Rabah Saâdane, 64 ans, l'unique sélectionneur africain durant ce Mondial sud-africain, a abordé tous les sujets avec simplicité et lucidité. Le Parisien: Vous avez déclaré que disputer le Mondial était déjà bien. Est-ce une façon d'évacuer la pression ou un manque d'ambition? Rabah Saâdane: C'est une réalité. Notre effectif n'a aucune expérience. On n'a pas encore le fond de jeu d'une machine qui tourne. Derrière l'Angleterre, la deuxième place du groupe C semble pourtant accessible... Le premier match contre la Slovénie (dimanche) sera déterminant. Si on le gagne, on pourra parler. Dans ce genre de tournoi, si vous gagnez le premier match, vous avez 50% de chances de passer. Sinon, on ne sera pas dans de bonnes dispositions psychologiques contre l'Angleterre (le vendredi suivant). Le bilan de vos matchs de préparation (à l'exception de la récente victoire 1-0 contre les Emirats arabes unis) n'apparaît pas excellent. Faut-il s'inquiéter? Pas du tout. Si je récupère les joueurs qui composent habituellement la défense, ça ira mieux. Offensivement, en revanche, on n'a pas de cohésion. Travailler ce secteur demande plus de temps. Face à des grosses cylindrées, on ne peut pas s'en tirer avec une petite contre-attaque. On l'a vu contre l'Irlande (0-3). Le très haut niveau, c'est ça. Redoutez-vous les critiques en cas d'échec? Les mentalités ont évolué. Beaucoup de gens me disent: «Quel que soit le résultat, on est avec vous.» Cela fait plaisir, parce qu'il y a une prise de conscience de la réalité. C'est seulement une petite partie de la presse qui tente de nous déstabiliser. Serez-vous toujours sélectionneur après ce Mondial? Je ne peux rien dire, car je ne veux pas perturber l'équipe. Le président de la Fédération (Ndlr: Mohamed Raouraoua) sera le premier informé. Que s'est-il passé avec Mourad Meghni, blessé au genou et forfait? On a tout essayé, mais il y avait une chance sur mille pour qu'il puisse jouer. J'aime les joueurs comme mes enfants et c'est moi qui lui ai dit la vérité: «Regarde-moi dans les yeux, il faut qu'on arrête.» J'ai plus pensé à sa carrière qu'à l'équipe. Meghni appartient à cette catégorie de joueurs nés en France que vous avez appelés. Quel est leur apport? C'est une chance pour l'équipe et un choix personnel. Je leur demande toujours si cela les intéresse de nous rejoindre. Mais on ne vient pas piquer ces jeunes qui n'ont pas eu la possibilité d'intégrer les Bleus. Allez-vous vous inspirer du système de formation mis en place en France? Bien sûr. Ce système est reconnu mondialement. Pour former des jeunes de haut niveau, il faut des centres de haut niveau. La Fédération cherche un concepteur expérimenté pouvant nous permettre de revenir vers le professionnalisme. Pour former nos propres joueurs, cela prendra une dizaine d'années. Ce Mondial a-t-il redonné sa fierté au peuple algérien? Oui. Avec les années noires, l'Algérien avait perdu sa crédibilité. On rasait les murs quand on portait le maillot national. En France, l'engouement des jeunes d'origine algérienne est très fort. Ne craignez-vous pas des débordements? Ces jeunes ont encore des sentiments pour l'Algérie, mais ils ne doivent pas avoir de rancune, même ceux qui sont au chômage ou qui vivent des situations difficiles. Attendre des événements sportifs pour manifester cette rancune, ce n'est pas bon. Lors du France - Algérie de 2001 (Ndlr: match arrêté après l'envahissement du terrain au Stade de France), il y a eu un grand sentiment de honte en Algérie. Chez nous, on aurait respecté «la Marseillaise». Le foot est un moyen d'éducation extraordinaire et il faut revenir à ce genre de valeurs. Que représente Zidane? C'est un lien solide entre les deux pays. Il représente la France dans les événements majeurs et nous supporte discrètement pour nous faire plaisir. Assistera-t-il à vos matchs? Je ne sais pas. Il a toujours promis de nous aider si on avait besoin de lui. C'est un gars qui ne calcule jamais. Quels joueurs français aimeriez-vous posséder dans votre équipe? Pour ma sélection, je prendrais bien Ribéry et Anelka car j'ai besoin d'attaquants (Rire.) J'aime aussi Gignac. Et Thierry Henry qui est un gars rayonnant, même si en ce moment il n'est pas à son meilleur niveau. Domenech n'a sélectionné aucun joueur d'origine maghrébine. Comment l'interprétez-vous? C'est son choix. Il ne faut pas entrer dans des polémiques. Benzema et Nasri sont jeunes et vont rebondir. Il faut qu'ils travaillent et ils joueront la prochaine Coupe du Monde. Quelle est la portée de ce premier Mondial en Afrique? C'est un événement exceptionnel et une chance. Quand on a commencé les qualifications, toute l'Afrique voulait y participer. C'était la guerre pour se qualifier. Il y avait une dimension sportive, et politique. Une équipe africaine vainqueur ou finaliste, vous y croyez? Ça me paraît difficile. Le potentiel est là, mais la stabilité manque. Dès qu'il y a un problème, c'est l'entraîneur qui paie. On l'a vu avec la Côte d'Ivoire (Ndlr: Eriksson a succédé à Halilhodzic après la CAN). On n'a jamais vu un président démissionner. Quel discours tiendrez-vous à vos joueurs, dimanche, juste avant d'affronter la Slovénie? Restez concentrés et faites-vous plaisir. Soyons exemplaires, on va représenter l'Algérie. On va se battre comme des lions. En revanche, ne gâchons pas tout, comme contre l'Egypte en Coupe d'Afrique (Ndlr: défaite 4-0 en demi-finale et trois joueurs algériens expulsés). On a laissé une mauvaise image. On doit se maîtriser.