Il fut un temps où le simple fait d'être découvert en possession d'une feuille sur laquelle sont transcrits des caractères berbères conduisait à la prison. Printemps 1980, une conférence de Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle est interdite comme tout ce qui est relatif à la langue et à la culture amazighes. Printemps 2011: tamazight est langue nationale, elle est enseignée dans 95% des écoles de Kabylie, une chaîne de télévision étatique diffuse quotidiennement des programmes en tamazight, quatre festivals culturels amazighs sont institutionnalisés par le ministère de la Culture et se tiennent chaque année, trois départements de langue et culture amazighes et deux institutions: Le Haut commissariat à l'amazighité et le Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement de tamazight oeu-vrent à sa promotion. Aujourd'hui, 31 ans plus tard, parler de bilan sans qu'il y ait un consensus sur l'avancée plus que considérable arrachée de haute lutte par les militants de la cause berbère, peut paraître entaché d'arrière-pensée et d'un désir sournois que la langue amazighe reste un cheval de bataille pour ceux qu'elle a servis pendant des années. Poser de faux problèmes comme celui de la transcription de la langue amazighe est aussi nourri d'idées et de desseins souvent inavoués. Cette question a été tranchée depuis le lancement de l'enseignement de tamazight dans l'école algérienne en 1995. Dans tous les établissements scolaires des wilayas de Kabylie et les universités de la région, tamazight est transcrite en caractères latins. Maintenant qu'il y ait d'autres régions qui ont opté pour les caractères arabes ou tifinagh, en quoi cela poserait des problèmes, sauf pour ceux qui se nourrissent de ces derniers? Dire que tamazight, 31 ans après le Printemps berbère, a reconquis la place qui devrait être la sienne, c'est également aller vite en besogne car le processus de réhabilitation ne pourrait se faire sans prendre le temps nécessaire pour y parvenir. La célébration de l'anniversaire du Printemps berbère ne se fait plus avec le faste d'antan, à l'époque où Matoub Lounès animait chaque 20 avril des mégaconcerts au stade «Oukil-Ramdane de Tizi Ouzou devant un public assoiffé d'être reconnu tel qu'il est et non tel qu'on voudrait qu'il soit. Ce temps est lointain. C'est une époque qui semble rentrée dans l'Histoire, la preuve, interrogez n'importe quel jeune de vingt ans, il s'étonnerait si vous lui disiez qu'il fut un temps où le simple fait d'être découvert en possession d'une feuille sur laquelle sont transcrits des caractères berbères conduisait tout droit à la prison. Et le chef d'inculpation pour un tel «délit» n'était pas moins qu'atteinte à la sûreté de l'Etat. Aujourd'hui, toute la Kabylie va commémorer la date du 20 Avril et aura une pensée à de grands militants de la cause amazighe comme Bessaoud Mohand Arab, Mouloud Mammeri, Mohand Haroun, Matoub Lounès et des milliers de militants anonymes sans oublier les millions d'enfants du boycott, devenus aujourd'hui adultes, et grâce auxquels tamazight est entrée pour la première fois à l'école et dans les institutions de l'Etat. Aujourd'hui que le tabou de l'amazighité est définitivement brisé et qu'aucun ne peut remettre en cause la dimension amazighe de l'identité nationale, l'heure est plus que jamais à la réflexion. Revendiquer le statut de langue officielle pour tamazight est plus que légitime mais atteindre cet objectif en brûlant les étapes n'est pas le chemin le mieux indiqué. Baliser le terrain est une nécessité absolue. Créer une académie est un passage obligatoire. En attendant, faire la fête pour célébrer une journée où le mur de la peur dressé par les détenteurs de la pensée unique et brisé par des hommes à la témérité légendaire, est un rendez-vous à ne pas rater.