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Le procès récurrent de l'Islam
UNE LAICITE À GEOMETRIE VARIABLE
Publié dans L'Expression le 04 - 04 - 2011

«La France n'est ni un peuple, ni une langue, ni un territoire, ni une religion, c'est un conglomérat de peuples qui veulent vivre ensemble. Il n'y a pas de Français de souche, il n'y a qu'une France de métissage»
Eric Besson
Le mardi 5 avril, l'UMP, le parti de la droite française ouvre la boite de Pandore de la laïcité et des religions. Les observateurs ne s'y trompent pas, c'est l'Islam, encore une fois, dont on examinera la compatibilité avec la laïcité. Après le procès de l'Islam vis-à-vis de l'identité, cette fois c'est la laïcité qui est convoquée. En son temps, De Gaulle avait tracé les limites de l'identité et de la religion de la France «Il ne faut pas se payer de mots! C'est très bien qu'il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu'elle a une vocation universelle. Mais à condition qu'ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne.» Ces mots du général de Gaulle, il y a un demi siècle, résument à eux seuls toute la problématique de la condition «d'être français» Qui est en fait Français et depuis quand? En son temps, le général de Gaulle aurait répondu: «Pour moi, l'histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs, qui donnèrent leur nom à la France. L'élément décisif pour moi c'est que Clovis fut le premier roi à être baptisé chrétien. Mon pays est un pays chrétien.» Ces quelques phrases résument parfaitement ce que le XIXe siècle catholique n'a cessé de proclamer sur tous les tons et en toutes circonstances: la France, contrairement à ce que déclare Eric Besson, n'est pas un peuple comme les autres; le peuple élu, prédestiné des temps modernes (par opposition à l'ère biblique), le successeur insigne du peuple hébreu voire celui qui, à l'instar du peuple américain, a une «destinée manifeste» Ce destin de races supérieures théorisé par les Renan, Gobineau, et Chamberlain au XIXe siècle et qui avait fait au XXe siècle le lit du nazisme, se drape de nouveaux habits humanitaires dans ce XXIe siècle, le résultat étant le même: continuer à coloniser à distance ces races inférieures qui, de plus, sont musulmanes, en leur extorquant leur richesse pour maintenir le niveau de vie de l'homme blanc.
Quand les Sarkozy sont devenus français
Pour la droite, la chose est claire: est de souche celui qui est «blanc» et qui porte un nom, un prénom, à consonance européenne, pour ne pas dire chrétienne. Au XVIe siècle l'Europe, via le Portugal et l'Espagne, promulgue des lois de «limpieza de sangre» («purification du sang») contre ses propres populations juives et musulmanes. Avec cette histoire tragique, l'Europe -et la France par conséquent -s'est bâtie une identité amputée de ses Juifs et de ses Musulmans... Le XIXe siècle européen érige les Blancs en dieux. Quelle différence y a-t-il entre un Espagnol, au regard de l'intégration avec un Algérien? La différence est d'abord la langue et la culture françaises. En fait, il n'est pas important qu'un Hongrois connaisse le socle rocheux de la littérature et la culture françaises telles que par exemple, la «Ballade des pendus» de François Villon. Par contre, son avantage décisif est l'identité religieuse qui berce d'une façon invisible la société française. Ils sont «compatibles» avec le corps social français pétri par deux mille ans de cultures chrétiennes ils peuvent être français, Par contre, on peut être en France depuis un siècle, le nom et l'Islam sont des «marqueurs indélébiles.» (1) On se souvient que dans la tribune publiée dans le journal Le Monde, le 9 décembre 2009, le président s'adressait déjà aux Français musulmans! Le philosophe Jean Baubérot répond magistralement et avec humour au président Sarkozy sur ce que c'est qu'être français: «Tu as écrit une tribune dans Le Monde. En effet, tu t'adresses à tes «compatriotes musulmans», et c'est mon cas, moi Mouloud Baubérot, frère siamois de celui qui