«Si tu peux, sois un savant; si tu ne peux pas, sois un lettré; si tu ne peux pas, aime-les; et si tu ne peux pas, ne les méprise pas.» Omar Ibn Abdulaziz (le Premier Calife), «Si l'élève n'a pas appris, c'est que l'enseignant n'a pas enseigné» (If the student hasn't learned, the teacher hasn't taught.) Engelmann Lors de la célébration de la Journée mondiale des enseignants, le 5 octobre, au siège de l'Unesco, les activités de la Journée comprendront des initiatives visant à promouvoir l'excellence dans l'enseignement et la façon dont les nouvelles technologies peuvent accélérer le développement des enseignants. Le pilier, le gardien du Temple, est, on le sait, l'enseignant. Qu'est-ce qu'au juste un enseignant? Dans la multitude d'études qui peuvent le définir, le cerner, et lui assigner ses missions, l'analyse de Françoise Appy nous paraît appropriée: «Quel que soit le système, quand l'enseignant est bon, l'élève l'est aussi.» Pour l'élève, on peut parler de réussite scolaire, c'est-à-dire d'atteinte des objectifs définis par les programmes. Autrement dit, qu'est-ce qu'un enseignant efficace? (...) Des très nombreuses études, il est apparu un modèle pédagogique efficace auprès de tous les publics d'élèves, l'enseignement explicite. (...) Ainsi, l'enseignant aura beau faire de son mieux et être très consciencieux dans sa tâche, s'il utilise une méthode inefficace, les élèves n'apprendront pas. On peut en conclure qu'un «bon» enseignant doit être un enseignant efficace et utiliser une méthode pédagogique reconnue comme telle. (...) L'efficacité de l'enseignant n'est pas de l'ordre d'un quelconque charisme personnel, ou d'une personnalité hors du commun, elle est liée directement à son savoir pédagogique. Aborder la question de l'efficacité est souvent mal prise par les enseignants qui se sentent tout de suite mis en cause sur un plan personnel. (..) Il est donc temps, il me semble, d'enfin oser se pencher sur les méthodes pédagogiques et de constater que toutes ne se valent pas. C'est là le coeur du problème.(1) On le voit, tout tourne autour de la méthode pédagogique et de l'enseignant. Si un des paramètres fait défaut, il n'y aura pas de résultat. Les méthodes pédagogiques ont beaucoup évolué et pratiquement depuis Piaget, ce sont des études de recettes qui sont proposées. De plus, l'enseignant n'est plus maître à bord, il rend compte d'une façon permanente et si son «rendement» n'est pas bon, il est remercié. «Cette logique, écrit Gilles Balbastre inspire les réformes françaises. Le gouvernement tente d'affaiblir le statut des enseignants, un corps traditionnellement revendicatif, en individualisant les carrières. «Dynamique et réactif», «disponible», «grand sens de l'autorité naturelle, alliant fermeté et souplesse», «ouverture d'esprit», «capacité à mener des projets», «capacité à innover». Les exigences des employeurs qui déposaient à la veille de l'été 2010 leurs «fiches de recrutement» sur Internet n'étonnent guère. Plus inhabituelle, cependant, est la catégorie professionnelle à laquelle ils s'adressent: les enseignants. Un bouleversement? Pas vraiment. Depuis une petite dizaine d'années, différents ministres se sont évertués à accommoder le service public de l'Education nationale aux principes du management «moderne», en transformant chaque établissement en petite entreprise autonome».