Les jeunes Algériens se reconnaissent dans un certain type de communication. Est-il compris de la majorité de la population? «Quand je parle avec mes enfants sur un sujet précis, c'est souvent qu'ils me répondent "normal". J'avoue que parfois je suis largué. J'ai souvent du mal à décoder leur discours. Sans doute veulent-ils gagner du temps? De mon temps, on prenait justement le temps d'expliquer les choses...», nous a confié un citoyen qui a préféré gardé l'anonymat. Une histoire de temps selon toute vraisemblance. L'Algérien communique vite et rapidement. Pour cela, il a dû recourir essentiellement à la langue de Molière. Sans se soucier ni de la syntaxe, ni du respect des règles grammaticales, encore moins de la prononciation correcte des mots qui la constituent. Un vocabulaire pauvre dont l'éventail restreint incombe principalement à un système éducatif défaillant. Ces mots qui rythment la vie quotidienne des Algériens, en disent long sur la rapidité et la concision qui particularisent tout un système de communication créé presque dans l'urgence. Comme sont urgentes les priorités de la jeunesse algérienne: l'emploi, le logement et les loisirs (cinéma, voyages...). Autant de manques qui sont vécus comme des frustrations qui sont brûlées à la vitesse de la lumière par des formules cultes. «Normal, activi, navigui, intique...» Le choc des mots et le poids des messages d'une jeunesse en quête de repères. Ce sont autant de mots qui donnent à cette parole nouvelle tant de force et de vigueur à des messages presque codés. Ils en disent souvent plus long qu'un discours fleuve sur leur état d'esprit et leur condition sociale. Ils interpellent de manière indirecte les pouvoirs publics sur la prise en charge de leurs préoccupations. Tout cela est dit dans un langage qui leur appartient comme devrait leur appartenir, tout à fait légitimement, un avenir qui, s'il est loin d'être confisqué, est pour le moins loin d'être assuré. Sur ce plan, la jeunesse algérienne ne fait pas exception, elle est comme toutes celles du monde. Et comme ces dernières, elle constitue les forces vives sur lesquelles peut s'adosser la nation. Elle est aussi inventive, particulièrement en ce qui concerne les néologismes et le langage ultra concis, symbolisé par les «SMS». Un mode de communication qui devient universel. Comment y est-on parvenu? La référence à des considérations d'ordre historique, pour rationaliser son intelligibilité, est incontournable pour le cas de l'Algérie. A côté des langues nationales, le tamazight et l'arabe, et des langues officielles enseignées, en particulier le français, langue héritée de la colonisation s'est développée une forme de langue vernaculaire qui est en fait une sorte de métissage de ces trois outils de communication. Si dans les territoires français (actuels) d'outre-mer (Réunion, Guyane, la Martinique, Guadeloupe) ce phénomène linguistique a donné naissance au créole qui désigne un dialecte qui découle de mutations subies par un système linguistique dominant puis adopté comme moyen de communication par les populations autochtones, il en est autrement en Algérie. Certains mots de la langue française ont été adroitement et savamment distillés dans les «langues» populaires parlées à travers le territoire national. Que l'on soit en Kabylie, dans les Aurès, au M'zab, à Alger, à l'est ou à l'ouest ou au sud du pays. Les jeunes Algériens se reconnaissent dans un certain type de communication. Est-il compris de la majorité de la population? «Aujourd'hui, les jeunes parlent très vite. On saisit à peine ce qu'ils veulent dire. On a l'impression qu'ils ont inventé un langage pour eux et compréhensible uniquement par eux. Les temps ont changé et les comportements aussi», a tenu à nous faire remarquer une mère de famille, enseignante aujourd'hui à la retraite, que l'on a interrogée à ce sujet. Il faut aussi signaler qu'à côté de ces mots, qui proviennent d'une culture et d'une langue étrangères qui cohabitent paisiblement avec l'arabe populaire ou le kabyle, sont nés, il y a quelques trois décennies, certains néologismes qui déterminent la condition sociale de certaines catégories de la population. Les «hittistes» pour désigner ces jeunes chômeurs dont la caractéristique est de s'adosser à un mur et encore plus récemment «harraga», ceux qui tentent l'aventure de l'émigration clandestine en tentant en particulier de rejoindre l'autre rive de la Méditerranée à bord d'embarcations de fortune. Ce sont peut- être ceux- là même qui utiliseront le terme «navigui» pour dire «débrouille-toi». «Normal», lorsque ça baigne. A chacun son époque et apparemment à chaque époque son langage. En 1954 ce fût celui de la mitraillette.