Les 15.000 délégués, dont une majorité issue de mouvements sociaux, paysans, peuples indigènes, partagent ce sentiment d'être «ceux qui ont le moins contribué au problème, mais seront les plus affectés». Débordante d'enthousiasme, mais limitée dans le débat ou les pistes nouvelles, la Conférence des peuples sur le climat en Bolivie, fournit surtout un exutoire réconfortant aux premières victimes du réchauffement climatique. «Nous sommes comme les canaris dans les mines, qui mouraient les premiers, avertissant ainsi les mineurs d'un gaz toxique», explique Faith Gemmill, représentante de l'ethnie Gwich'in, en relatant l'érosion du littoral qui menace les tribus indiennes d'Alaska. «Un village entier de 700 habitants, Newtok, est forcé de se transférer à cause de la fonte du permafrost», ajoute Brad Garness, un Indien samish d'Alaska. «Et nos rivières, qui gèlent insuffisamment, ne peuvent plus être utilisées comme routes, comme on en a l'habitude. Nous avons eu trois noyades l'an dernier. Ces gens-là n'avaient pas pollué l'environnement...» Montée des eaux ici, raréfaction ailleurs: dans la cordillère royale de Bolivie, des glaciers - source de 15 à 20% de l'eau de La Paz - meurent à vue d'oeil. Ainsi Chacaltaya, il y a 15 ans encore fière «piste de ski la plus haute du monde», à 5300 mètres, et aujourd'hui un carré de neige devenu un lieu de pèlerinage écologique. Les plus de 15.000 délégués à Cochabamba, dont une majorité issue de mouvements sociaux, paysans, peuples indigènes, partagent ce sentiment d'être «ceux qui ont le moins contribué au problème (du changement climatique), mais seront les plus affectés», comme l'a souligné lui-même le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, dans son message transmis au Forum mardi. Dans les tables rondes de Cochabamba, la prise de parole est libre, et le défoulement manifeste, applaudi, sans forcément de lien avec l'ordre du jour: ici un long monologue sur «l'humanité carnivore» et sa consommation animale, là un réquisitoire sur l'acharnement minier du Canada. Peu importe que sous «Pachamama» (la Terre mère), l'extraction continue de plus belle, ici-même en Bolivie, dont le gouvernement intensifie l'exploitation de son gaz naturel, de son cuivre, s'apprête à exploiter un des plus grands gisements de fer au monde sur 40 ans et négocie âprement l'industrialisation du lithium, son futur «or gris». On vient à Cochabamba pour ressentir une solidarité sans questionnement, voire un sens au destin: «Ce qui se passe ici est un moment nouveau dans la vie de l'humanité», assure Tom Goldtooth, dirigeant indien Dakota du Indigenous Environmental Network. «Cela s'inscrit dans une de nos prophéties, qui veut que les dirigeants mondiaux commenceront à écouter les peuples indigènes sur les moyens de sauver la planète». L'influence des délibérations de Cochabamba, qui seront transmises au prochain round de négociations climat de Cancun (Mexique) en décembre, est au mieux incertaine. Surtout si un «tribunal de justice climatique», aux farouches accents anticapitalistes, est en tête des propositions. Mais même dans le partage d'une «impuissance citoyenne» face au réchauffement, le forum, ses rituels, sa symbolique «Terre mère», agit comme une catharsis, observe un habitué de ces réunions: «On recharge ses batteries, et en ce sens ces contre-sommets remplissent une fonction sociale. Ils permettent d'entrouvrir la soupape».