La communication des autorités locales est très timide en direction des entrepreneurs et de la population. Une étude de la Banque mondiale, intitulée «la réhabilitation urbaine des médinas», met en relief la contribution de la réhabilitation du patrimoine culturel dans le développement économique d'une ville et partant, d'une région. Dellys qui renferme un patrimoine historique et culturel très diversifié situé, notamment dans la vieille ville, possèderait, selon cette théorie, des atouts qui permettraient de la faire sortir du marasme économique et social actuels (chômage, drogue, harga, etc) et relancer son économie. La vieille ville de Dellys est le produit de plusieurs civilisations qui se sont succédé en Afrique du Nord dont une partie des vestiges sont enfouis sous les constructions de la casbah. Elle est délimitée par le texte relatif à sa sauvegarde, des constructions qui se trouvent à l'intérieur du mur de défense y compris le port. Elle comprend le mur de soutènement, la casbah, les sites religieux, le vieux port ainsi que les bâtiments administratifs et autres succursales d'entreprises publiques et magasins situés dans les ex-quartiers européens. Ces constructions ont subi d'importantes dégradations physiques et sociales dues à plusieurs facteurs tels que l'abandon par une partie de leur population d'origine et une croissance urbaine rapide de la ville et de ses environs immédiats mais également au séisme de mai 2003. Ces dégradations ont conduit à des flux migratoires de la population vers d'autres quartiers qui gravitent autour de la vieille ville mais également vers d'autres grandes villes, notamment le chef-lieu de la wilaya mais également vers Tizi Ouzou et Alger. Ces flux concernent également les activités économiques, sociales et culturelles qui ont trouvé d'autres lieux de résidence que la vieille ville. Cette tendance ira crescendo au regard de la limite du périmètre de sauvegarde qui comprend tout l'espace bâti et non bâti à l'intérieur du mur de défense. Les populations riches et à revenu moyen ont quitté la vieille ville pour s'installer dans les quartiers limitrophes et notamment aux jardins et la nouvelle ville conduisant à la disparition de l'équilibre social qui a existé durant des siècles particulièrement au niveau de la casbah avec des retombées sur l'état physique des constructions et de leurs habitants. La casbah, dans ses composantes basse (Sidi El Harfi et Sidi El Boukhari) et haute (Sidi Yahia), a également subi une paupérisation quasi totale avec l'afflux des segments pauvres de la population qui ont trouvé refuge et location à bon marché conduisant à un manque d'entretien des constructions causé par la nature complexe des types de propriété de la casbah et des statuts de ses habitants qui se répartissent entre propriétaires de constructions dans l'indivis ainsi que des locataires, sous-locataires et squatters qui ne se sentent pas concernés par l'entretien des constructions qu'ils utilisent. S'y ajoute le désintérêt des autorités publiques y compris locales. Jusqu'à une date récente, les efforts des pouvoirs publics se sont concentrés sur la gestion de la croissance urbaine, la fourniture d'infrastructures et de services aux agglomérations qui ont souvent doublé ou triplé dans leur taille en quelques décennies, en d'autres termes, à répondre à la demande des groupes sociaux habitant dans les agglomérations modernes en mettant complètement de côté les besoins en infrastructures et en services de la casbah. La nature de sa structure urbaine où la circulation automobile est inexistante est perçue comme un blocage à la fourniture de services et constitue l'excuse adéquate pour ne rien entreprendre à cet endroit. En réalité, les pouvoirs publics ont rarement été capables de formuler et d'appliquer une politique destinée à assurer la réhabilitation de la vieille ville et surtout de la casbah en raison de leur incapacité de développer les moyens institutionnels, financiers (budget limité) et techniques complexes mais nécessaires pour réaliser ce type d'opération. Les solutions n'ont jamais été cherchées du coté de l'initiative privée mais toujours auprès de l'Etat. Cette incapacité est perceptible au niveau de l'administration centrale de la wilaya. Les travaux ont été entamés sans l'existence d'un plan de développement et d'aménagement urbains. Les responsables des administrations donnent des explications différentes voire contradictoires. Voici quelques propos de ces autorités: le budget est consommé, l'Etat ne va pas assurer l'entière réhabilitation, les habitants doivent y contribuer, (le chef de projet du bureau d'architecture), l'Etat va assurer le tout et va confisquer les constructions des propriétaires défaillants (le wali). Ces discours contradictoires pourraient se justifier par le fait éventuel que ce projet se heurterait à des intérêts antagoniques et ou par le fait que les pouvoirs publics ne possèderaient pas de vision ou de stratégie claire à cet effet. Pour la population, l'objectif de la réhabilitation de la vieille ville s'inscrit dans le cadre de la relance de l'économie locale permettant l'augmentation des revenus et partant, la réduction de la pauvreté et notamment de celle de la population qui réside à la casbah. Depuis sa création, la vieille ville a existé en tant que univers urbain autonome comprenant toutes les activités économiques, sociales et institutionnelles. Elle est entourée de quartiers et de villages sur lesquel elle exerce son autorité et son influence. Cela a changé depuis que la vieille ville est devenue un noyau d'une plus grande agglomération dans laquelle elle ne représente qu'une petite portion: entre 10 à 15% de sa population totale. Cela conduit à un inversement des liens fonctionnels entre la vieille ville et les autres espaces formant l'agglomération. La