Vingt ans après, l'affrontement des deux thèses du soulèvement spontané et du complot n'en finit pas. Deux choses sont certaines, cependant : l'absence de slogans chez les émeutiers malgré l'insertion immédiate des éléments du Pags et le squat tardif de la manifestation par les islamistes. En octobre 1988, l'Algérie subissait une grave crise financière qui l'étouffait depuis près de trois ans. Sans que rien ne prédise son redressement, le prix du baril gravite autour des douze dollars ; les frais de structures des entreprises sont démultipliés par la réforme, et les devises font défaut, réduisant les montants des “autorisations globales d'importation” par lesquelles les entreprises s'approvisionnent en matières premières et pièces de rechange. Les salaires sont gelés par un “statut général des travailleurs” statique. Sécheresse, pénurie, influence, essor inédit du chômage, sécheresse. Le gouvernement qui ne pouvait pas rééditer le PAP (plan antipénurie), venait de supprimer l'allocation devise. Alors que l'horizon se bouche pour les plus jeunes, le complexe commercial et de divertissement de Ryadh EL-Feth et le monument Maqam Echahid se dressent, d'un coût d'un milliard de dollars, pour symboliser la différence de préoccupation qui sépare le pouvoir de son peuple. La corruption avait atteint les institutions dans leur efficacité opérationnelle ; la nécessaire austérité achevait de les dévitaliser. L'article 120, qui continuait à imposer une allocation politique des privilèges de la rente, constitue le dernier paradoxe d'un système qui n'a plus les moyens de son injustice. En cet été 1988, le pouvoir avait-il perçu l'aspect pré-insurrectionnel du contexte ? Son discours du 19 septembre s'adresse aux “responsables” pour les “mettre au courant des développements, des nouvelles données de la situation économique et des perspectives dans la région”. Il dénonce la résistance aux réformes de gestionnaires qui “paraissent aujourd'hui hésitants, craignant la perte de leurs postes” et de responsables “incapables de s'adapter à la nouvelle situation”. Il précise que “certains de ces responsables exercent au sommet, au sein d'institutions du parti et du gouvernement ou d'autres institutions”, ne pouvant désigner que l'armée. Pour marquer la disqualification de l'article 120, il dira : “Je crois vivement en l'intégrité, la compétence, la sincérité et l'engagement (…) mais je dirai, aujourd'hui, avec franchise et sans complaisance que nous croyons en la compétence en premier lieu.” La commission de préparation du congrès du FLN est gelée depuis juillet. La dimension sociale est ignorée, même si une étrange allusion à la “révolte du pain” en Egypte est faite, insinuant la nécessité, pour le peuple, de se battre pour améliorer sa condition. Le 5 Octobre, réaction conservatrice suscitée contre “les mesures de réformer” dont Chadli prévoit d'entamer l'application “au début de l'année” ou mouvement suscité pour justifier l'accélération des réformes. Chadli ne semble tout de même pas avoir opté d'emblée pour une rupture avec le système du parti unique. Il juge, pour l'heure, que le multipartisme est “un danger pour l'unité nationale”, dans l'immédiat. Sans l'exclure pour l'avenir. Sur le terrain, la profondeur du mouvement d'octobre et la brutalité de la répression ont créé une ambiance révolutionnaire qui rendait irrésistible la demande d'ouverture qui, rapidement, s'est organisée. Les foyers de lutte, jusqu'ici étouffés et donc obscurs, se révèlent, notamment autour du Comité contre la torture et de la Commission des droits de l'Homme de Miloud Brahimi. Octobre capitalise les luttes identitaires, politiques, sociales et des droits de l'homme, qui depuis 1980, jalonnent le difficile chemin vers la démocratie. Pour la première fois, la société civile est organisée en tant que tel autour de thèmes de libertés et de droits. Le slogan “plus jamais ça” est un slogan de rupture avec la pratique de la torture mais aussi avec la conception policière de la vie publique. Qu'octobre fût un complot fomenté par l'un ou l'autre des courants réformateur et conservateur du pouvoir, qu'il fût l'expression déliée d'une désespérance juvénile, les évènements lui ont octroyé un sens historique. Il fallait une réponse politique à la mesure de la nouvelle culture politique qui vient de s'imposer sur le terrain. Chadli annonce dans son allocution du 9 octobre, une réforme “dans tous les domaines” et un prochain référendum constitutionnel. La fin du parti-Etat institutionnalisé est paraphée par le FLN, et l'ANP se démet officiellement de son rôle politique. La Constitution de février 1989 rend effectif le système du multipartisme et la loi d'avril 1990 met fin au monopole public de la presse. C'est la première fois depuis l'indépendance que l'Algérie vit une évolution politique qui réponde à une expression politique de la société. Et, pour l'heure, la dernière. M. H. Le 10 octobre, Chadli annonce une nouvelle Constitution et un train de réformes économiques et politiques.