Pourquoi Lakhdar est-il arrivé à cette solution extrême, celle du désespoir? «Vite! Il va se tuer et tuer sa fille», crie un agent de sécurité. Ses collègues se précipitent. Lakhdar Malki, agent de sécurité âgé de 38 ans, briquet à la main s'apprête à s'immoler par le feu. De l'autre main, il tient sa fille, handicapée moteure 100%. «Non! Il va brûler sa fille», crie un autre agent. Lakhdar s'asperge puis arrose sa fille d'essence. Il a allumé le briquet. Sa fille regarde s'approcher la flamme de son corps mais ne peut rien faire. La flamme s'approche. Sa vie ne tient qu'à un geste salvateur. Le père a le regard hagard. La flamme risque de dévorer deux vies humaines. Le drame est imminent. C'est le point de non-retour. Et la flamme...change de main. En deux temps, trois mouvements, les autres agents de sécurité ont empêché Lakhdar de commettre l'irréparable. Il est, ensuite, conduit à l'hôpital psychiatrique Mahfoud Bousebsi de Chéraga. Cette tentative d'immolation par le feu a provoqué un vent de colère au niveau de l'agence BDL (Banque du développement local) de Staouéli à l'ouest d'Alger. Les collègues de Lahkdar quittent leurs postes de travail. Cet élan se transforme en un rassemblement dans l'enceinte de l'agence BDL. «Non à la hogra!», peut-on lire sur l'une des pancartes accrochée au mur, à l'entrée de l'agence. «P-DG partez! P-DG partez!» scandent les manifestants. Les rangs de la manifestation s'élargissent. Pourquoi Lakhdar est-il arrivé à cette extrémité de choisir la solution du désespoir? Les témoignages de ses collègues sont unanimes. «Père de trois filles, il travaille à l'agence depuis 18 ans. Jusqu'à aujourd'hui (hier), il n'a pas encore été titularisé», dénonce Ali Amrouche, employé à la caisse principale. «Il touche le modeste salaire de 20.000 dinars par mois», souligne-t-il. L'étincelle de Lakhdar a allumé les feux de la contestation. Les murs du silence sont brisés. Les langues se délient. «L'acte de Lakhdar nous a encouragés à sortir et dénoncer l'injustice dont nous sommes victimes», lance une employée qui accumule plus de 30 ans de service. «Cela fait 11 ans que je n'ai pas eu de points. Je m'apprête à prendre ma retraite avec une pension de 19.000 DA», déplore-t-elle. Les travailleurs dénoncent les privilèges dont jouissent quelques-uns de leurs collègues. «Des personnes recrutées récemment, de l'extérieur de l'agence, ont bénéficié de promotions et de congés. Ces avantages nous sont interdits», regrette une secrétaire, 27 ans de service. Elle jette un véritable pavé dans la mare. «Le P-DG a adressé, récemment, un courrier à la Casnos de Staouéli, demandant de ne pas rembourser les travailleurs titulaires d'arrêts de travail», révèle-t-elle. Le président-directeur général, Arselan Bachtarzi, se porte en faux contre ces assertions. «Je n'ai ramené personne de l'extérieur. Nous travaillons selon les priorités définies par la banque», déclare le patron de la BDL, à l'adresse des journalistes présents dans son bureau. Il affirme que les travailleurs ont bénéficié d'une augmentation de salaire au 1er janvier de cette année. Qu'en est-il de la titularisation des agents de sécurité? Le P-DG assure: «Nous sommes en train de réfléchir à la formule adéquate pour leur titularisation. Une autre solution est possible. Celle de leur affectation vers une société de gardiennage». Il assure que les arriérés des employés seront pris en charge. «Mon rappel couvre 25 ans de service. Alors, je demande au P-DG, vous allez me donnez combien pour réparer cette injustice?», fulmine, pour sa part, Mohamed Saïdi, agent administratif polyvalent. Il présente son bulletin de paie. Recruté en 1986, il a été promu à son poste actuel en 2001. De son côté, Mustapha Fard, chauffeur, s'adresse à qui veut l'entendre: «Je suis victime de hogra!». Il exhibe la copie d'un avertissement qui a été versé dans son dossier. «J'ai été sanctionné pour manque de respect à mon supérieur alors que je n'ai jamais eu de problème avec lui», assure-t-il. Un cas particulier attire l'attention. Il s'agit de celui de Amine Bouadda, l'un des employés de l'agence. Il n'est autre que le célèbre comédien de Taxi El Medjnoun, la série loufoque qui passait durant le Ramadhan il y a quelques années. Celui qui faisait rire les téléspectateurs algériens a du mal à sourire aujourd'hui. Il est atteint d'une paralysie faciale. «Cela fait un mois que je suis dans cet état. J'ai eu un accident durant mon travail. Seulement, je ne suis pas pris en charge», regrette-t-il. La colère semble avoir gagné les autres directions de la BDL. «Les directions régionales d'Alger, Oran, Constantine, Blida, Tizi Ouzou et Boumerdès ont observé un arrêt de travail par solidarité à notre mouvement», lance l'un des contestataires sous les applaudissements nourris de la foule. Ce vent de colère risque de provoquer la tempête...