tient ce blog. Avant, par politesse, il faut que je me présente très brièvement. Ma famille provient de Constantine, ville française depuis 1834 et chef-lieu d'un département français depuis 1848. Nous sommes donc d'anciens Français. Et au siècle suivant, d'autres sont encore venus. Certains de l'Europe centrale, bien différente de notre civilisation méditerranéenne. Mais, comme tu l'écris très bien, nous sommes très «accueillants», nous autres. Alors, nous avons donc accueilli parmi eux, un certain Paul Sarkozy de Nagy-Bosca, qui fuyait l'avancée de l'Armée rouge en 1944. Nous sommes tellement «accueillants» que nous avons fait de son fils, ton frère siamois, immigré de la seconde génération, un Président de notre belle République. Comment être plus accueillants? Mais faudrait quand même pas tout confondre: entre lui et moi vois-tu, c'est moi qui accueille, et lui qui est accueilli. Ne l'oublie pas. (...) Quand les Sarkozy sont devenus Français, le ciel de Paris s'ornait d'une Grande Mosquée, avec un beau minaret. Je suis d'accord, moi Mouloud qui t'accueille, je dois te faire «l'offre de partager (mon) héritage, (mon) histoire (ma) civilisation), (mon) art de vivre». Tiens, je t'invite volontiers à venir manger un couscous avec moi. (...) Pour être concret, je vais te raconter l'histoire de France en la reliant à ma propre histoire d'ancien Français, du temps où toi, tu ne l'étais pas encore. Pendant la guerre 1914-1918, mon arrière-grand-père est mort au front, comme, malheureusement, beaucoup de Français, de diverses régions: Algérie, Savoie, ou Limousin,...Car nous avons été environ 100.000, oui, cent mille, musulmans à mourir au combat pour la France. Ma famille y était venue, à cette occasion, et elle y est restée. A Paris, la République laïque a eu une très bonne idée: construire une mosquée, avec un beau minaret bien sûr. Elle avait décidé, en 1905, de «garantir le libre exercice du culte». «Garantir», c'est plus que respecter. C'est prendre les dispositions nécessaires pour assurer son bon fonctionnement. Pourquoi passes-tu tant de temps, dans ton texte, à nous parler des minarets? (...) De plus, et je vais t'étonner Nicolas, les laïques, ils aimaient bien les minarets. Quand on a posé la 1ère pierre de la mosquée, le maréchal Lyautey a fait un très beau discours. Il a déclaré: «Quand s'érigera le minaret que vous allez construire, il montera vers le beau ciel de l'Ile de France qu'une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses.»(2) Dans la même veine et à l'occasion du débat de la «compatibilité de l'Islam avec la laïcité, plus d'une année plus tard un Français musulman répond à la lettre de Jean-François Copé organisateur de ce débat un autre Français de confession juive, tout deux natifs d'Algérie. «Cher Jean-François, d'abord, je dois te confier que chez moi (en France, avant que tu demandes), ce n'est pas comme ça qu'on traite ses amis. On ne fait pas un débat pour savoir comment nos amis devraient s'habiller ou s'exprimer. On ne se mêle pas de leur vie religieuse et on ne se permet pas de dire à leur fille que sa robe est trop longue. Ce serait très déplacé, tu en conviendras. On ne se sert pas de ses amis pour gagner des élections. On ne salit pas leur dignité et on ne leur porte pas préjudice, même si ça fait monter l'audimat au radio-crochet du coin...Tu dis vouloir m'aider à combattre les préjugés à mon sujet, mais c'est toi qui les alimentes à chaque fois que tu prononces les mots «Islam», «menace» et «laïcité» dans la même phrase. (...) Je ne t'ai rien demandé et je n'ai pas besoin de ton aide. Je veux juste que tu me laisses en paix. Le jour où tu auras vraiment envie d'avoir une conversation avec moi, retrouve-moi autour d'un bon repas, sans caméras si possible, comme ça tu pourras me regarder dans les yeux te dire le fond de ma pensée.