Décidément, les marches se suivent et se ressemblent dans cette ville. En effet, la ville des Genêts, transformée en brasier incandescent depuis deux ans, a renoué, hier encore, avec les troubles à l'issue de la traditionnelle marche du 20 Avril, qui avait été bloquée au niveau de la rue Khaled-Khodja par un impressionnant dispositif de sécurité empêchant les manifestants d'atteindre leur finalité qui était le rassemblement devant la maison d'arrêt de Tizi Ouzou. Un empêchement qui n'a pas manqué de replonger Tizi Ouzou dans l'ambiance des sombres jours. A ce titre, des foyers de tension ont éclaté dans plusieurs quartiers de la ville et des affrontements intenses, entre jeunes émeutiers et éléments d'URS, ont éclaté durant une bonne partie de l'après-midi. Un constat pour le moins prévisible et qui dénote l'impasse dans laquelle se retrouve la Kabylie aujourd'hui. Toutefois, au-delà des troubles et des échauffourées qui ont émaillé la journée d'hier, on peut dire que les ârchs ont réussi leur action, si l'on prend la marche sous le prisme de la mobilisation pour un mouvement que l'on disait essoufflé. Retour sur la marche. Il était 9h30, Tizi Ouzou se réveille lentement en cette douce matinée printanière. Toute activité, au centre-ville, était paralysée par la grève générale décrétée par les ârchs. L'atmosphère était lourde et la tension palpable. Les services de sécurité étaient présents à tous les coins de rue. Le camion antibarricade occupait déjà l'esplanade du théâtre Kateb-Yacine. A environ un kilomètre de là, au carrefour 20-Avril marquant la limite entre la ville et la Nouvelle-Ville, la placette était noire de monde. Des banderoles sur lesquelles étaient inscrits des slogans tels «Abane notre histoire, les ârchs notre espoir». «Pas de normalisation sans la satisfaction de la plate-forme d'El-Kseur» et autres, étaient suspendues à la clôture de l'Institut biomédical. Les premiers carrés de la marche commençaient à se former. Ferhat Mehenni, Nna Aldjia Matoub, Abdelhak Brerhi et plus tard le professeur Mohand Issad étaient parmi la foule. Les services d'ordre, constitués majoritairement de délégués, avait du mal à maîtriser toute la marée humaine. Dans la foulée, la fondation Matoub et le MAK étaient priés de ne pas distribuer de tracts pour préserver le cachet apolitique de la manifestation. A 11h10, la marche s'ébranle enfin de l'université Hasnaoua dans un brouhaha indescriptible. Arrivée au niveau du stade 1er-Novembre, la manifestation marquait une première halte pour réorganiser les rangs. Une minute de silence sera observée à la rue Ahmed-Lamali, juste en face de l'ancienne brigade de gendarmerie. La procession humaine continuait son itinéraire à travers la rue Abane-Ramdane, en scandant divers slogans et en chantant. L'emblème national et le portrait de Belaïd Abrika étaient les plus en vue dans les différents carrés. Atteignant le rond point central, la manifestation butait sur un impressionnant dispositif de sécurité, stationné à hauteur de l'hôtel Lalla-Khedidja. Les délégués tentaient de négocier le passage à la maison d'arrêt. Cependant, les services de sécurité étaient impassibles à leurs sollicitations. Un fait qui exacerbera la tension déjà régnante. Un bouclier humain formé de délégués intercédera entre les deux camps, ce qui n'empêchera pas les premiers jets de pierre. Constatant que l'affrontement était inévitable, les organisateurs déviaient l'itinéraire de la marche vers la cité administrative. Néanmoins, quelques jeunes irréductibles restaient sur place et commençaient à bombarder les URS de toutes sortes de projectiles. Ce qui donnera naissance à des échauffourées localisées notamment aux quartiers de la Cnep, aux Genêts et sporadiquement au Mondial, et qui durèrent jusqu'en fin de l'après-midi, à l'issue desquelles une dizaine d'interpellations ont été opérées parmi les manifestants. Vers 16h 30, la ville commençait à reprendre son animation habituelle au milieu d'un décor triste et sinistre fait de pierres et de gravats jonchant la chaussée. Par ailleurs, la présidence tournante de la Cadc a organisé un point de presse à la fin de la marche, au cours duquel les délégués se sont réjouis de la forte mobilisation constatée, hier, et ce, malgré les multiples entraves notamment «le blocage du parc roulant dans la plupart des APC» pour empêcher le déplacement des manifestants. Tout en estimant le nombre des manifestants à près de 500.000 (25.000 selon nos estimations), la présidence tournante a mentionné l'absence de barrages filtrants aux différentes entrées de la ville. Cela dit, ils n'ont pas manqué de relever que «malgré les différents coups portés au mouvement, celui-ci ne s'est pas essoufflé et la mobilisation d'hier était la meilleure réponse aux détracteurs».