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C'est fini ?
Publié dans El Watan le 28 - 09 - 2008

Ce ne sont pas les analystes ou les commentateurs qui l'écrivent, mais le président de la République qui le dit : « Nous nous sommes trompés. » Habituellement, il disait : « Je ». Dans l'échec, il implique les autres. Qui sont-ils ? C'est la grande question car il ne désigne personne et nous laisse deviner.
Il avoue enfin, tardivement, que sa politique économique, sociale, culturelle, diplomatique est un échec. Depuis maintenant plus de 9 ans. C'est très grave, car cet aveu pose le problème essentiel du rôle des institutions et de la représentation nationale. A partir du moment où celles-ci ne jouent pas leur rôle de contrôle et de contre- pouvoir, on se demande à quoi elles servent, si ce n'est à figurer, renvoyer l'image d'un pays démocratique et à participer à la curée. La démocratie, ce n'est ni la transparence ni la lumière jetée sur les décisions du pouvoir.
La démocratie, ce sont les contre-pouvoirs et la séparation des pouvoirs, de l'argent, des médias et de la politique. Implicitement, cet échec est également celui de tout le système qui a servi jusque-là de socle à son pouvoir. Les conclusions qui s'imposent sont évidentes, mais elles demandent un acte politique courageux : démissionner. Mais ce serait réducteur, ce président n'est pas tombé du ciel. Car ce fut un tintamarre de flatteries flatulentes qui avaient accompagné son arrivée, quel vacarme ! Ce fut un 'concert klaxonnant de louanges, de compliments dégoulinant jusqu'à la nausée. Ceux qui l'ont adoubé se sont trompés, malgré les mises en garde. D'autres avant eux ont démissionné pour ne pas s'être compromis par une politique déviante. En 1974, Chérif Belkacem, ministre d'Etat et second personnage du régime, puis quelques mois plus tard Ahmed Médeghri, ministre de l'Intérieur et Kaïd Ahmed, responsable du parti FLN y ont laissé leur vie, jusqu'à récemment, en 1998, le président Liamine Zéroual. Ils se sont grandis, ont gagné en crédibilité et en respect.
Depuis que les systèmes politiques existent, beaucoup se sont écroulés pour avoir fonctionné sur eux-mêmes, verrouillant le champ politique, puisant dans les élites qu'ils enfantent et élèvent à leur mesure, encourageant la prédation, les corrompant pour mieux les instrumenter, transmettant en vase clos les privilèges, tournant le dos à la société et à ses représentants légitimes. Tous ces pouvoirs ont ancré les fondements de leur autorité sur une police politique et un fichage à travers des réseaux qualifiés de société civile pour se prémunir de toute opposition et d'esprit critique. Les critiques sont disqualifiés, deviennent quasiment de mauvais Algériens, à la limite, des anti-nationaux et des traîtres, les ennemis d'un progrès qu'on ne voit pas car il est sans visage. Leur gourme, leur morgue de caste et leur langue de bois codée en deviennent insupportables.
D'ailleurs, ce pouvoir n'aime pas la nation parce qu'il ne veut plus rien partager, jusqu'à faire démissionner l'Etat qui est devenu le berceau de l'immobilisme, du conservatisme et de l'irresponsabilité. Comme tout pouvoir policier, le pouvoir algérien manie à merveille trois fondamentaux : la répression, la subversion et la corruption. La majorité des changements de système politique, intervenus au siècle dernier, ont été obtenus de deux manières : dans la douleur et la violence (par effraction, coups d'Etat militaires, violences populaires), ou par la transition, telle que celle réalisée par les pays de l'Europe du Sud, des pays de l'Est après la chute du mur de Berlin, où leurs dirigeants ont géré intelligemment la transition, et les pays d'Amérique latine après le retrait des militaires du pouvoir et de la politique. La transition des systèmes policiers et à parti unique vers la démocratie, c'est-à-dire le multipartisme, des institutions équilibrées et des débats contradictoires, a été réalisée dans de nombreux cas sans violence, dans le respect de l'opposition et de la politique.
Si ces « transformations » ont réussi, c'est parce qu'elles ne se sont pas limitées à de simples ruptures politiques, mais ont affecté tous les rapports sociaux, tous les secteurs, sphères sociales dans lesquelles elles ont pris place, en un mot, l'architecture d'ensemble. En ce sens, il s'agit d' authentiques « révolutions sociales ». La simultanéité de ces deux processus n'est pas nécessairement incompatible, et les deux sont solidaires. Beaucoup ont tendance à penser que le passage du parti unique au multipartisme de façade et orchestré est en soi une marque de démocratisation d'un système politique. Ce leurre -car on est dans la culture du leurre- conforte les détenteurs du pouvoir dans leur posture à afficher une « vitrine » démocratique pour infléchir les pressions extérieures ou s'attacher les soutiens de pays donneurs de leçons se contentant des aspects formels pour soutirer de substantiels contrats. L'Algérie a connu depuis son indépendance une histoire coupée en deux à la suite des émeutes d'octobre 1988. Il faudrait bien évidemment rappeler le 19 juin 1965, mais ce « redressement » a échoué dans sa tentative de s'ouvrir à la démocratie et cet échec a institutionnalisé le pouvoir personnel.