(...)» «Quand tu dis que notre foi, l'Islam, est «défigurée dans l'opinion par des comportements ultraminoritaires», ce serait bien de rappeler que cette «opinion» se construit moins à partir de la réalité que du discours politique et médiatique auquel, il me semble, tu participes un peu. Plus loin dans ta lettre, tu parles de mon grand-père mais tu confonds probablement. C'est celui de Djamel qui est mort à Verdun. Le mien a combattu à Al-Alamein en Egypte, dans une guerre qui n'était pas la sienne. Du côté de maman, ils étaient plutôt vers Alger, où ils ont pu découvrir les joies de l'électricité dans les années 50. (...) Tu voudras bien m'expliquer aussi pourquoi dès que tu parles d'Islam, tu te sens obligé d'invoquer la laïcité pour dire quelque chose de pas sympa juste après. (...)Nul besoin de faire comme tous ceux qui, pour exprimer leur rejet des formes visibles de l'Islam, se drapent sous la cape de la laïcité en espérant y trouver une respectabilité à leur racisme d'autrefois. (...) C'est bien d'avoir une opinion. C'est mieux d'avoir la vérité. Or notre vérité commune est dictée par la loi de notre pays et il se trouve justement qu'en 1905 une loi a été votée pour établir le principe de laïcité que les polémistes ressassent à tort mais surtout à travers sans vraiment l'avoir lue. Et que dit-elle cette loi? Elle dit que nous sommes libres. Libres de choisir en conscience notre religion et de la vivre comme bon nous semble, sans faire de prosélytisme et sans devoir la cacher ou la nier dans la sphère publique. Libres de s'habiller comme il nous plaît, de porter une barbe ou de se couvrir la tête si on le souhaite. Libres de prendre notre place au sein de la République comme nous l'avons fait jusqu'ici en l'enrichissant de notre travail, de nos idées et de nos espoirs. Aucune instance musulmane n'a réclamé le changement de cette loi. Aucun musulman n'a demandé un privilège dont serait exclu l'un de ses concitoyens. Nous demandons, et la majorité de nos concitoyens avec nous, le strict respect de la loi de 1905. (...) Mon cher Jean- François, à trop vouloir nous aider, tu risques de nous causer du tort en faisant croire qu'il y a une spécificité islamique qu'on aurait jusque-là ignorée. Il n'en est rien. Nous sommes des citoyens comme les autres, acteurs anonymes des changements et des sacrifices que doit concéder notre pays aujourd'hui. (...) Je termine en te disant que le respect, c'est d'accepter l'autre tel qu'il est et non tel qu'on voudrait qu'il soit, avec ses différences. Il serait bon que tu t'en souviennes désormais, avant d'invoquer une idée de fraternité que tu piétines chaque jour.»(3)
Libres de choisir en conscience notre religion
Même en Alsace, l'Islam ne jouit pas des mêmes conevenances que les autres religions. On se souvient que le débat sur l'enseignement de l'Islam dans le public, au même titre que les autres religions, divise les candidats aux régionales. Dans les trois départements le judaïsme, le catholicisme, le luthéranisme et le réformisme, cultes reconnus par le Concordat de 1802, sont organisés par le droit local. En 2003, la commission Stasi recommande dans son rapport: «En Alsace-Moselle, [d']inclure l'Islam au titre des enseignements religieux proposés et laisser ouvert le choix de suivre ou non un enseignement religieux.» Si cette proposition n'aboutit pas, celle d'interdire les symboles religieux à l'école deviendra une loi en 2004.»(4) Michel Tubiana, ancien président de la LDH, y voit un racisme assumé. Il écrit: «De plus en plus ouvertement, le racisme envahit l'espace politique. Je ne veux pas ici évoquer le Front national mais bien une partie de la droite parlementaire et, à un moindre niveau, une partie de la gauche. (...) Qui se souvient que dès juillet 2005, dans son discours aux ambassadeurs, le même Nicolas Sarkozy opposait, fût-ce pour en prévenir la guerre, «l'islam à l'Occident»? (...) Vint ensuite le glissement inévitable des étrangers à ceux qui leurs ressemblent, entendons les demi-Français. C'est ainsi que le 8 décembre 2009 Nicolas Sarkozy, sous prétexte de tolérance, fait des musulmans français des étrangers qu'il faut «accueillir» dans leur propre pays. Assignés à résidence communautaire, ils sont toujours désignés par leur origine (immigrés de la deuxième, troisième ou, bientôt, quatrième génération) ou par leur appartenance religieuse. (...) Les musulmans français ou pas sont sommés de faire leur examen de conscience et de répondre de nos peurs collectives. (...) C'est pourtant, ce que signifie le débat engagé par l'UMP, officiellement sur la laïcité, en réalité sur la compatibilité de l'Islam et de la République, contredisant par là tous les principes de la laïcité.(...)»(5)
