Après Vent de Sable, Larbi Benchiha poursuit son travail de recherche sur les essais nucléaires, dans le désert algérien. Cette fois, c'est l'aspect politique des essais nucléaires qui est abordé. Invité aux Rencontres cinématographiques de Béjaïa, Larbi Benchiha a présenté, avant-hier, le deuxième volet de son travail. A travers son nouveau documentaire de 52 minutes, intitulé L'Algérie, De Gaulle et la bombe, le réalisateur pose deux questions essentielles, à savoir: pourquoi la France a-t-elle choisi l'Algérie alors qu'elle était en guerre et pourquoi avoir continué à la contaminer jusqu'à 1966 alors qu'elle était déjà indépendante? Le réalisateur axera son argumentaire sur le discours de Charles de Gaulle qui était, d'après lui, «un fin stratège». Le réalisateur fera appel à plusieurs témoins dont des appelés français qui ont assisté aux essais nucléaires et rapporteront les conditions improbables qui ont entouré ces exercices comparés à de véritables expériences de laboratoire. Larbi Benchiha fait aussi parler du côté algérien, l'ancien négociateur des accords d'Evian, Réda Malek et Claude Chayet, côté français, mais aussi l'historien Mohamed Harbi. Le film a soulevé encore une fois le risque pris par les militaires dans la manipulation et le contrôle complètement aléatoire des bombes et l'intransigeance des Algériens à vouloir obtenir l'Indépendance de l'ensemble du territoire algérien...Mais aussi, le silence consentant de l'Etat algérien à laisser faire exploser des bombes dans le Sahara jusqu'en 1966. Résultat: de 1960 à 1966, 17 explosions ont eu lieu. «On devrait quand même prendre sur soi la responsabilité de réparer les dégâts», dira Reda Malek à l'adresse de la France. Une loi promulguée le 5 janvier 2010 est née pour indemniser les victimes en France. Pour l'instant elle n'est pas entrée en application. Encore un sujet tabou à dépoussiérer. L'Expression: Dans votre nouveau documentaire L'Algérie, De Gaulle et la bombe l'on comprend, en fait, une chose, c'était du donnant-donnant entre la France et l'Algérie. Dit autrement: «On vous donne l'indépendance territoriale du Sahara, en contrepartie vous nous laissez continuer à y faire des essais nucléaires pendant cinq ans.» Est-ce exact? Larbi Benchiha: Oui! c'est tout à fait ça. C'était un marchandage. Cela a été âprement discuté durant presque deux ans, point par point. Les deux points d'achoppement, c'était la souveraineté sur le Sahara et la poursuite des essais nucléaires. S'il n'y avait pas eu ces questions-là, la guerre aurait été terminée deux ou trois ans avant. Les Algériens voulaient à tout prix obtenir la souveraineté sur l'ensemble du territoire, y compris le Sahara, ce que les Français et particulièrement le général de Gaulle ne voulaient absolument pas. Pour lui, le Sahara n'avait rien à voir avec l'Algérie. Il disait textuellement que le Sahara est «une mer de sable et elle appartient à celui qui l'a mise en valeur», cela veut dire aux Français, puisque ce sont eux qui ont commencé à découvrir des gisements de pétrole, à exploiter le sous-sol, etc. C'est un peu déroutant, car en quelque sorte, on a fermé les yeux. Réda Malek le dit dans votre documentaire: «Vous avez cinq ans, faites ce que vous voulez et puis on n'en parle plus!» Il a dit ça, oui: «On est obligés d'accepter pendant cinq ans, faites ce que vous avez à faire et qu'on n'en parle plus.» Effectivement, je pense que les algériens n'avaient pas d'autre choix. Les frontières étaient fermées. Les munitions ne rentraient plus. Ni de la Tunisie ni du Maroc. L'ALN a enterré l'armement par manque de munitions, par peur qu'elles ne tombent dans les mains de l'armée française. Ils étaient coincés des deux côtés. Les Algériens savaient bien que le temps oeuvrait contre eux et De Gaulle aussi, voulait en finir. L'armée française commençait à devenir de moins en moins sûre. Le général De Gaulle a échappé quand même à un coup d'Etat des généraux; par miracle, il n'a pas réussi. C'est le charisme de De Gaulle quand il s'est adressé à la nation qui a fait basculer la situation lorsqu'il a dit: «Français, Françaises aidez-moi!» Le troisième volet de cette trilogie documentaire portera sur les effets ou retombées sur l'environnement des essais nucléaires. Comment allez-vous le traiter? Allez-vous aussi faire appel à des experts et spécialistes algériens dans le domaine? Il y a une commission depuis 2008 plus au moins secrète composée d'experts français et algériens, comprenant des scientifiques, des politiques, des militaires des deux côtés qui travaillent à la réalisation d'une cartographie radiologique recensant tous les lieux où il existe des produits dangereux et faire des préconisations pour remédier à ça quant à l'avenir de ces sites. Je vais m'appuyer sur cela, mais aussi sur des experts indépendants. Ce qui m'intéresse beaucoup, c'est de voir au final, par rapport à l'environnement et la population, quel est le protocole qui va être choisi. Allons-nous mettre juste des grillages autour des sites contaminés ou bien nous donner les moyens pour déterminer tous les endroits où les produits dangereux existent et donc ramasser tout ça selon les normes internationales et les stocker selon les standards de stockage qui existent aujourd'hui ou bien seulement replâtrer et interdire les points d'accès? C'est ça le plus important à connaître. Il est vrai que décontaminer des lieux tels que Hamoudia, cela ne va pas être facile. Cela veut dire qu'il faut racler des milliers d'hectares sur 50 centimètres ou un mètre de profondeur. Ça coûte des sommes faramineuses. L'Algérie va-t-elle participer au financement de votre prochain film documentaire, contrairement à vos deux précédents films? Je n'avais pas fait la demande. Probablement que pour le troisième documentaire, on va faire une coproduction. J'en ai discuté avec mon producteur, en France. On va voir.