Il faudrait des mois, peut-être des années d'efforts soutenus pour que Ghardaïa puisse ressembler à celle que l'on a jadis connue, aimée, mais qui fut mal protégée et qui fait maintenant partie d'un passé dont seules les cartes postales peuvent témoigner de sa splendeur à jamais enfouie sous le lit d'un oued. Partout et où que nous nous dirigeons, nous n'avons de cesse de croiser des engins, des camions, des grues s'affairant nuit et jour à déblayer, à nettoyer, à charger et à enlever des milliers de tonnes de boue, de gravats, de ferrailles, de carcasses de véhicules et toutes sortes d'objets hétéroclites pratiquement impossible à identifier tant ils sont abîmés et complètement englués par la boue asséchée. La tâche est titanesque, mais le défi est relevé par ces dizaines d'équipes de militaires, de gendarmes, d'agents de la Protection civile et de citoyens bénévoles qui ont afflué de tous les coins du territoire national vers les huit communes déclarées, avant-hier, sinistrées par Ahmed Ouyahia, Chef du gouvernement, lors sa visite à Ghardaïa. Par ailleurs, des équipes médicales dotées d'ambulances, de matériel et médicaments, venues de Ouargla, Laghouat, El-Oued et d'El-Bayadh, sont à pied d'œuvre depuis le début de la catastrophe. Des équipes mobiles ont été ainsi déployées sur le terrain pour des prélèvements bactériologiques et l'enfouissement des cadavres d'animaux. L'abattage des animaux errants, susceptibles de véhiculer quelque épidémie, est enclenché. Un immense effort a été engagé par les équipes de la Sonelgaz, renforcées par leurs consœurs des wilayas limitrophes, pour le rétablissement de l'électricité et du gaz. L'électricité a été rétablie à près de 80% à Ghardaïa, Dhaïa Ben Dahoua, Bounoura et El-Atteuf. Les quartiers populaires de Hadj Messaoud, Mermed, Tichrihine et El-Ghaba, quant à eux, et dont les inondations ont ravagé les postes électriques, seront incessamment réalimentés, juste après l'évacuation des eaux et l'ouverture des voies d'accès. Pour ce qui est du gaz, 75% des abonnés de la commune de Ghardaïa et 60% de la commune de Bounoura sont réalimentés. Les autres quartiers seront réalimentés dès la réparation, qu'on dit très prochaine, de l'importante conduite endommagée sous le pont de Sidi Abbaz. Guerrara, Berriane et Dhaïa Ben Dahoua sont déjà réalimentés à 100%. Seule El-Atteuf, et compte tenu des très importants dégâts subis par le réseau, attend d'être réalimentée. Il faut signaler que grâce à ces réparations, les boulangeries, à l'exception de celles situées dans la commune d'El-Atteuf, ont repris leur travail et commencé à produire du pain. Le réseau routier est entièrement opérationnel, exception faite du tronçon Zelfana-Guerrara. Le réseau de télécommunication, durement touché, est en train d'être réparé secteur par secteur, ce qui certainement va prendre beaucoup de temps pour son rétablissement total. La sécurité est assurée par des centaines de militaires et des compagnies entières de gendarmes, ramenés en renfort. La recherche de personnes disparues se poursuit La Protection civile continue, pour sa part, de rechercher, à l'aide de chiens renifleurs, d'éventuels cadavres encore enfouis sous les tonnes de boue entassées partout. Néanmoins, dans les zones les plus durement touchées par la déferlante, comme El-Ghaba, périmètre, jadis, verdoyant, complètement dévasté et celui qui a payé le plus lourd tribut à la colère des éléments déchaînés, la situation reste très difficile pour les sinistrés qui attendent toujours les aides promises. Privées de toit, de médicaments, de nourriture et de vêtements, plus de 3 000 familles n'ont réussi à survivre que grâce à la solidarité communautaire, selon Omar Kouta, membre de l'association du quartier Bouchoudjène, où, en plein mois de Ramadhan, une autre catastrophe a été évitée de justesse, lorsqu'une grosse