Un maquisard de l'ALN devant le mémorial de la Résistance française En ce début d'été, nous étions en randonnée dans les Alpes avec Saddek mon gendre, un féru de la montagne, qui a fait ses premières expériences à Tikjda (Algérie). Je découvris pour la deuxième fois cette belle région des Alpes. Mais aujourd'hui, c'est autre chose puisque je me suis retrouvé pour la première fois dans le Vercors, devant le mémorial de la Résistance. Il s'agissait de revisiter l'Histoire en allant à la découverte d'un aspect important de la Seconde Guerre mondiale qui est celui de la Résistance française contre l'occupant nazi. Le Vercors pour nous, est connu, même si nous ne l'avions jamais vu! Je me rappelle en avoir entendu parler dans mon école primaire de Tighilt (Sidi Aïch) vers 1952. Mais la véritable explication nous est venue au maquis en 1958 du Dr Ahmed Benabid, le médecin-chef de la Wilaya III historique pendant la guerre de Libération. Oui, ancien résistant dans le Vercors pour participer à la libération de la France et il était aussi ancin maquisard pour la libération de sa patrie, l'Algérie. Cet homme, à l'unique parcours pour avoir fait deux résistances, en était très fier et nous le redira encore plusieurs années après l'Indépendance de l'Algérie. Pour lui, le maquis n'avait plus de secret. Il en connaissait la tactique, les habitudes, la mort, la fraternité d'armes, l'acharnement de l'ennemi (qu'il soit français ou allemand), la survie, les opérations de ratissage, l'espoir de vaincre, la haine de ceux d'en face et la trahison de certains... La communion La trahison, il en connaissait quelque chose. Les résistants français étaient obligés de livrer bataille, non seulement à 20.000 soldats nazis, mais aussi aux 500 miliciens français, collaborateurs des Allemands. Certains de ces miliciens s'étaient même infiltrés dans les rangs de la Résistance et, dès les premières attaques, ils retournèrent leurs armes contre leurs frères! Mais l'Histoire du Vercors est faite d'honneur, de discipline et de sacrifices face à la capitulation du gouvernement de Vichy et à la trahison des miliciens, des policiers soumis et autres mercenaires à la solde des nazis. Dès les premiers jours de l'armistice, des hommes et des femmes épris de liberté, qui n'ont jamais accepté cette capitulation, ont convergé vers cette chaîne de montagnes pour organiser la résistance contre l'envahisseur nazi. Des chefs illustres allaient se révéler: l'architecte Pierre Dalloz, l'écrivain Jean Prévot, le journaliste Yves Farge et Alain Rey, un officier de l'armée défaite. Il ne faut pas oublier aussi Eugène Chavant, un autre responsable émergeant des civils qui rejoignirent en masse le Vercors. Mais il fallait des armes pour ces milliers de volontaires venus faire la guerre les mains nues! Le premier parachutage d'armes et de matériel eut lieu en novembre 1943, sans pour autant satisfaire tout ce monde qui attendait impatiemment, l'approvisionnement qui viendrait du ciel. Malheureusement, la moitié de ces volontaires s'étaient retrouvés sans armes. Certains historiens et observateurs voyaient l'abandon des maquis de l'Intérieur par les chefs basés à l'Extérieur, ce qui allait se produire 15 ans après, lors de la guerre de libération en Algérie. Devant une telle débâcle, Charles Tillon, un chef avisé de la Résistance, préconisait alors la mise en place de petits maquis ou la répartition de ces troupes à travers la chaîne de montagnes où les résistants seraient disséminés un peu partout, ce qui me rappela beaucoup notre organisation des maquis algériens lors des opérations Challe. Malheureusement, Tillon ne fut pas écouté, peut-être par le fait que tous les résistants ne dépendaient pas d'un commandement unique. Et quelques mois après seulement, c'est-à-dire en janvier 1944, 20.000 soldats allemands envahissent le Vercors avec 500 miliciens français commandés par Raoul Dagostini, un nom qui porte la honte et la trahison. De l'autre côté, les partisans étaient commandés par le lieutenant-colonel François Huet. En juillet 1944, ce fut l'affrontement entre les antagonistes; mais devant l'importance des effectifs et des moyens nazis, cet officier supérieur ordonna la dispersion en groupes, pour rejoindre la tactique préconisée par Tillon. Malheureusement, c'était trop tard. Et l'acte le plus héroïque fut celui du lieutenant Chabal et ses hommes qui se sont sacrifiés afin de retarder l'assaut des Allemands et permettre un repli du reste de la troupe. De tels actes héroïques étaient nombreux dans nos maquis algériens. Il faut reconnaître un esprit de sacrifice exceptionnel d'un groupe ou d'un homme pour sauver la vie des autres moudjahidine. Et cinquante ans après, je vis une communion entre les résistants français dans le Vercors et les résistants algériens, avec les mêmes sacrifices, le même héroïsme. C'est pour toutes ces raisons qu'une fois arrivé devant ce mémorial, ma première pensée est allée vers le Dr Benabid. Je le revoyais toujours souriant, affable, toujours prêt à apporter une pointe d'humour au milieu des combattants de l'ALN qui l'estimaient, qui le respectaient et qui le vénéraient même. Nombre d'entre eux n'avaient jamais vu de médecin de leur vie et aujourd'hui, il est avec eux, à leurs côtés avec les mêmes sentiments d'amour pour la patrie, le désir de se sacrifier pour notre cause et supporter les conditions de vie extrêmement difficiles dans les maquis. A chaque fois que nous nous heurtions à des