(2) La maîtrise de l'informatique Un autre mal ou bien qui préoccupe les parents et les responsables pédagogiques est l'immersion dans l'Internet et la maîtrise de l'informatique. «Il est des périodes, écrit Carole Kéribin, où l'on sent le besoin de s'arrêter et de se poser des questions sur l'évolution du monde. (...) Des moments où on descend ses yeux à hauteur d'homme, où plutôt à la hauteur de ses propres enfants et on se dit que ce sont eux qui continuent le chemin et c'est nous, parents, qui avons le devoir de les guider. Oui mais comment? Nos enfants appartiennent à l'univers de la médiatisation et de l'Internet. Dès leur plus jeune âge, le Web est installé dans leur vie. (...) Nos enfants, eux, ne sont ni séduits ni intéressés par Internet. Ils ont créé la culture du Web, ils y sont nés. L'écriture, au sens littéraire du terme ou la lecture pourrait, si les parents n'y prenaient garde, ne constituer que des sous-activités de cette néoculture. Internet est leur média de communication, de réflexion, d'expression et de création.(...) Pourquoi une telle «révolution»? Internet réunit trois qualités essentielles à ce que souhaite la jeunesse actuelle: il est virtuel, il est instantané et il est anonyme (ou semble l'être). Trois atouts qui corroborent l'individualisme exacerbé des jeunes du XXIe siècle. (...) Aujourd'hui, la communication est virtuelle, elle s'exprime sur Facebook, Twitter ou Myspace. On a des «amis» qui ont les mêmes goûts ou les mêmes affinités mais rien ne nous oblige à les rencontrer ni même à les connaître puisque malgré notre cyberprofil, on reste anonyme, bien au chaud derrière son écran d'ordinateur. On chatte lorsqu'on a envie de se parler, instantanément, avec un langage minimaliste dont on a fixé la sémantique intuitivement, (..) ce qui confère à cette culture une identité communautaire et générationnelle forte.»(3) Carole Kéribin invite à redimensionner l'éducation: «Face à ce constat, ne faut-il pas repenser notre éducation? Ne sommes-nous pas en décalage face à des jeunes dont les valeurs communautaires sont radicalement différentes des nôtres? (...) Bien entendu, nous en sommes encore à une ère de transition, intergénérationnelle où parents et enfants ont un rapport différent à la culture du Net. (...) Avons-nous les bons outils et la façon adéquate pour mener nos enfants vers le chemin de l'épanouissement? (...) Il est temps de définir avec nos enfants un mode de communication interactif, une éducation partagée où, au lieu de s'opposer, il convient de s'adapter. L'information immédiate et instantanée est séductrice mais ne faut-il pas apprendre à nos enfants à comprendre, comparer, expliciter les faits?»(3) Devant les dérives de l'Internet, Carole Kérebin écrit: «Il convient à mon sens de leur apprendre à se fabriquer leur propre jugement en puisant dans différentes sources d'informations par exemple. N'est-ce pas là le rempart à la manipulation des esprits? (...) Nous avons la chance d'être témoin du basculement d'un monde à un autre. L'éducation que nous devons dispenser à nos enfants doit absolument intégrer les outils du XXIe siècle, pour transmettre les valeurs que nous savons essentielles à la bonne continuité du monde, grâce à notre expérience, aux leçons de l'histoire et aux témoignages. L'Education nationale a le devoir de se réformer dans ce sens, sous peine de créer des générations de frustrés. Comment peut-on enseigner si l'on est déconnecté du monde de ses élèves? Comment combattre les démons de l'Internet si l'on n'en maîtrise pas les enjeux et les faiblesses? Il devient nécessaire de parler enfin le même langage sans chercher à tout prix à imposer le sien. (...) Il est grand temps d'arrêter d'être aveugles et de laisser nos enfants s'orienter sans boussole dans ce monde qui les a déjà happés.»(3) En fait, un nouveau monde est né avec cette génération d'enfants nés au XXIe siècle. En fait, le problème est plus complexe. «Pour Pierre Bienvault, les enseignants ont l'impression de ramer à contre-courant avec des enfants qui sont sur une autre planète La «génération Internet» sait se balader sur la Toile, mais pas toujours s'y repérer. Là, comme ailleurs, les enfants qui s'en sortent le mieux sont ceux qui vivent dans des milieux culturellement favorisés La «génération Internet», adepte des nouvelles technologies, reste encore noyée dans le trop plein d'informations