Amoureux des belles lettres, ils se sont tous donné rendez-vous mercredi 26 septembre 2001, au Bastion 23, cette attachante demeure qui fait face à la mer et ce, pour célébrer cet événement littéraire qui a mis en lumière la forme d'écriture la plus proche de notre quotidien: la lettre. Ecrivains, éditeurs, scénaristes, artistes peintres ou simples lecteurs chevronnés ont tous répondu présent, qui pour participer, qui pour apprécier à sa juste valeur cette mémorable journée placée sous le signe de l'écriture et la lecture. Deux notions qui ont fait l'objet de larges débats... Après avoir vu le jour à Manosque, sous l'impulsion de Jean Digne, le président des Nuits, cette manifestation pluridisciplinaire qui «à partir du texte et des auteurs s'ouvre à toutes les formes de créations fondées sur l'échange, les croisements et les connivences» a enfin débarqué chez nous et ce, grâce au Centre culturel français qui entend renforcer les liens entre la France et l'Algérie. C'est bien parti en tout cas. Ainsi donc, c'est mercredi dernier qu'ont débuté chez nous les Nuits de la correspondance. Au programme de ces nuits, des ateliers de calligraphie, des expositions de lettres, de photos de Aude Vincent mettant en images des artistes s'adonnant à la lecture (Jacques Higelin, Jean-Louis Murat...) des rencontres avec des écrivains, des séances de lecture par des auteurs... le tout s'inscrivant dans une «logique d'échange et de coopération à long terme». Car de retour à Manosque le 28 septembre, ces écrivains venant de France (Eric Holder, René Frégni, Anouar Ben Malek, Bernard Giraudeau...) seront tous présents de nouveau à ce festival qui se tiendra jusqu'au 30 du mois. Ils évoqueront ainsi, en compagnie d'auteurs algériens d'Alger et de France, leurs expériences et leurs rapports à la correspondance à l'occasion de cafés littéraires... A noter qu'une mise en correspondance de classes algéroises et manosquines s'est effectuée jeudi dernier à la bibliothèque urbaine de Mohammadia. La photographe Aude Vincent rapportera à Manosque des images des Nuits d'Alger, de la première notamment, qui fut particulièrement empreinte d'un «air de fête». C'est l'écrivain Eric Holder qui l'inaugurera en lisant des extraits de «La correspondance» suivi d'un débat passionné avec le public. L'écriture de nos angoisses Loin de là, l'écrivain Fayçal Ouaret entamait «un dialogue d'Algériens» avec Sofiane Hadjaf, son éditeur (Barzakh) à propos de la correspondance qu'ils ont entretenue cet été. «Que ce soit par téléphone, par fax, ou e-mail, une espèce de correspondance s'est installée entre nous et dont on a été amené à parler. Lui habitait Sétif et moi Alger. Au fil du temps, on s'est rendu compte qu'on ne parlait pas trop de la réalité mais on essayait plutôt de s'en échapper. Plutôt de parler des livres qu'on lit, de la lecture en général et des problèmes que cela peut engendrer pour l'écriture, de nos angoisses. C'est là où le cercle se refermait car nos angoisses, nos doutes, nos questions revenaient sur l'actualité. A la réalité car tout est lié», nous dit Sofiane. Ce qui est intéressant dans la correspondance, estime-t-il, c'est «le fait que cela soit un exercice qui nous amène à travailler sur une autre forme d'écriture puisqu'on s'adresse à quelqu'un directement et en même temps on se rend compte qu'on écrit à soi-même. On s'adresse à un ami bien sûr, mais c'est aussi un prétexte pour parler de soi et essayer d'éclaircir des zones d'ombre que nous-mêmes n'arrivons pas à éclaircir. C'est ce rôle du confident, du confesseur du correspondant qu'il convient de souligner». 18h45, après un dialogue au masculin, c'est place à un autre, féminin celui-ci, entre écrivains, Maïssa Bey et Isabelle Rossignol, animé avec beaucoup de perspicacité par Abderrahmane Djelfaoui. Rien ou presque ne prédisposait ces femmes à se rencontrer. Elles sont devenues «soeurs d'écriture». «C'est par notre manière commune d'être, notre quête... car dans nos romans on parle de ce que l'on ressent ...», souligne Maïssa. A propos d'Isabelle Rossignol, «nous avons commencé brièvement à correspondre le 17 septembre plus exactement (...) je l'ai trouvée intacte, vraie, cela m'a donné envie de lui répondre immédiatement», dit-elle. écrire, un moyen de se connaître Chacune, à travers son roman, que ce soit Cette fille-là, pour M.Bey ou La Permission pour I.Rossignol, a tenté de trouver réponse à cette question: Pourquoi écrit-on? Pour l'une: «Ecrire un roman ou une lettre