situations inextricables, il nous dira: «J'en ai vu pire dans le Vercors.» Et la chose qui nous rapprochait aussi des résistants français, c'était le Chant des partisans que nous entonnions, surtout au PC de wilaya où seuls les compagnons cultivés le connaissaient et le chantaient: Ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines Ami entends-tu le bruit sourd du pays qu'on enchaîne, Ohé partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme... Ami si tu tombes, un autre sort de l'ombre à ta place. Devant tant de souvenirs et tant de choses qui défilent dans ma tête, l'image du Dr Benabid ne pouvait et ne devait être absente à ce recueillement. Là, en ce moment devant ce mémorial, il y a une part de lui, une part qui lui revient, un héritage que ses enfants et nous-mêmes devrions revendiquer. Dix ans après sa mort, il est toujours là, près de moi, pour me remémorer son combat dans les maquis du Vercors et parmi nous dans l'Akfadou et ailleurs. Et je revois son sourire malicieux et un regard qui en disait long sur son parcours. Mes pensées vont aussi vers ceux de ses compagnons du Vercors, ses frères d'armes qu'il a côtoyés pour affronter ensemble les nazis et les miliciens. Grâce à leurs actions, à leur combat et à leur ténacité, le Vercors est devenu un haut lieu de la Résistance, le symbole éternel de ces hommes et de ces femmes qui n'ont jamais accepté la capitulation de Vichy et de leur désespoir à abandonner leur pays entre les mains des envahisseurs allemands. Combien d'entre eux étaient tombés, là tout près, sinon aux alentours, sur les crêtes! Je les imaginais avec leurs tenues hétéroclites, comme nous dans nos maquis, avec leurs armes désuètes, comme les fameuses mitraillettes «Sten», leurs mousquetons, bref, des armes loin d'égaler celles de l'envahisseur! Mais ces braves se distinguaient par leur courage, leur détermination à combattre et à mourir pour l'honneur, pour la patrie. C'étaient exactement les mêmes motivations qui nous avaient poussés, les mêmes valeurs, les mêmes sacrifices lors de notre guerre de Libération. En principe, chez les hommes et les femmes d'ici ou de chez nous, il n'y a pas de place pour la compromission, pour la lâcheté et la trahison! Justement, les chercheurs, les Historiens ou de simples gens comme nous, se posent des questions sur l'extermination des maquis du Vercors. L'histoire ou les témoignages doivent dévoiler cette fin tragique de ces braves qui ont combattu, résisté et qui sont tombés au champ d'honneur. Après cette visite à travers les tréfonds de l'Histoire de la Résistance dans le Vercors, je continue mon chemin. Après avoir franchi Saint-Nizier, nous traversions la forêt. A travers des sentiers escarpés, nous suivions l'itinéraire tracé par les spécialistes de la montagne. Notre ascension se poursuit difficilement, car il fallait atteindre Moucherotte, à...1896 mètres d'altitude, alors que nous n'en étions qu'à 1200 mètres au départ. Il nous faudra affronter un dénivelé de près de 800 mètres! Plus nous avancions, plus nous découvrions la beauté de ces lieux magiques, de cette forêt faite de sapins, peut-être centenaires, qui se dressent majestueusement droit vers le ciel, comme pour montrer leur résistance à ce climat rude de l'hiver et leur fierté de faire partie du décor dans le Vercors et d'avoir abrité des hommes et des femmes qui sont venus là pour combattre et se camoufler du regard ennemi. Un haut lieu de la résistance Nous continuons notre ascension, lentement et péniblement avec le même rythme, la même ardeur. Nous transpirons et étions même essoufflés en allant à la découverte de Moucherotte. Une fois arrivés, un magnifique panorama s'offre à nous sur le versant ouest vers Grenoble et la Vallée de l'Isère. Vers le nord, c'est la chaîne de montagnes de Lans-en-Vercors qui nous attire. Déjà, le week-end passé, nous avions également réalisé en famille la randonnée et grimpé jusqu'à Shamme Chaude à 2080 mètres d'altitude. Au moment de parvenir au sommet, nous nous sentions essoufflés et épuisés, presque à l'image de ces alpinistes qui défiaient l'Himalaya ou le mont Everest! Arrivés au pic, nous trouvions des gens avec le visage marqué par l'épuisement, mais radieux; répartis en petits groupes, ils se retrouvent pour se restaurer et se reposer avant d'affronter la descente qui est loin d'être facile comme nous l'espérions. Et c'est à l'arrivée au point de départ que tout le monde ressentit la fierté «d'avoir dompté» cette montagne qui nous apparaît à chaque fois belle et rebelle Pour nous, il s'agissait d'un défi! Que ce soit à Shamme Chaude ou à Moucherotte, il y a toujours un sentiment de fierté d'avoir bravé la montagne, cette montagne qui, pourtant, ne pardonne pas les erreurs. Elle ne pardonne pas aussi qu'on la sous-estime, qu'on la méprise, car elle est toujours là pour nous le faire payer.. D'ailleurs, lors de notre première randonnée à Shamme Chaude, nous avions découvert une croix, des fleurs et une plaque pour rappeler aux visiteurs qu'un jeune homme de trente ans y a laissé sa vie, il y a quelques semaines seulement. C'est dire que la montagne est quelque chose de sacré auprès de laquelle nous pouvions rechercher protection, sécurité et complicité. Elle n'accepte pas qu'on la néglige, qu'on la déteste. Elle est à l'image d'une vieille dame qui tient à mettre en valeur sa personnalité et imposer son autorité auprès de ceux qui l'approcheraient. Ancien officier de l'ALN (1956-1962) Ecrivain.