Intéressant à plus d'un titre, ce documentaire lève, une fois n'est pas coutume, le voile sur l'adolescence de ces moujahidate, privées de jeunesse durant cette période des plus conservatrices. La guerre de Libération nationale, vue par les moudjahidate est le nom du nouveau film documentaire de Yamina Bachir Chouikh. Un documentaire inachevé produit par Moip Film que dirige Baya Hachemi et présenté en avant-première mercredi dernier, à la libraire Socrate News dans le cadre des soirées Mille et Une News. Un documentaire poignant qui a su mettre à nu le vécu dramatique qu'ont connu nos moujahidate à cette époque. «J'ai longtemps hésité avant d'accepter de le faire. Au départ, Baya Hachemi m'a proposé de faire un film sur les condamnés à mort, cela ne m'a pas trop intéressé. Mon souci était de comment réconcilier les jeunes avec leur histoire. La Guerre d'Algérie, à la limite pour beaucoup, cela n'intéresse plus aujourd'hui. Or, ces moudjahidate, il ne faut pas l'oublier, étaient des adolescentes durant la Guerre de Libération nationale. J'ai essayé d'être la plus honnête possible en les laissant s'exprimer librement...» Yamina Chouikh tiendra d'abord à préciser une chose: le film est incomplet, car le son n'est pas mixé et il lui manque, notamment le générique. Quoi qu'il en soit, ce documentaire de 1h40 a su nous capter, tant l'émotion qu'il véhiculait était palpable et sincère. Le film avait ainsi pour cible les femmes entre hier, aujourd'hui et demain. Le film débute par la fin de la Seconde Guerre mondiale, évoque le 8 Mai 1945 qui a été un élément déclencheur dans la prise de position chez cette frange de la population dans sa revendication pour l'Indépendance. C'est dans ce tumulte de résistance à l'occupant qu'est née l'Association des femmes musulmanes. Lucette Hadj Ali évoque l'avènement d'un vent de changement. «J'ai commencé par prendre conscience du système colonial en travaillant au journal Liberté», dit-elle. Si les femmes françaises pouvaient voter à cette époque, les femmes algériennes ne jouissaient pas de ce droit, regrette Mme Hadj Ali, soulignant les injustices faites aux femmes, à cette époque. Aussi, nous apprend-on, «le PPA a toujours été en opposition avec ce que faisait le colonialisme, c'est pourquoi la revendication du droit de vote pour les femmes, ne faisait pas partie de ses prérogatives.» Et la moujahida Nassima Hablel d'évoquer les séquelles psychologiques irrémédiables suite à la guerre et notamment sur la mère de Kateb Yacine qui est devenue folle. Mme Hablel souligne que ce sont les hommes qui ont créé le mouvement des femmes musulmanes, poussant ces dernières à être actives sur le terrain en commençant d'abord par des actions sociales, bénévoles avant d'arriver à poser des bombes, ou monter au maquis auprès des moudjahidine blessés en tant qu'infirmière entre autres, comme ce fut le cas pour Houria Abid ou encore Hassiba Abdel Wahab. «Les hommes nous ont utilisées» confie Lucette. Place à un nouveau portrait: Hassiba Benyellès a quitté l'école à l'âge de 11 ans. Elle a été renvoyée, car bravant son instituteur en revendiquant l'algérianité à l'Algérie. Et Baya El Kahla de dire toute l'humiliation que les filles algériennes subissaient à l'école. Elles étaient ainsi toutes prêtes psychologiquement à la guerre. «On ne pensait qu'à libérer le pays, mourir ou libérer notre pays, on ne pensait pas à autre chose. On n'avait pas d'enfance!», a-t-on appris. Poignant jusqu'aux larmes, le film intitulé La Guerre de Libération nationale, vue par les Moudjahidate, évoque le rôle décisif qu'ont joué ces dernières auprès des hommes pour libérer le pays. Celles-si militaient parfois à l'insu de leur mari, évoluant souvent au maquis dans des conditions lamentables. Puis vient le moment de parler de la torture. «Qu'est-ce qu'on n'a pas vécu, on a vu des vertes et des pas mûres», s'exclame Baya El Kahla avant de tomber dans un silence qui en dit long. Elle est relayée par Mme Benyellès qui soutient que les femmes de la campagne ont beaucoup souffert et continuent encore aujourd'hui à souffrir, soulignant, sans pour autant acquérir réellement leur indépendance. Les maquisardes n'avaient pas intérêt à se faire capturer, fait-on remarquer, car elles subissaient les pires supplices. Les filles étaient envoyées par leurs pères au maquis pour ne pas être prises par les soldats français. Madame Hablel décrira ainsi, devant un public médusé, les horreurs qu'elle a subies, stoïque. Les moudjahidate, déplore-t-elle, ne jouissaient pas de responsabilité politique ou militaire, dénonce-t-elle en filigrane. Elles avaient plus peur des harkis qui parvenaient à déceler leur présence de loin, confie-t-elle. Côtoyer la mort était leur seul lot, alors penser à leur féminité! Une blague. Au cours de ces témoignages bouleversants, les moudjahidate nous confiaient leurs moments d'espoir, mais de désespoir. Des révélations souvent troublantes, surréalistes ou touchantes sur leur condition de vie qui ont fait, que leur ont été volés pour toujours leurs moments d'insouciance et de femme. «On ne faisait pas attention à notre féminité, on se coupait les cheveux court comme les hommes. On mangeait de l'herbe. Je ne savait pas ce qu'était un parfum, on se mirait dans l'eau de la rivière, on dormait dans des grottes», a avoué Mme Farida Belgabour, les larmes aux yeux. Evoquant l'avenir, aucune n'a dénié accorder son pardon à leurs tortionnaires. Amères, certaines avoueront leur déception quant à l'Algérie d'aujourd'hui. «On pensait que les choses allaient changer en bien, pas en mal. On n'est pas encore indépendants...», fait remarquer Baya El Kahla. «Je n'ai pas le droit de dire des bêtises. Mon malheur c'est la mémoire», dira, de son côté, Hassiba Benyellès. Une mémoire qu'il est urgent de retranscrire. Pour preuve, certaines personnes dans la salle ont relevé quelques erreurs et incohérences dans les témoignages, sur lesquels Amina Chouikh s'est défendue en affirmant ne pas être historienne, ni chercheuse, mais une réalisatrice dont l'objectif premier était d'évoquer au-delà de la Guerre d'Algérie, le vécu de ces femmes dans un milieu des plus conservateurs, sans conscience politique et de montrer comment elles ont eu cette envie de militer sans être formées et le regard que portait sur elles la société... des femmes courage, qui refusaient qu'on les marie de force, comme le dévoile si bien ce documentaire! Appuyé d'une bonne partie d'images d'archives, «piratées», Yamina Chouikh a tenu, enfin, à souligner que les droits seront bien sûr achetés et payés en temps voulu.