relance de l'économie locale ne peut découler que d'une étude assez détaillée des nouveaux liens de la vieille ville avec les autres espaces urbains. Ce point est très important étant donné que différents groupes contribuent différemment à l'économie de la vieille ville. Son succès dépendra de la compréhension et du renforcement de sa dynamique économique et sociale et de l'implication de tous les protagonistes de la ville. Globalement, les utilisateurs des vieilles villes se divisent en quatre groupes distincts. Il y a les résidents, les habitants des quartiers environnants, les visiteurs nationaux notamment pendant la période estivale, et éventuellement, les visiteurs étrangers. Chaque groupe utilise la vieille ville à sa manière et accède à une de différents services: - Les résidents ont besoin des services de la santé, l'éducation, le marché des produits agricoles, les magasins, les mosquées et les cafés, les cinémas et les centres culturels. - Les résidents des espaces limitrophes et les visiteurs nationaux utilisent la vieille ville pour différents objectifs. Les premiers, pour les produits de consommation traditionnelle et artisanaux, les derniers visitent les sites culturels et historiques, ils achètent les produits locaux pour les ramener à leurs domiciles. Ce fut le cas le cas dans les années 70 avec différents produits d'artisanat faits de doum pour Dellys. - Les touristes étrangers dont l'intérêt se porte sur les musées, les galeries d'art et les manifestations culturelles, les restaurants, des produits d'artisanat traditionnel, des souvenirs et autres produits spécialisés qui ne peuvent être trouvés que localement. Les conditions d'un tourisme à destination de l'étranger à Dellys sont faibles du fait que les activités d'hospitalité (hôtels, restaurants de haut standing, maison d'hôtes) sont quasiment absentes ou laissent à désirer mais des pistes sérieuses existent pour l'avenir, une fois la ville remise entièrement à ses habitants. De même que pour l'attraction des touristes nationaux, qui reste handicapée par la situation sécuritaire. Comment promouvoir les loisirs et les compétitions marines (voile, aviron, water-polo, etc) si le port reste fermé? Comment créer des circuits touristiques impliquant le vieux port s'il n'y a pas un libre accès à cet édifice? Comment faire un circuit pour touristes visitant la casbah quand sa partie basse est inaccessible? Pour la réhabilitation de la vieille ville qui pourrait booster l'économie locale, il faut réussir: - la préservation du patrimoine historique et culturel; - la promotion de l'artisanat, des activités culturelles (festival et autres évènements) et l'industrie de l'hospitalité (hôtellerie, maisons d'accueil, restaurants); - la satisfaction des besoins des résidents notamment ceux de la casbah à travers des stratégies d'investissements centrées sur la création des activités économiques et des emplois. Toutes ces opérations, menées simultanément, nécessitent des fonds énormes qui ne peuvent, peut-être, pas être alloués par l'Etat en une seule fois alors que la situation économique et sociale de la ville est explosive: la population augmente et en conséquence le chômage et tous les autres maux sociaux qui lui sont liés. Cette situation risque de devenir incontrôlable en l'absence de perspectives économiques. Pour accélérer la réalisation du projet de réhabilitation, la part du privé doit être également conséquente. En d'autres termes, il faut éviter à ce que le projet de réhabilitation devienne interminable, indéterminable dans le temps, c'est-à-dire, une sorte de mythe de Sisyphe. Il faut que les pouvoirs publics ainsi que des entreprises privées et des associations s'engagent résolument et sincèrement. La réhabilitation de la vieille ville et de la casbah, si elle est bien menée, redonnera à Dellys son lustre d'antan et fera redémarrer son économie basée sur le tourisme impliquant la réhabilitation des sites historiques et culturels. L'implication des autorités locales semble très timide en termes de communication en direction des opérateurs économiques mais également envers la population de la casbah alors que la réussite de cette opération dépendra également de ces deux derniers groupes d'intérêt. Cette situation semble paradoxale car elle ne trouve aucune explication rationnelle quand on sait que ces autorités seront les premières bénéficiaires, au plan politique, de la réussite de cette opération. Leur silence ne s'explique pas devant les malfaçons observées au niveau de certains ouvrages restaurés et la reconduction de certains flibustiers, reconvertis, pour la conjoncture, en restaurateurs. Si pour ces autorités et particulièrement la direction de la culture de la wilaya, c'est une simple opération qu'il faut réaliser pour consommer la ligne budgétaire allouée à cet effet, la population de Dellys ne l'entend pas de cette façon et s'opposera à toute tentative malveillante de détournement et de gaspillage des ressources collectives. La raison en est très simple: l'échec de ce projet de réhabilitation conduira à la persistance du cauchemar actuel, préjudiciable au monde sensé, alors que sa réussite pourrait créer une vie économique prospère et en conséquence une situation sociale et sécuritaire détendue. La réussite de ce projet de réhabilitation permettra de rompre, définitivement, avec le visage lugubre de la ville de Dellys, sa monotonie, l'ennui mortel et le goût amer de ses journées pour retrouver l'ancienne «Dellysieuse» avec tous ses délices: le sport nautique et ses plongeoirs, la course aux canards, le water-polo, la pétanque, le festival des danses populaires et toutes les autres activités culturelles qu'elle a, jadis, connues. En un mot retrouver la joie de vivre. Mohamed GHERNAOUT est économiste, membre de l'Association Casbah de Dellys