Le chanteur Rabah Ouferhat, auteur de la célèbre chanson Tala ilughen et de tant d'autres créations artistiques, est actuellement le secrétaire général du syndicat des artistes de la wilaya de Tizi Ouzou, dépendant de l'Ugta. Dans cet entretien, il revient sur la situation et les problèmes des artistes algériens ainsi que sur les propositions que son organisation formule pour aider à améliorer la situation des artistes. Il développe aussi sa vision du niveau actuel de la chanson kabyle. L'Expression: Pouvez-vous nous dresser brièvement la situation de l'artiste algérien aujourd'hui? Rabah Ouferhat: Avant de répondre à votre question, je tiens à vous informer que personne ne peut prétendre être artiste, tant qu'il n'a pas de statut. Donc, nous ne sommes artistes que par le nom. Un défi est lancé à quiconque peut prouver le contraire. Nous avons tout fait pour que l'art ne devienne pas une profession. Ceux qui sont dans le domaine sont obligés de travailler en parallèle afin de vivre. D'autres, qui n'ont pas eu cette chance, vivent dans une situation dramatique, à savoir dans un marasme culturel et social et ils se trouvent exclus de l'éducation, des soins, du travail, du logement et, plus humiliant, privés de statut. En quoi consiste la mission de votre syndicat? Nous voulons nous faire entendre pour un changement dans le système mis en place par le ministère de la Culture et l'Onda dans la gestion de nos dossiers concernant nos droits et notre carrière. Un changement indispensable à la démocratisation de notre milieu social, faisant jonction avec les mutations, s'opère actuellement à l'échelle internationale. Qu'en est-il du projet du statut de l'artiste et quelle est la position du ministère de la Culture à ce sujet? D'abord, au sein de notre syndicat, nous essayons de nous organiser davantage. Nous avons structuré 34 wilayas sur 48. Il y a un secrétariat national provisoire, en attendant notre premier congrès, dans les mois qui viennent. Nous prions Dieu pour que le statut suive. L'Algérie est le seul pays au monde où l'artiste n'a pas de statut. Madame la ministre de la Culture a répondu à la lettre que le syndicat national des artistes lui a adressée en avril 2009. Elle nous a invités à nous organiser pour avoir une couverture sociale. Ce qu'elle nous propose n'est qu'un chapitre dans les recommandations de l'Unesco qui représente le statut universel. Les textes doivent être destinés pour le réel bien-être des artistes algériens et non pas des documents de propagande. Une couverture sociale c'est déjà bien, mais un statut universel à l'instar au moins des pays voisins, c'est encore mieux. Beaucoup d'artistes vivent dans une situation sociale lamentable. Quelles solutions préconisez-vous pour les aider? Oui, beaucoup de nos artistes vivent dans une situation sociale lamentable. Ils sont livrés à eux-mêmes, atteints de graves maladies, oubliés ou morts dans l'anonymat et dans des conditions que nous avons honte de décrire. C'est pour cela qu'aujourd'hui, le Syndicat national des artistes algériens, affilié à l'Ugta par rapport à la force ouvrière qu'il incarne est le seul espoir pour arracher les droits légitimes de nos artistes, bien sûr dans un cadre légal, conformément à la réglementation de notre pays, qui a signé toutes les conventions dans le domaine culturel. C'est par la voix du syndicalisme que l'artiste algérien retrouvera sa dignité pour se prendre en charge à jamais. Vous comptabilisez 40 ans de carrière, pouvez-vous comparer le niveau de notre chanson entre celui d' hier et celui d'aujourd'hui? Il n'y a aucune comparaison. C'est le jour et la nuit. Aujourd'hui, même s'il y a une abondance et une grande évolution dans les moyens, la création dans le sens positif, non seulement elle n'existe plus, mais on trouve même les moyens pour détruire tout un passé prestigieux. Les moyens techniques existent mais l'habit ne fait pas le moine. Vers les années 1960 et 1970, la chanson kabyle, qui avait révolutionné la chanson algérienne, était même à l'avant-garde jusqu'au-delà de nos frontières. Il n'y avait pas d'écoles de musique, mais chaque artiste était une école. Il y avait des orchestres et les gens travaillaient les mélodies. Dans la thématique, nous n'avions pas le droit à l'erreur. Il y avait de l'ordre et de la discipline dans la profession. Il y avait du respect et du civisme ainsi qu'une course loyale pour la promotion de la chanson. Aujourd'hui, nos jeunes ont d'abord changé de comportement. Ils ont transgressé les valeurs sur lesquelles reposaient auparavant la chanson kabyle et la chanson algérienne en général. La chanson kabyle tourne à Tizi Ouzou, la chanson algéroise à Alger, etc. C'est comme si le reste du monde n'existait pas. Nos médias sont complices. Si on regarde ce qui se passe sur les écrans de télévision et toutes ces stupidités qu'on entend à travers les ondes des radios, on conclut qu'on n'a pas de producteurs. Il y a des éditions fantoches qui exploitent la chanson et les jeunes à des fins inavouées. C'est le retour à l'exploitation de l'homme par l'homme sans aucune forme de procès. Hier, la Kabylie était le bastion des grands chanteurs, d'auteurs-compositeurs. Aujourd'hui, des voleurs et des bandits ont pris place et détruisent tout sur leur chemin au vu et au su de tout le monde. Pour cela, la création de ce syndicat dérange le milieu, mais pour nous, il est impératif pour l'aboutissement des revendications des artistes et c'est le seul espoir pour faire renaître la chanson kabyle de ses cendres.