Par contre, octobre 1988 fut un événement pluriel, tout comme son héritage, avec des effets bénéfiques et d'autres, catastrophiques. Comme par hasard, aucun journal, encore moins la télévision, n'a eu l'idée d'aller demander leur avis à ces acteurs dont la vie a réellement changé en octobre 88 et dont beaucoup ont fait vivre le meilleur, puis rejoint leur taudis, assumant leurs traumatismes, leur pauvreté, leur condition de laissés-pour-compte et leur ressentiment. Rien d'étonnant à ce que la presse parle si peu de ceux-là ; elle leur est en grande partie redevable. On ne gardera des effets de cet « évènement » que la libération de la presse, ses patrons avec l'ouverture au privé, qui n'est pas nécessairement l'indépendance. Octobre 88 a mis en lumière et ratifié une évolution dont le processus enclenché depuis quelques années arrivait à maturité. Mais ce processus a été rapidement détourné car ce moment a été le passage d'un ordre bureaucratique autoritaire à la formation d'un mélange hétéroclite de clans affairistes et de bureaucratie policière, cynique et arrogant, économiquement libéral..
Ce qui nous conduit à un raccourci facile mais non sans signification : tout çà pour çà ? Il suffit pour cela de visionner les itinéraires, qui témoignent souvent mieux de ce qui fut au coeur des espoirs et des utopies (les « socialistes » de la révolution industrielle et autres .... ) que les reniements cyniques et oublieux de tant d'experts et P. D.G. Nous regardons et subissons une politique de résignation et de jouissance rentière : on ne sait plus quoi faire du pouvoir, mais on le garde, on ne sait jamais ! C'est une conjugaison de cynisme, de morale religieuse et d'argent fou. Les anciens « socialistes » ont vite fait la paix avec un marché réservé et protégé par l'Etat. La société de consommation où ils nagent comme des poissons dans l'eau leur profite, comme s'ils en avaient dénoncé les tares dans la planification pour mieux s'y adapter. C'est ce qu'ils appellent « la réforme » et la réalité de la mondialisation qui veut que ce soit cela la modernité, la croissance et le développement.
On comprend mieux que le socialisme n' ait été qu'une parenthèse ayant enfanté des fils indignes. Ils habitent toujours dans l'ivresse de la parole avec cette croyance qu'il suffit de parler pour exister et convaincre. Mais ils contournent le gouffre, ils détournent les yeux de ce naufrage de la société qui laisse ses enfants sans emploi sur le fossé, au milieu des flots ou en prison. Le droit de rêver a été aboli. Les jeunes espéraient un dispositif pour l'emploi, les plus pauvres attendaient le renouveau d'une idée égalitaire de la nation, mais c'est la course à la mendicité d'un accord avec l'U.E. et l'entrée à l'OMC, les contrats mirifiques aux soutiens étrangers et « l'investissement » offert aux aventuriers. A travers un « triomphe » électoral négocié avec les puissances étrangères, le pétrole d'un côté et le traité d'amitié de l'autre, le vrai est à nouveau apparu comme un moment du faux. Car, il avait fallu, pour exister, démolir par des mots ce que ce pouvoir se proposait de réhabiliter très vite : le retour des vieux usages, le mépris des hiérarchies, la détestation de la République, la tyrannie des intérêts particuliers, la destruction de l'école, de la famille et de la sociabilité.
On nous explique que notre Constitution, qu'on donnait en modèle de démocratie en Afrique, devait être révisée, qu'il convient de se plier scrupuleusement à ce diktat et d'attendre sagement l'échéance à venir qu'ils vont décider. Nous sommes affiigés depuis quelques années d'un pouvoir qui nous mène à Dieu sait quels abîmes sans le moindre frémissement des institutions, de celles qui sont censées nous protéger. Ils exigent que tout soit remis à plat, toutes les règles revisitées. Ce pouvoir a entraîné le pays dans un réexamen général de tout et du reste en le faisant vivre dans la déchéance. Par conséquent, l'esprit critique est devenu inexcusable et justiciable parce que l'imagination a demandé le pouvoir. Les jeunes gens posent un oeil tout neuf sur des dirigeants fatigués du pouvoir. Ils cassent et brûlent ; peut-être ! Mais à quoi peut bien servir la jeunesse si ce n'est à remettre sauvagement en cause les lois et les autorités qui lui barrent la route ? Ceux qui nous gouvernent sont réactionnaires à bien des égards mais ils se veulent des révolutionnaires. C'est la source de leur force d'illusion face à des partis politiques et des institutions plombés par la détérioration de leur esprit critique et leur enfermement dans des schémas obsolètes et des arrière-pensées. Interroger et réinterroger sans cesse les maîtres légitimes, c'est refonder une nation.
