriture de cette femme qu'on dit faussement «un peu trop discrète», même si elle reconnaît ne pas trop aimer les conflits...Dans l'avant-propos signé Gillemette Grobon (Association Gertrude II de Lyon avec laquelle Djalila Kadi Hanifi et l'Association Chrysalide à laquelle elle appartient, collaborent depuis des années dans le cadre de l'opération Noir sur Blanc), et Anne Julien, dévoilent la démarche artistique de cette femme: «Ecrire un théâtre qui signifie plus dans son silence que dans sa parole, travailler sur des atmosphères, à la fois très intimes et très invraisemblables, dérouter, ne pas aller directement au sens, ne pas être "trop experte" mais être ancrée dans le réel sans avoir besoin d'expliquer.» Dans Birmandreis, (du nom d'un quartier d'Alger), nous sommes invités, à suivre le chemin tortueux de ce couple qui semble perdu et rencontre sur son chemin deux enfants bizarres, sans attache. Déclinée comme dans un rêve, cette courte pièce mêle tendresse et étrangeté à la poésie. Les pièces de Hajar Bali sont tantôt longues, tantôt courtes ne dépassant pas les huit pages. Ecrire pour elle est une seconde nature, une façon d'abriter l'histoire, à la recherche d'un équilibre qui remettrait de l'ordre dans le cours des choses, un peu comme dans les mathématiques... Rêve et vol d'oiseau, recueil de pièces de théâtre 194 pages (Ed. Barzakh)