diffusées sur la Toile (...) La «génération Y», autre expression utilisée pour désigner les enfants nés quasiment avec une souris dans la main. Toutes les études le prouvent: les jeunes sont aujourd'hui très largement immergés dans les nouvelles technologies. En 2009, on estimait que 94% des 12-17 ans étaient équipés d'un ordinateur à domicile avec, pour 84% d'entre eux, une connexion Internet. (...) Confrontés à ces jeunes «branchés» quasiment en permanence, de plus en plus de parents ou d'enseignants s'interrogent: cet usage intensif des nouvelles technologies modifie-t-il les modes d'apprentissage traditionnels et la relation au savoir? Pour Jean-Michel Fourgous, l'arrivée des technologies de l'information et de la communication (TIC) a, de fait, profondément modifié la société. «L'école n'est plus le lieu unique d'apprentissage et de formation qu'elle était autrefois. L'enseignant n'est plus seul détenteur du savoir. Son autorité est sans cesse remise en cause et l'enseignement unidirectionnel, hiérarchisé et autoritaire, de plus en plus remis en question», (...) Et ils ont un peu de mal avec le modèle classique «descendant» du professeur à l'élève. Quand ils arrivent dans le monde du travail, ils ont aussi parfois du mal avec le système très pyramidal de la hiérarchie, car ils sont plutôt inscrits dans une logique de réseaux sociaux «peer to peer», avec des rapports sur un modèle plus horizontal.» «Ils ont une manipulation très facile de tous les outils, mais, bien souvent, ils n'en ont qu'une connaissance assez superficielle.(...) Ceux qui s'en sortent le mieux sont les enfants qui ont un bagage familial leur permettant de se repérer sur le Web et d'y développer un esprit critique. Ceux qui n'ont pas la chance d'avoir ce soutien familial peuvent facilement se noyer sur la Toile...» Face à ce risque d'une «fracture numérique», l'école a évidemment un rôle crucial à jouer. Selon le rapport Fourgous, la France compte 12,5 ordinateurs pour 100 élèves, loin derrière le Danemark (25 pour 100 élèves en primaire, 50 dans le secondaire). Au Danemark, les élèves ont le droit d'accès à l'Internet le jour de l'examen».(4) On le voit, l'Internet est une nouvelle culture qui, avec son soubassement indispensable l'informatique, va structurer durablement le XXIe siècle. Une lame de fond qui s'empare des systèmes éducatifs dans les pays industrialisés est représentée par la révolution informatique dans l'éducation Un exemple de la puissance de l'informatique? Les attaques récentes du virus Stuxnet contre les systèmes informatiques industriels de l'Iran ont mis en lumière les menaces de la «cyber-guerre», qui n'est plus un mythe. Un «cyber-missile» baptisé Stuxnet a attaqué, en juin dernier, les systèmes de contrôle d'une centrale nucléaire en Iran. La nature et la cible du programme informatique malveillant a d'abord fait envisager le déclenchement de la première guerre électronique mondiale. (...) Tous ces détails suggèrent une conception très sophistiquée qui fait penser à une opération de commando ou d'espionnage effectuée par une agence américaine comme la National Security Agency ou par l'Unité 820 d'Israël.(5) Et surtout, la guerre électronique mondiale est beaucoup plus silencieuse: les radars syriens ont été neutralisés par un ver israélien afin de faciliter un raid aérien sur une centrale nucléaire, un ver russe introduit dans l'ordinateur d'un «touriste» américain a mis en péril toute l'informatique militaire des Etats-Unis. La possession d'un arsenal informatique est devenue l'un des piliers de la défense israélienne, les services militaires chargés du renseignement ayant intégré au coeur de leur stratégie des techniques perfectionnées de «hacking». Se défendre contre une attaque informatique ou endommager des réseaux adverses sont les deux aspects d'une même stratégie impliquant des entreprises technologiques, des spécialistes en sécurité informatique et d'anciens militaires.