Un documentaire-témoignage qui ne prétend pas donner des solutions, mais soulève des interrogations, quant à l'actualité dramatique qui secoue le pays. Algérie (s) un peuple sans voix et Algérie (s) une terre en deuil, deux parties d'un film qui retrace en l'espace de trois heures, les temps forts qui ont marqué la décennie rouge de notre pays. Projeté, avant-hier, à la Cinémathèque d'Alger, ce document a été réalisé par Patrice Barrat et son équipe à savoir Thierry Leclerc, Malek Bensmaïl et Assia Chaâla. Ce documentaire diffusé durant le ramadan sur Canal+, survient juste quelques semaines après la transmission par la même chaîne de l'émission de Jean-Baptiste Rivoir, 90 minutes où il a attaqué les services secrets algériens, les accusant d'être derrière les attentats de 95 à Paris. Une émission qui a soulevé un tollé en Algérie. Débuté en 2000, le film de Patrice Barrat a été achevé en octobre 2002. Il a connu plusieurs versions de montage. Le film regroupe à l'origine une quarantaine de personnages interviewés, il en reste une vingtaine. La première partie du film s'ouvre sur cette terrible image, des cercueils des victimes du terrorisme drapés de l'emblème national, à côté, la douleur des familles éplorées, noyées dans des complaintes sans fin. Gros plan sur cette pathétique mère de famille qui crie «La trahison des frères...» Et puis un zoom sur cet arbre, ce chêne sans feuilles, signe de déracinement de familles décimées...Là commence en vérité le film. Un arrêt sur image sur ce pays dévasté par les hordes intégristes, brisé, noyé dans le chaos et la misère. Saccagé. «10 ans de cauchemar et tellement de questions: Qui? Quelle force?, Quel pouvoir a provoqué cette tragédie? Et la France et les Etats-Unis, quel rôle ont-ils joué? Les Algériens veulent comprendre». Patrice Barrat pose ici les jalons de la problématique de son film. Pour lui, les images servent à donner des explications, son documentaire a pour but de «montrer les facteurs qui ont amené le pays là où il est maintenant.» C'est essayer de «comprendre les attitudes de telle ou telle tendance politique sans oublier le côté économique et géopolitique du pays». Pour Thierry Leclerc, il s'agit d'apporter «les clés qui permettront de comprendre l'actualité, la situation de l'Algérie d'aujourd'hui par un décodeur que sont l'éducation, la culture, l'économie...» Aussi, la compréhension passe par le déroulement du fil de l'histoire, sans donner pour autant de jugement, tel est le principe du document et de ses auteurs: «Afin d'effacer le terme, fatalité» dit Thierry Leclerc. Un des repères de la tragédie nationale, Octobre 88, date emblématique de notre histoire qui marque le début d'une nouvelle ère annonciatrice de changement, d'un bouleversement de l'ordre établi. Parmi les enfants d'Octobre 88, le caricaturiste Ali Dilem qui parlera de cette période avec émotion et passion. Des images d'enfants et de jeunes sortis dans la rue pour crier leur ras-le-bol défilent sous nos yeux. «Maintenir l'ordre devient l'élément clé pour taire les émeutes», dit Khaled Nezzar, ex-général de l'Armée nationale populaire. Ce dernier révèle même «le manque d'expérience de l'armée en matière de combat». Résultat: un constat affligeant: «L'ANP a tiré sur le peuple faisant de nombreuses victimes». C'est la fracture sociale, la fameuse rupture qu'installe la rébellion contre la confiscation des droits et des libertés, notamment, d'expression. Flash-back, retour en arrière. Nous sommes à l'ère de Boumediene, la révolution agraire, le système d'arabisation dans les écoles, oeuvre de Taleb Ibrahimi, l'occultation de l''amazighité, commence l'instrumentalisation de l'Islam. «Les clans se font et se défont dans le pouvoir, le président travaille peu, le prix du pétrole chute en 86», signale-t-on dans le film. Forcément la crise économique s'installe charriant le chômage et le désir cuisant de partir, s'évader vers des cieux plus cléments, se pose dans ce cas le problème du visa. L'après-88 est marqué par l'essor de la multiplicité des journaux, le multipartisme, un semblant de vent de liberté souffle sur le pays. Pas pour longtemps. Le FIS prépare son nid lentement, mais sûrement. «Abassi Madani veut instaurer le système iranien». Marche des islamistes en juin 91 et puis interruption des élections avant le second tour...des images encore vivaces dans notre mémoire. Hamrouche, alors Premier ministre, démissionne, c'est Ghozali qui prend le relais. Tous les espoirs sont portés sur cet homme exilé au Maroc, Mohamed Boudiaf qui reviendra dans son pays, en catastrophe, pour mourir. On ne connaîtra jamais les circonstances de son assassinat. Son ami et compagnon de lutte, Aït Ahmed parle «d´assassinat programmé». Boudiaf dérangeait, car il visait à mettre fin à la corruption. Sans orientation précise, le documentaire de Patrice Barrat bute sur les mêmes informations rapportées plusieurs fois par la presse, pas de nouvel élément donc à même d'éclairer davantage la zone d'ombre sur ce sujet. Il ne fait cas d'aucun nouveaux indices ou de nouvelles pistes à suivre. On se remémore ce passé toujours aussi frais. La venue de Zeroual, les accords de Sant'Egidio pour instaurer le dialogue avec les islamistes, la fameuse question: Qui tue qui? qui défraya la chronique, tout ceci est évoqué, images par images, rappelé à notre mémoire. Et puis Bouteflika et sa politique de la concorde civile...Tout ceci est revisité et rabâché. Un film très émouvant et captivant mais qui n'apporte rien de nouveau en termes d'information. Il faut signaler toutefois que ce documentaire qui consistait à narrer notre histoire a failli ne pas entrer en Algérie faute de visa, difficilement octroyé au réalisateur. Preuve s'il en est que ce film gêne. Aussi riche soit-il, il ne fait aucun doute, qu'il a laissé certains spectateurs sur leur faim qui auraient voulu qu'il y ait plus de profondeur, que le sujet soit creusé davantage au lieu de cette déferlante de matière brute...