On ne peut que se réjouir de l'adoption prochaine d'une loi fixant les conditions d'exploitation des terres agricoles du domaine privé de l'Etat. Ce texte vient compléter utilement la loi n°08-16 du 3 août 2008 portant orientation agricole. Elle vient également abroger la loi n°87-19 du 8 décembre 1987 déterminant le mode d'exploitation des terres agricoles du domaine national et fixant les droits et obligations du producteur. Dans l'importante réforme de décembre 1987, il avait été décidé de donner en jouissance des terres agricoles du domaine national, qui restaient cependant, propriété de l'Etat. Les 3200 domaines agricoles socialistes qui existaient à ce moment-là, ont donné lieu à la constitution de 22.000 exploitations subdivisées en deux catégories: les exploitations agricoles individuelles (EAI) et les exploitations agricoles collectives (EAC). Toutefois, les mécanismes d'accès aux terres ainsi que la mise à disposition des moyens de production étaient empreints d'une forte dose d'ambiguïté qui a généré par ailleurs, des injustices dans l'attribution de terres adjacentes aux grandes agglomérations, lieu d'élection d'une forte demande solvable en fruits et légumes. De surcroît, la loi de décembre 1987 intervenait au moment où sévissait déjà la crise financière la plus grave qui ait jamais secoué l'Algérie depuis son indépendance. Il en est résulté une augmentation sensible des prix des intrants et des instruments de production, la majoration des taux d'intérêts bancaires et l'impossibilité pour le Trésor public de mettre à la disposition des exploitants les ressources financières promises. On peut dire que globalement, entre 1988 et 2008, a prévalu un statu quo d'autant plus regrettable que la dépendance alimentaire de notre pays ne cessait de croître et que dans la majorité des cas, les banques qui prêtaient pourtant avec parcimonie, n'ont pu obtenir le remboursement de leurs crédits, les exploitants ne détenant par ailleurs, aucun droit réel sur des terres agricoles dont ils n'avaient que la jouissance. Il faut également noter que durant cette période, se sont développées des tendances fortes à la spéculation, sans que la puissance publique intervienne avec quelque efficacité, en dehors déjà de l'absence remarquée de mesures d'accompagnement au profit des producteurs pour les motiver et les mobiliser. La loi du 3 août 2008, qui est intervenue pour normaliser le cadre juridique de l'exploitation des terres agricoles, et dont le projet de loi adopté le 11 mai dernier par le Conseil des ministres est un des prolongements attendus, vise quatre objectifs: - Améliorer le niveau de sécurité alimentaire. - Assurer une évolution maîtrisée de l'organisation et des instruments d'encadrement du secteur de l'agriculture. - Garantir une évolution de l'agriculture économiquement, socialement et écologiquement utile. - Réaffirmation du principe du soutien de l'Etat au développement agricole, animal et végétal. En outre, ce texte se propose de doter le secteur agricole des moyens financiers nécessaires, de garantir la pérennité des exploitations agricoles, d'améliorer le niveau et le cadre de vie des agriculteurs, de contribuer à la régulation des produits agricoles pour protéger les revenus des agriculteurs et sauvegarder le pouvoir d'achat des consommateurs, l'orientation des investissements et des productions à travers divers mécanismes normatifs, favoriser l'installation en agriculture des jeunes et le développement de l'emploi dans l'agriculture. Ce rappel historique est important, en ce sens que la loi fixant les conditions et modalités d'exploitation des terres agricoles du domaine privé de l'Etat vient conforter les droits des exploitants en transformant leur statut de titulaires d'un simple droit de jouissance, en concessionnaires pour une durée de 40 ans, la concession étant renouvelable et transmissible à leurs ayants droit. A ce titre, elle leur permet de constituer des hypothèques (sûretés immobilières grevant la terre et constituant au profit de la banque créancière une garantie de paiement de la dette). En outre, grâce à des opérations de remembrement encouragées par l'Etat, les exploitants pourront introduire de notables techniques de faire-valoir qui amélioreront les rendements et la productivité du travail. Enfin, des subventions d'un montant de 1000 milliards de DA leur seront allouées sur une période de cinq ans. Le texte précise par ailleurs, que le concessionnaire de terres appartenant au domaine privé de l'Etat doit justifier de la nationalité algérienne et qu'il doit exploiter effectivement la terre (formulation vague qui n'exclut pas la possibilité d'un certain absentéisme, mais ce à quoi un texte réglementaire peut apporter la clarification souhaitable) et ce, sous peine de se voir retirer la concession. A condition qu'elle soit effectivement appliquée, la loi qui sera votée dans les jours qui viennent, met un point final aux ambiguïtés de la loi de décembre 1987 et permet de responsabiliser les producteurs directs qui vont pouvoir bénéficier non seulement, des dispositions de cette loi mais également de la loi du 3 août 2008, notamment à propos du statut de l'exploitant agricole, de l'organisation professionnelle agricole et de la protection des exploitants agricoles. Quoi qu'il en soit, grâce à cette loi, l'Algérie pourra s'engager dans une stratégie de valorisation de son potentiel agricole; il s'agira de transformer l'agriculture traditionnelle en mettant en place des actions de développement intensif et extensif. Les premières supposent la poursuite des travaux d'irrigation et de protection contre les menaces naturelles, tandis que les secondes visent l'utilisation de semences à haut rendement ainsi que la diversification des terres. Tout ceci permettra de prévenir la monoculture et de donner les moyens à l'agriculture algérienne de se spécialiser dans les productions utiles à son développement économique. (*) Professeur en droit des affaires [email protected] Petit glossaire des termes utilisés Concession: il s'agit d'un contrat de droit administratif conférant à une personne morale ou physique, moyennant paiement d'une redevance annuelle, le droit d'exploiter le foncier agricole pour une durée déterminée (40 ans renouvelable dans la loi). Domaine privé de l'Etat: partie du patrimoine des personnes publiques (Etat, collectivités territoriales, autres personnes morales de droit public) dont le régime juridique, à la différence du domaine public, obéit aux règles de fond et de compétence du droit privé (aliénable, prescriptible et saisissable). Droit de jouissance: droit de percevoir les fruits d'une chose, de les conserver ou de les consommer mais sans pouvoir les aliéner. Hypothèque: droit réel accessoire qui va grever les terres agricoles et qui est constitué au profit d'un créancier (qui sera dans la majorité des cas un établissement de crédit) en garantie du paiement de la dette contractée par un exploitant. L'hypothèque n'entraîne pas dessaisissement du propriétaire (c'est-à-dire de l'Etat).