(6) Où en sommes-nous réellement? Nous sommes des tubes digestifs qui gaspillons paresseusement une rente imméritée en s'en remettant aux étrangers pour gérer à notre place. Avec une production de loin supérieure aux découvertes. Doit-on continuer la bazarisation de l'économie caractérisée par une panne de l'imagination? Ne savons-nous plus rien faire en nous remettant aux autres? Distribuer 280 milliards de dollars sans cap fera qu'à la fin de 2014 nous allons nous retrouver au même point sans avoir avancé dans le développement. Certes, des choses seront faites, mais elles ne pourront pas créer de la richesse. Faire 1000 km d'autoroutes ne crée pas de l'emploi ou si peu pour son entretien et encore ce sont des emplois qui ne créent pas de la richesse. Faire un million de logements qui ne respecte pas les normes d'économie d'énergie, ne crée pas de la richesse. La fausse aisance actuelle est trompeuse, elle n'incite pas à l'effort et à la sueur. Il nous faut une stratégie mobilisatrice dans tous les domaines. Une réévaluation de notre système éducatif dans son ensemble s'impose. Nous devons revoir les méthodes, la formation, introduire l'informatique dans une action coordonnée entre les trois sous-systèmes: éducation nationale, formation professionnelle et enseignement supérieur. Opération laptop Le système éducatif que nous devons atteindre n'est pas celui des chiffres mais celui de l'acte pédagogique au quotidien, acte qui se détériore inexorablement. Ce dont nous avons le plus besoin ce n'est pas uniquement de financement mais de morale, d'éthique et de respect de la science ainsi que des compétences. Je propose la mise en place d'une opération visant à revitaliser notre système éducatif par l'achat d'un million de «laptops» (micro-ordinateur pour les écoliers), leur prix est de 50 dollars (40 euros). L'équivalent de 50 millions de dollars (A peine 8 heures de pompage de nos ressources en hydrocarbures). J'invite le ministre de l'Education à ouvrir le chantier de l'informatique au sein de l'éducation et d'atteindre le seuil de 20 micros par école soit environ pour le premier niveau 500.000 micros (10 micros pour 100). Le ratio devrait être plus important dans le moyen(15) et de 20 micros pour 100 élèves pour le secondaire. C'est au total 1 million de micros à installer d'ici 2014. Des expériences existent, la plus importante est celle développée par le Brésil qui a construit ses propres micros sur la base d'un prototype mis en place au MIT, c'est le cas aussi en Inde, le prix du micro est évalué à 50$. C'est là que la formation professionnelle pourrait donner la mesure de son talent en faisant le montage de ces micros en Algérie. C'est à la fois une formation, une compétence et un savoir-faire accumulées et une réduction de coût; parallèlement et c'est le plus important, il faut constituer des équipes d'universitaires, de psychologues et d'enseignants de l'éducation pour élaborer les programmes par niveau et mettre en place un programme de recrutement ou de recyclage d'enseignants en mettant à profit l'Internet par école et les élèves auront à voir sur écran un cours pré-enregistré. Nous devons commencer sans délai pour rattraper un retard qui risque de nous compromettre définitivement l'avenir de notre système éducatif. (*) Ecole nationale polytechnique 1.Françoise Appy: Qu'est-ce qu'un bon enseignant? http://www.3evoie.org/ 3 03 2010 2.Gilles Balbastre:A quoi sert l'éducation secondaire? Le Monde Diplomatique 10. 2010 3.Caroline Kéribin: La cyberéducation LeMonde.fr 17.09.10 4.Pierre Bienvault: Ces enfants nés avec une souris dans la main La Croix 19.08.2010 5.La «cyber-guerre» n'est plus un mythe. 29 septembre 2010-http://www.letelegramme.com 6.Dan Williams Reuters L'informatique au centre de la stratégie israélienne 28.09.2010.