canalisation de gaz de 24 barres a éclaté, provoquant une panique générale. Plus de 250 familles sinistrées des quartiers de Bouchemdjane, Ablouate, Aoudjrine, Chaâba et Aghil-Amellal, composées uniquement de femmes et d'enfants, se sont réfugiées dans l'école coranique privée, Cheikh aâmi Saïd Bouleïla, et survivent dans des conditions lamentables. Les lits sur lesquels sont soignés les blessés dans ce qui fait office d'infirmerie sont en fait des civières ayant servi au transport des dépouilles repêchées dans la gadoue. Selon M. Fekhar Chikh Aâmi Brahim, élu de l'APC de Ghardaïa, même des femmes enceintes ont été transportées sur ces civières et accouchées in situ. Ne disposant ni de lit ni de matelas, femmes et enfants dorment à même le sol sur de minces tapis synthétiques. “Rien ne nous a été livré à ce jour, hormis une infime quantité de produits alimentaires, très en deçà des besoins réels des sinistrés, et ce quatre jours après la catastrophe”, affirme, Fekhar Chikh Aâmi Brahim, en nous produisant une copie d'un bon de livraison de denrées alimentaires par l'APC, aux quantités ridicules. “La priorité des priorités est d'abord d'abriter la population sinistrée.” Comment reloger les sinistrés ? “Pour les autorités locales, l'essentiel est aujourd'hui d'attribuer rapidement des logements aux sinistrés ou des lots à bâtir avec une aide pour ce faire, mais sur des terrains sécurisés, sur le site, en amont de Bouhraoua”, ajoute notre interlocuteur, qui précise : “Par ailleurs, la population ne sait plus à quel bureau se présenter pour réclamer ses droits et faire la déclaration du sinistre.” Concernant le nombre de victimes, beaucoup de personnes remettent en cause les chiffres officiels, assurant que “nous avons décompté rien qu'à El-Ghaba, 40 victimes, sans parler des ressortissants subsahariens non déclarés, qui travaillaient dans la palmeraie et dont personne n'a reparu. Ceci, sans compter ceux qui ont été enterrés par leurs familles, pressés par l'état de décomposition avancé des corps de leurs proches”. Pour transcender cette tragédie, affirme Cheikh Bassaïd, “il faudrait que l'état consente à mettre à la disposition des régions sinistrées plus d'aide en matière de recherche et de secours, de médicaments, d'hôpitaux mobiles et d'équipes médicales, de nourriture, de matelas, de couvertures, de pompes hydrauliques pour l'évacuation des eaux et de purifiants pour éviter toute éventuelle pollution”. Même au centre-ville du chef-lieu de wilaya, la circulation, même si elle a repris, se fait difficilement du fait du rétrécissement du réseau routier, compte tenu de l'affaissement et de la dégradation d'une importante partie du tissu routier. Après les inondations, la poussière D'habitude si animée, la ville étouffe sous une épaisse poussière provoquée par des niveleuses déblayant les routes et ruelles obstruées. Ce qui rend la respiration difficile et donne un air de tristesse à la ville avec ses magasins très nombreux qui n'ont pas ouvert, parce que, nous dit-on, leurs propriétaires font partie des sinistrés. Ayant déjà dégagé certaines artères, les engins ont encore beaucoup à faire au vu des énormes quantités de boue charriée par les eaux. Le réseau des télécommunications complètement à l'arrêt (lignes fixes, fax et internet) participe négativement à cette désagréable sensation d'être coupé de tout, et donc de ne point exister. Un immense travail d'effort sur soi est attendu des responsables de ce secteur névralgique, socialement et psychologiquement sécurisant. “Il est difficile d'effacer rapidement les stigmates du déluge qu'a vécu la région tant le déchaînement de la déferlante a été d'une violence inimaginable. C'est un véritable cataclysme qui a ébranlé la vallée du M'zab”, affirme un officier de la Protection civile, dépêché d'Alger, à l'instar d'une centaine de ses collègues. L. KACHEMAD