Il menait une vie paisible de cadre algérien jusqu'à ce jour du 5 Octobre où le ciel lui tombe sur la tête. En rentrant chez lui, se souvient encore aujourd'hui Djaffer Ouchellouche, cadre au Haut-Commissariat à l'amazighité, il apprend que l'un de ses fils, le petit Nassim, âgé de 13 ans, n'est pas rentré. “Il a été descendu devant le CEM”, lui apprend un jeune du quartier Amirouche, où il habite. Depuis, il ne cesse de mener le combat pour faire aboutir les revendications de l'Association des victimes d'Octobre dont il a été l'un des principaux initiateurs. ll “C'est vers treize heures que j'ai appris les évènements au retour des bus transportant les travailleurs. Moi, je travaillais comme cadre à CNS à Gué-de-Constantine. Je suis parti chercher mon frère qui était lycéen. En rentrant chez moi, à la cité Amirouche, Hussein Dey, mes enfants m'apprennent que Nassim, âgé de 13 ans, l'un des enfants, n'était pas encore rentré. Je pars alors au commissariat du coin. Faute de renseignement et de guerre lasse, je décide de contacter un oncle, ancien commissaire retraité, résidant à Hydra, qui, par son réseau de connaissance, pouvait m'aider. Sur le chemin, j'ai failli être tué par des parachutistes à hauteur de Riadh El-Feth. Deux jours durant, les recherches n'ont rien donné. J'ai visité les morgues, les centres de “concentration” dont celui de Sidi-Fredj où on m'a refusé d'entrer, et toujours rien. Le samedi, je décide de retourner là où on l'a vu pour la dernière fois, devant son CEM, à la cité Amirouche. Dans un premier temps, les jeunes que j'ai trouvés sur les lieux m'ont pris pour un policier. “Je suis venu chercher mon fils”, leur dis-je. Lorsque je le décris, l'un d'eux me lance froidement : “Ils l'ont descendu !” Il m'a dit qu'un voisin l'a pris aux urgences à l'hôpital. Je me rends à Parnet et là, on m'oriente vers Mustapha. Arrivé au service neurologie, le maître assistant, ayant compris visiblement l'objet de ma visite, m'explique que mon fils était dans un coma profond. Ses deux hémisphères ont été traversés par une balle tirée à bout portant, me susurre-t-il. Il a été tué à dix mètres du CEM, pris en étau par les policiers. Le 13, il rendit l'âme. J'avoue être animé de vengeance au début car j'estimais qu'il n'y avait pas lieu d'utiliser des armes contre des petits groupuscules de jeunes. C'est ainsi qu'est née l'idée de création de l'Association des victimes d'Octobre après une rencontre avec un comité estudiantin venu de l'USTHB. Tout le long de l'année 1989, nous nous sommes attelés à préparer les dossiers des victimes et la prise en charge des blessés graves. En dépit de l'agrément obtenu au mois de novembre, on n'avait ni siège ni subvention. Même la marche organisée du Palais du gouvernement vers la Présidence n'a rien changé à notre sort. Une note ministérielle a chargé toutefois la Casoral de nous indemniser. La suite, vous la connaissez. Après l'apparition du terrorisme, notre cause s'est un peu effacée et les partis nous ont oubliés.” Que retient-il vingt ans après ? “Au lendemain de 88, beaucoup d'espoirs étaient nés. Nous avions pensé que le peuple allait enfin recouvrer sa souveraineté et sa liberté. Vingt ans après, il est regrettable de constater que l'Algérie a régressé, notamment par le fait de l'avènement de l'islamisme qui, aujourd'hui, est représenté dans les hautes sphères de l'Etat. Il y a vingt ans, les jeunes s'exposaient aux balles de la répression. Aujourd'hui, ils se jettent à la mer pour fuir le pays. C'est la honte, la plus grave, pour une société qui assiste au suicide collectif de ses enfants.” “Nous avons l'intention de poursuivre l'Etat algérien en justice car il n'a pas répondu aux doléances et aux revendications légitimes des victimes ou de leur parents”, conclut-il.