Kateb Yacine, auteur d'une constellation d'ouvrages gravitant autour de Nedjma (1956), se dit pourtant être «l'homme d'un seul livre». Cette «unité en mouvement» fait débat, ainsi ouvert par une dizaine d'analystes littéraires réunis dans l'ouvrage «Kateb Yacine et l'étoilement de l'oeuvre» (Editions La Licorne, 2010). «Je crois bien que je suis l'homme d'un seul livre», avait affirmé Kateb Yacine en 1967, notent Anne-Yvonne Julien, Colette Camelin et François-Jean Authier, professeurs notamment à l'université de Poitiers (France), qui ont agencé cette compilation d'analyses sur l'oeuvre katébienne. Pour Kateb Yacine, son oeuvre, «à l'origine, était un poème´´ progressivement ´´transformé en roman et en pièce de théâtre», mais «c'est toujours la même oeuvre» qu'il a laissée comme il l'avait commencée, c'est-à-dire, à la fois à l'état de ruines et à l'état de chantier. «C'est cette unité en mouvement qui nous retiendra, unité rayonnante et mobile tout à la fois», avec le texte de Nedjma présenté comme «une étoile filante, dont le scintillement a été de longue date annoncé, en particulier par les étincelles de Soliloques (1947) et qui fait fulgurer sa trajectoire dans toute l'oeuvre de Kateb», énoncent, en avant-propos, les auteurs de l'ouvrage. Ils estiment ainsi que «20 ans après la mort du poète, il (leur) paraît opportun de proposer une lecture de cette oeuvre étoilée, à partir d'outils critiques diversifiés (narratologie, sociocritique, poétique des genres) et de s'intéresser à la manière dont les forgeries de l'écrivain, en prise sur la réalité de l'histoire algérienne, témoignent d'une énergie du renouvellement, qui n'exclut pas le détour par le territoire des ancêtres qui étaient siens». A cet essai de lecture d'une oeuvre en perpétuelle reconstruction, les auteurs associent une dizaine d'analystes tels que Charles Bonn, un spécialiste de la littérature algérienne contemporaine, qui invite le lecteur à une dimension «ré-évaluée» de la «fresque complexe qu'est Nedjma», un livre-manifeste d'un «genre romanesque absent», mettant «à mal la norme européenne du roman». Pour approcher cette oeuvre hors-normes, Denise Brahimi, docteur es-lettres, enchaîne sur «les complexités» de Nedjma, un personnage «inaccessible», incarnant «une logique de l'oeuvre (katébienne), en train de s'inventer à mesure qu'elle s'écrit». Le roman Nedjma met «en signes le chahut détonnant de l'hétérogène», écrit pour sa part, François-Jean Authier, estimant que ce livre-balise «retentit de toutes les images éruptives de la violence de l'art». Mais Nedjma, «mystère de la figure féminine, bonne et mauvaise étoile, astre et désastre, désirée honnie, fantasmée, inventée de toutes pièces rapportées, comment y toucher lorsqu'on est Kateb Yacine, né à Constantine en 1929, grandi dans l'Algérie colonisée en résistance contre la France?», se demande de son côté, Mireille Calle-Gruber (universitaire). Elle relève que Nedjma «c'est l'allégorie de l'Algérie terre-patrie» et que l'oeuvre «échappe à la raison, au raisonnement».