La chair à canon
On dit souvent que l'implantation des Musulmans en France est récente. Les Maghrébins étaient en 2007, 5 à 6 millions. Si l'immigration massive des Nord-Africains est récente, leur présence sur le territoire métropolitain est très ancienne et remonte à l'époque romaine. Au VIIe siècle, avec la conquête de la Septimanie par les musulmans, des berbères convertis à l'Islam s'installèrent également dans ce qui deviendra la France. Par la suite, des réfugiés musulmans qui fuyaient la Reconquista espagnole, et plus tard l'Inquisition, firent souche en Languedoc-Roussillon et dans le Pays basque français, ainsi que dans le Béarn. On peut distinguer plusieurs sous-groupes. Groupes ethniques en France:Encyclopédie Wikipédia
Pour la période récente (depuis un siècle et demi) les musulmans maghrébins étaient de toutes les guerres de l'Empire français. Pour le meilleur et surtout pour le pire, Algériens, Marocains, Tunisiens étaient de la chair à canon déjà pour les guerres du Levant (1856), du Mexique, de l'attaque allemande de 1871, 1914-1918, 1939-45). La récompense de la France fut justement la construction de la Mosquée de Paris. Depuis, les tirailleurs béton ont été le socle des «Trente Glorieuses» et c'est à ces «Français dans l'épreuve» que l'on préfère les «fraîchement français» sous prétexte qu'ils ont la même foi que les Gaulois de souche...On le voit, les Musulmans n'ont pas jailli du néant. Pour la période récente, les premières émigrations ont eu lieu il a plus d'un siècle, mais les descendants, même depuis la Première Guerre mondiale se verront appeler émigrés de la nième génération. Personne n'osera dire à Bernard-Levy ou encore Jean-François Copé que leurs parents étaient des émigrés d'Algérie. Il y a un vrai problème de la représentation de l'Islam. De plus, les intellectuels dits «musulmans» font preuve d'un silence assourdissant. Ils sont bien vus par les médias et les décideurs s'ils prônent un Islam mondain sans épaisseur. A l'évidence, le salut viendra de ces Français musulmans intellectuels décomplexés et qui se battent avec les armes de l'esprit dans le respect des lois de la République. Cette République qui a laïcisé les attributs de l'Eglise: Dans les 11 jours chômés dans l'année, 9 sont à caractère religieux- Si la loi de 1905 convenait à l'époque, son aggiornamento permettrait de replacer l'Islam à sa juste place, la République devenant équidistante des religions, permettra à chaque Français quelle que soit sa religion de s'épanouir à l'ombre des lois de la République donnant ainsi la mesure de son talent. Les Musulmans de France, dans leur immense majorité, veulent vivre avec dignité leur culture. Ils connaissent les fils rouges à ne pas dépasser, ils savent ou ils doivent savoir qu'ils sont dans un vieux pays de tradition chrétienne. Pourtant, leur identité religieuse n'est nullement un frein à leur patriotisme.
(*) Ecole nationale polytechnique
1.Chems Eddine Chitour: Comment être Français au XXIe siècle
http://www.legrandsoir.info/Comment-etre-Francais-au-XXIe-siecle.html
2.Lettre de Mouloud Baubérot à Nicolas Sarkozy: Site Oumma.com 14 décembre 2009
3.Marwan Muhammad, ingénieur, laïcité: http://www.islamophobie.net/art_read.php?ai=575
4.E.Bonneau: Faut-il enseigner l'Islam à l'école en Alsace-Moselle? Rue89 |4/02/2010
5.Michel Tubiana: Le racisme envahit l'espace politique. Le Monde.fr 21.03.11


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