«Ce temps de souffrance n'est pas pour toujours, Bien qu'aujourd'hui la fureur nous embrase, L'Algérie se relèvera de son mal; La connaissance donnera des bourgeons.» S'il est évident que la diversité thématique de l'oeuvre poétique de Matoub Lounès a été exceptionnelle, il est aussi vrai que le thème de l'Algérie est l'un de ceux qui reviennent le plus dans tous ses textes. Le sujet rebondit sous plusieurs formes et dans divers contextes. Mais dans tous les cas, Matoub a chanté l'Algérie et son amour infini pour sa patrie. Un amour derrière lequel ne se dissimule aucun opportunisme ni aucune récompense matérielle aussi alléchante soit-elle. Matoub a chanté l'Algérie parce qu'il l'aimait. Point. Matoub aimait tellement son pays qu'il a, dans plus d'un texte, comparé l'Algérie à sa mère. C'est le cas, entre autres, dans la chanson «Communion avec la patrie». Dans ce texte sorti en 1993, Matoub Lounès met en scène un dialogue entre la patrie, le révolutionnaire et la société. C'était à une période difficile que traversait l'Algérie. Matoub Lounès, à travers cette conversation regorgeant d'images poétiques et de métaphores, tente de trouver les raisons de ce déluge entre les enfants d'un même pays. A la mère patrie qui s'interroge, le poète-révolutionnaire tente de trouver des explications sensées aux raisons de cette agonie. Ces vers de Matoub Lounès, à eux-seuls, reflètent la profondeur de la passion inénarrable qui l'attachait à son Algérie pour laquelle il est tombé: «Et moi, écoeurant mes racines jusqu'au reniement, Quelle sera l'offrande suprême? Où se trouve le remède à ma souffrance? L'angoisse me pertuise, habite mon coeur; Mon corps est flétri, mes membres desséchés, ce sont les penchants de ma progéniture, Qui me ravagent le cerveau, Chacun selon ses prêches». Matoub, à l'instar de beaucoup de poètes qui ont refusé de se ranger dans aucun rang, a été mal compris ou carrément incompris. Souvent, son oeuvre poétique a été analysée de manière fragmentée, ce qui n'a pas été sans défigurer le vrai message qu'il voulait transmettre. Or, la poésie de Matoub est un tout. On ne pourra jamais saisir sa portée si l'on prenait chaque vers ou chaque strophe en aparté ou encore si l'on faisait abstraction de chaque contexte où un texte a été écrit. A l'instar de sa langue maternelle tamazight pour laquelle il revendiquait un statut, l'Algérie demeurait une constance dans toute son oeuvre. Ce n'est pas parce qu'il dénonçait les gouvernants que Matoub détestait l'Algérie. Il avait le droit de ne pas être d'accord avec les orientations de ceux qui avait dirigé le pays et aimer l'Algérie. Autrement, en quoi consiste la liberté d'expression? On pouvait bien aimer l'Algérie de manière différente. Si Matoub n'avait pas raison, pourquoi alors tamazight est aujourd'hui une langue nationale dotée d'une chaîne de télévision et enseignée dans les écoles publiques algériennes? En faisant le lien entre tamazight et l'Algérie, Matoub était loin d'être contre la langue arabe. Autrement, comment expliquer cet extrait de la chanson Regard sur l'histoire d'un pays damné: «Je foulerai Orient et Occident, J'affronterai le gel et les galères, Quelle que soit la langue parlée par chacun, Que l'on dise seulement, je suis Algérien». Ou encore cet autre passage du même texte: «La fièvre jaune se saisit du peuple entier, De l'Algérie le coeur est lacéré, Octobre ne sera pas extirpé des cerveaux, Quand demain nous trouverons le bonheur». Dans la même chanson, Matoub brandit fièrement, haut et fort son algériannité: «Qu'il dise: je suis Algérien, Les siècles perfides m'ont trompé, Je remonterai vers mes racines, Dussé-je les abreuver de mon sang». En tout état de cause, aucun poète algérien ou chanteur n'a cité autant de fois dans ses textes les mots: Algérie, mon pays, Algérien...Quand il s'agit de l'amazighité ou du terrorisme, Matoub aussi clamait ses visions nationales comme quand il espère: «Il faut une torche ardente, Que l'Algérien s'y meurtrisse, Afin de retrouver la mémoire, Et la voie de son identité proscrite». Dans un seul article, il est impossible de revisiter l'ensemble des extraits où Matoub parle de l'Algérie. C'est là juste un bref échantillon mais on ne peut pas conclure sans s'en référer à cette strophe: «Kenza, ma fille, Endure mon deuil, Nous succombons sacrifiés, Pour l'Algérie de demain» ou encore: «Ce temps de souffrance n'est pas pour toujours, Bien qu'aujourd'hui la fureur nous embrase, L'Algérie se relèvera de son mal; La connaissance donnera des bourgeons.»