Tout de suite après le discours prononcé jeudi, les manifestants, outrés, ont crié des slogans hostiles au président égyptien et à son vice-président. La situation ne se décante pas en Egypte. Bien au contraire, le discours du président Hosni Moubarak est allé à contresens de l'attente de la population égyptienne et des observateurs, comme des chancelleries et des dirigeants étrangers, qui, tous, attendaient, sa démission en marge du discours adressé à la nation égyptienne, jeudi soir. Au lieu de cela, faisant totalement abstraction des évènements qui secouent le pays depuis plusieurs semaines, Moubarak s'est comporté comme si tout ce qui s'est passé depuis le 25 janvier en Egypte n'aurait été qu'une mauvaise parenthèse, qu'il fallait, sans tarder, fermer, dans une adresse surréaliste à la jeunesse égyptienne, fer de lance de la révolution qui bouleverse le pays. Incroyable! voilà un président qui n'a rien compris à son peuple! Bien plus, juste après le discours du raïs, des dizaines de milliers de manifestants massés sur l'espace de Maydane At-Tahrir, au coeur du Caire, brandissaient vers l'écran, sur lequel ils ont suivi le discours, leurs chaussures. Une insulte très égyptienne qui se passe de commentaires. Jeudi, les manifestants qui ont envahi les places de la capitale égyptienne étaient estimés à trois millions de personnes. Que disaient ces manifestants à l'adresse du raïs? «Dégage!». Hier, ce n'est plus seulement Le Caire, Alexandrie et Suez ou Port Saïd, ce sont des dizaines de villes égyptiennes qui se sont soulevées demandant le départ sans délai de Moubarak et... du nouveau président intérimaire fraîchement désigné: Omar Souleimane. «Dégagez!» s'égosillait hier la foule. En fait, le peuple égyptien s'est exprimé, il ne veut plus de Moubarak et de son clan comme de toutes personnes qui représentent d'autres intérêts que ceux du peuple égyptien. La fureur des manifestants est d'autant plus grande que l'armée, dont le rôle reste peu clair, a, dans sa première réaction après le discours de Moubarak, donné sa «caution» à la transition conforme au plan rendu public jeudi soir par un président égyptien en sursis. La position de l'armée qui s'est, certes, abstenue de tirer sur les manifestants, n'en reste pas moins ambiguë quant à sa situation réelle vis-à-vis de la révolte de la jeunesse. Elle semblait ainsi, hier, balancer entre sa loyauté, sinon à Moubarak, du moins au régime qu'il a fondé et le devoir de se mettre au service des Egyptiens. Mais l'incertitude ne saurait durer et l'armée devra d'une manière ou d'une autre choisir: suivre un régime honni ou accompagner la révolution citoyenne du peuple égyptien. Question: quelles sont les priorités de l'armée égyptienne: protéger le peuple égyptien ou se conformer aux directives américaines qui se résument en deux mots: «protéger Israël»? Ce que, sans ambages, laisse entendre le plus haut-gradé américain, l'amiral Mike Mullen, qui a «confiance» dans l'armée égyptienne pour «assurer la sécurité du pays et du canal de Suez» indiquait le 2 février le Pentagone. Suez?, Comprenez plutôt «Israël». Il est ainsi fait savoir que lors de cette conversation, «le général (égyptien, Sami Anan, chef d'état-major) a fait le point sur les récents développements à la suite du discours (le deuxième, Ndlr) du président (Hosni) Moubarak», au cours duquel il a annoncé qu'il ne briguerait pas de nouveau mandat. Anssi, les mêmes sources américaines faisaient savoir que l'amiral Mike Mullen était en «contact constant» avec son homologue égyptien depuis le début de la crise en Egypte. En fait, les pressions militaires américaines sur l'armée égyptienne sont moins médiatisées que les déclarations «on live» du président Obama qui réagissait souvent à chaud, donnant une impulsion plus politique à la «position» américaine n'omettant jamais d'évoquer la «sécurité» d'Israël qui passait bien avant la sécurité du peuple égyptien. Dans les méandres de cette politique américaine très ciblée, on peut estimer que l'important pour Washington n'est pas tant l'instauration de la démocratie en Egypte (ou dans d'autres pays arabes) que la préservation d'un statu quo qui permet et assure la suprématie d'Israël sur l'ensemble des Etat arabes, y compris l'Egypte - un pays de 80 millions d'habitants réduit à courber l'échine sous l'oukase d'Israël (sept millions d'habitants), avec la complicité directe et active de Moubarak et de son régime. Ce que rejette globalement et dans le détail le peuple égyptien qui ne veut plus ni de Moubarak, ni de Souleimane, ni de son clan. Or, contraint de lâcher Moubarak, devenu de fait encombrant pour les Etats-Unis, Washington veut coûte que coûte sauver un régime qui sert si bien ses intérêts et ceux d'Israël (cf; le «coup de main» de Moubarak à Israël lors de son agression de la bande de Ghaza en décembre 2008 et janvier 2009). Mais s'accrochant désespérément à ses privilèges, Moubarak qui refuse de partir, semble avoir faussé les calculs de ses «amis» américains et israéliens en ne comprenant pas qu'il était temps pour lui de plier bagage, provoquant leur déception de même que la fureur d'un peuple qui ne veut plus entendre parler de Moubarak au pouvoir, même dans l'ombre d'un Souleimane qui passe pour tous les diplomates et observateurs politiques pour «l'homme» d'Israël. Aux Egyptiens qui veulent se débarrasser du choléra (Moubarak), on lui propose la peste (Souleimane).