Des lectures et des débats qui ont soulevé des interrogations, suscité de l'émotion...mais n'ont pu laisser indifférent... Ecrivains, poètes, éditeurs ou simples passionnés de lecture et amoureux de littérature se sont retrouvés mercredi dernier au Bastion 23 pour célébrer Les Nuits de la correspondance dans sa seconde édition algérienne. Vers 16h, les plasticiens finissent de mettre en place leur installation originalement décorée devant servir de chambres d'écriture...Parmi ces artistes, Ammar Bouras, Kheira Slimani...Des musiciens accompagneront l'acte d'écriture de sorte à faire de ces espaces des lieux totalement dédiés à la création artistique. Carnets de voyage est l'intitulé de l'exposition d'Aude Vincent qui retrace par les images les NDC 2001 de Manosque et d'Alger. Signes d'écritures met en exergue la calligraphie plastique de Hachemi Mokrane tandis que Ecriture et alentours dévoile l'historique de l'art postal de Claude Ballaré. Cette journée, qui fut riche en portée intellectuelle et intéressante à différents niveaux par la variété de ses activités, a été inaugurée par une «séance» de lectures croisées entre les écrivains français Dominique Noguez et Stéphane Zagdanski, qui nous liront des extraits de leurs romans respectifs intitulés pour l'un Le grant' écrivain, Amour noir et pour l'autre Noire est beauté et Pauvre De Gaulle ! où il a été question d'amour, de passion, de langue, du rapport complexe avec les mots, du mariage mixte entre Blanc et Noir, «de la stature omnipotente de De Gaulle qui s'est mise à vaciller en 1968» mais aussi de la notion de décalage «pour être au coeur des choses...». Un des projets institué par ces Nuits de la correspondance est le lancement d'un ouvrage franco-algérien par deux jeunes maisons d'édition (Les éditions Barzakh d'Alger et le Bec en l'air, Edition de Manosque). Cet ouvrage est le fruit de la rencontre qui s'est déroulée dans le cadre des nuits de l'an dernier et cette année encore. A ce sujet, une table ronde fut animée par Sofiane Hadjadj, co-éditeur des Editions Barzakh, Fabienne Pavia du côté français et la photographe Aude Vincent. Un débat qui fut modéré par Waciny Laaredj. «Mon travail c'est de faire dialoguer le texte avec l'image, à partir d'images réelles de 2003. L'appel est lancé pour qu'il y ait la même chose sur Marseille. Pour que ces images nourrissent l'imaginaire des écrivains», dira Fabienne. Et Sofiane de préciser «L'idée est de prendre Alger comme matière paysagère, dans sa lumière et sa topographie et voir comment des écrivains saisiront ces photos et parviendront à se raconter et raconter ces images. C'est voir la correspondance qui peut venir à partir de ça.» Pour Aude Vincent, il s'agit de restituer ce qui la touche à partir de cette ville, Alger qui a des lieux très en correspondance avec Marseille, notamment la présence de la mer... Le critère choisi pour son travail est très technique. C'est la couleur en veillant «à ne pas sombrer dans la nostalgie et la mémoire mais de parler de ce qui se passe dans Alger d'aujourd'hui». Ce concept de l'image comme déclencheur pour écrire sur deux villes permettra de «porter un regard vierge et apporter des étonnements», dira Sofiane Hadjadj. Un des moments forts de cette journée fut cette rencontre enrichissante entre deux écrivains, l'un Algérien, poète, un peu nomade. Rachid Boudjedra et l'autre français un auteur pas très connu en Algérie dont l'écrit est inclassable, Jean Rolin qui a rédigé une série de romans d'investigation qui s'inscrit entre le journalisme et l'enquête. Ils discuteront sur le thème de l'inscription de leurs écrits dans la ville et des motifs qui les ont poussés à faire ça. Pour Boudjedra, écrire sur la ville, c'était réagir au roman paysan de certains écrivains arabes, comme Tayeb Salah, qui donnait une sale image de la ville et de ses habitants. Pour Jean Rolin, c'est dans les marges, la zone périphérique que se profile la vision de la société. Pour l'un et l'autre, dont le parcours littéraire a été jalonné de moments forts d'engagement et de militantisme politique, la ville est propice à la clandestinité. C'est là où est concentré l'activisme économique et politique. «Tous mes romans sont presque des structures urbaines alors qu'au fond, je suis né dans un village à Constantine», confie Rachid Boudjedra. Un autre point commun qui lient ces deux romanciers, aucun ne conduit une voiture. Ils préfèrent les transports en commun ou la marche pour mieux apprécier la magie de la ville. Passionné par celle-ci, Boudjedra avoue s'ennuyer à la campagne. Une détente littéraire sympathique qui cèdera la place à cette poignante représentation épistolaire soutenue par des airs de musique andalouse. Philippe Torreton, comédien, ancien de la Comédie française et César du meilleur acteur en 1995 pour son rôle dans Capitaine Conan de Bertrand Tavernier lira un ensemble de lettres publiées par Télérama et baptisé Algérie, je t'écris! Dans ces lettres se dessinent les contours d'une histoire partagée, passionnelle et violente entre l'Algérie et la France, deux pays qui, selon l'expression de Yasmina Khadra, «s'aiment atrocement.» Des souvenirs marquants, indélébiles d'hommes et de femmes dicteront à leur mémoire ces durs ou tendres moments de la guerre et de l'indépendance. La voix chaude du narrateur, Philippe, raconte la mélancolie, «le regret des mimosas», l'insouciance de l'enfance face à la guerre, de cette amitié candide et très touchante de deux jeunes garçons Roger et Mouloud, qui croyaient que rien ne pouvait les séparer...Le temps se penche sur le passé et vient exhumer de vieux souvenirs, des déchirements douloureux, parfois ombrageux mais si vivaces! Le 19 mars 1962, «Algérie française!», le départ des pieds-noirs qui ont mal de l'Algérie, de Zéralda, de sa plage, son sable... Un bourdonnement d'images d'amertume et de nostalgie capteront l'attention du public, transi par tant d'émotion. Une prouesse réussie pour cet acteur qui appréhendait cette lecture. Organisé par le Centre culturel français, en collaboration avec le Palais des raïs et la bibliothèque urbaine d'El Mohamadia, cet événement de la rentrée a eu le mérite de réunir un ensemble de personnes venant des deux côtés de la Méditerranée. Une façon de dire «nous comprenons vos souffrances et partageons votre cause...».