c'est la même chose. Mes parents étaient paysans. J'ai quitté l'univers de la campagne à l'âge de 8 ans. Il y a toujours ce désir d'y retourner car l'écriture me procure une identité». Isabelle, elle, écrit depuis que son père a quitté la maison. «Ecrire pour moi est un moyen de me connaître, de reconstruire ma vie, de créer un monde où j'aimerais voir réapparaître mon père...» C'est le cas dans La Permission, en effet, qui est une correspondance imaginaire entre une fille et son père. Ecrire, est-ce chercher un confident? s'interroge A.Djelfaoui. Pas pour Maïssa. Elle soutient que dans Cette fille-là considérée comme «un récit de vie» par «l'animateur» car retraçant les péripéties de nombreuses femmes «qu'elle a rencontrées». Ce qui l'anime c'est d'abord cette «tentative de s'accrocher à l'humain pour dénoncer cette violence que subissent les femmes, les atrocités, l'enfermement...» «L'enfermement, un thème qui me parle», répond Isabelle. Et de nous dévoiler ce qu'elle aime dans l'écriture de Maïssa. «C'est son style». J'ai découvert une petite voix singulière qui sait communiquer». Ce style-là est empreint d'oralité, estime A.Djalfaoui. Un autre point commun avec l'auteur de Petite mort et Nuit ordinaire qui dit avoir travaillé son texte La Permission en se basant sur une écriture avec des blancs «car j'allais le proposer à la radio», nous confie-t-elle. Si pour Isabelle, l'écriture a été un moyen de s'échapper de sa solitude, «une nécessité pour lutter contre l'absence», ce n'est pas le cas pour Maïssa qui affirme: «Chaque roman est une naissance pour moi». Suite à ce passionnant dialogue de femmes dans lequel nous avons émergé complètement, nous nous sommes dirigés vers un autre espace de réflexion. Une douce brise musicale Là, Anouar Ben Malek et René Fregni relataient leurs parcours d'écrivain. Un débat orchestré par Waciny Laaredj. Pour le premier, «le roman est une longue lettre qu'on adresse aux lecteurs», ceci pour expliquer son rapport avec la correspondance. René Fregni, lui, cela fait dix ans qu'il anime des ateliers d'écriture. En prison, où il se rend souvent, il est devenu quasiment un facteur. «J'apporte du courrier et j'en sors». Son contact avec l'écriture remonte à l'âge de 19 ans. Il se souvient: «J'ai été appelé pour effectuer mon Service. Je suis arrivé avec deux mois de retard. On m'a considéré comme un déserteur. J'ai été condamné par le tribunal militaire à six mois de prison ferme pendant lesquels je me suis mis à écrire et j'oubliais la prison...» et d'ajouter: «C'est en écrivant que je suis devenu écrivain car je voulais retrouver les mêmes sensations que quand je lisais». René a aussi été infirmier. Il rédigeait des rapports sur les malades, d'une manière humoristique. «Je remplissais des centaines de pages pendant 7 ans». Une passion qui, depuis, ne l'a pas lâché. Notons que son roman Où se perdent les hommes, qui se déroule entièrement en prison, sera bientôt adapté à l'écran. Après s'être délecté des paroles de l'un et de l'autre, un peu à la manière de Bouillon de culture. Une séance de vente-dédicace était propice pour les rencontrer. 20h30, il est temps enfin de pouvoir entendre Bernard Giraudeau lire des extraits de son roman Le marin à l'ancre et de le voir aussi interpréter mais surtout «vivre» son personnage «Bernard» avec autant de fougue que s'il était sur les planches d'un théâtre... Et pour rendre le récit encore plus vivant, plus captivant, une douce brise musicale accompagnait l'orateur dans sa lecture. De fraîches notes des îles, oeuvre des deux musiciens chiliens; Osvaldo Torres et Marco-Antonio Araya-Corea. Le marin à l'ancre est l'histoire d'un jeune marin, qui part à l'âge de 17 ans à la conquête du monde, l'auteur lui-même. Ce sont ses bribes de souvenirs mêlés aux réflexions de l'homme qu'il est devenu aujourd'hui, et retranscrits sous forme de lettres envoyées à son ami Roland. C'est aussi, la chronique d'une amitié qui rêvait d'une fugue aux Marquises, projet qui ne vit jamais le jour. Roland s'étant éteint, il y a trois ans maintenant. «Ces lettres, que j'ai écrites entre 87 et 97, m'ont été renvoyées après sa mort. C'est suite à cela que j'ai décidé d'en faire un roman», explique B.Giraudeau et d'ajouter: «J'ai toujours écrit, mais je ne pensais pas éditer un livre un jour. C'est un hasard, des circonstances plutôt malheureuses. C'est la disparition de mon ami qui a fait que je me lance dans cette aventure... pour achever le voyage aux Marquises».