Ils n'en veulent pas ! S'il existe un risque potentiel de la nouvelle situation, il n'est pas à rechercher dans la remise en question directe des libertés démocratiques- déjà largement érodées- mais d'abord dans l'érosion de la dimension symbolique des institutions, de toutes les institutions. Le second risque ne provient pas du terrorisme -puisque l'on nous dit qu'il est éradiqué-, mais de l'affairisme, de la corruption sous forme de gangrène généralisée -financière et morale- devenue mode de gouvernement. Ce danger vient de ces quelques hommes d'affaires qui monopolisent les crédits bancaires après avoir obtenu des lignes de crédits extérieurs au moment où l'Algérie était en cessation de paiement. Pour les gouvernants, c'était un clin d'oeil aux institutions monétaires internationales et aux gouvernements étrangers, de leur volonté de libéralisation ; pour ces nouveaux entrepreneurs à l'algérienne, soutenus de l'intérieur par des cercles du pouvoir, l'occasion de conforter des connexions et de constituer des réseaux avec des groupes d'affaires étrangers eux mêmes raccordés à des lobbies de pouvoir et d'argent.
Cette situation n'est pas nouvelle, elle n'est pas remise en cause, mais plutôt absoute par l'ex F.I.S et le mouvement islamiste qui a, lui aussi, débordé dans l'affairisme, le racket, le blanchiment d'argent puis l'honorabilité sociale. Tout cela s'est fait dans l'opacité totale ; les « investisseurs » prennent acte de leurs usines brûlées, se rabattent, grâce aux crédits en leur possession, sur l'importation des rebus de l'Europe qui se retrouvent dans les circuits de commercialisation des militants du mouvement islamiste, toutes tendances confondues. C'est le lancement de l'économie « bazarie » informelle à grande échelle, hors des circuits bancaires, que de nombreux « économistes » et politiques considéraient comme le signe de la vivacité de l'économie de marché en Algérie. On ne peut nier à ce moment-là la convergence d'un certain nombre de faits dont l'aboutissement a été l'alliance objective entre des groupes supposés antinomiques et inconciliables, le mouvement islamiste d'affaires, des « entrepreneurs » laïques et même « démocrates », possédant partis politiques et presse (cela ressemble étrangement à Berlusconi !), en orbite dans des sphères différenciées.
Ces individus ont investi le champ politique, pollué par l'argent, se comportent en chefs de bande, protégés par des gardes du corps à l'intérieur de voitures blindées, criant leur volonté de soumettre les gouvernements qui leurs demanderaient de rembourser leurs crédits. Ils imposent leur ordre, qui est accepté. Le caractère instrumental de la violence est devenu une ressource qui est gérée au mieux de leurs intérêts. On peut parler d'un « business »de la violence. Les dirigeants glissent des logiques de patronage à des logiques de gangs. Ce sont des formes singulières de modernité. Elles ressemblent d'ailleurs à ce qui se passe au niveau international qui fait que le désordre ambiant se révèle profitable aux réseaux internationaux. C'est la pire violence de l'argent, les inégalités les plus criantes et la brutalité d'appareils de pouvoir dont le monopole est directement hérité d'un système policier. Les dirigeants peuvent légitimer leur pouvoir auprès de leurs cercles les plus proches qui bénéficient de récompenses immédiates. Il est beaucoup plus difficile, sinon impossible, de légitimer ce pouvoir auprès des populations dominées. Or, ce sont ces cadres qui servent de courroie de transmission auprès des populations pour faire admettre cette légitimité. Si ceux-là sont défaillants parce qu'ils ne pensent qu'à augmenter leurs privilèges, ils se détachent des populations qui ne se sentent plus concernées et rejettent cette légitimité. C'est ce qui se passe avec Bouteflika et ses soutiens.
La supériorité et la répression ne suffisent pas à assurer une domination. Le troisième mandat est ainsi entendu. On veut démontrer que les effets à long terme de cette domination vont être bénéfiques pour les dominés, les populations, même si les effets à court terme semblent négatifs. Cette idée prédomine actuellement, même si cette domination s'appuie sur la répression. De même que l'on a voulu attribuer des positions de pouvoir sur la base de la théorie de la méritocratie qui devait être mesurée sur des critères objectifs. C'est ainsi que ces « méritants » devinrent les juges autonomes de leur propre valeur et de leur propre recrutement. L'accès à ces positions sociales, accordé de façon systématique sur les bases du seul mérite était donc justifié. Ainsi, si les autres couches sociales recevaient moins de privilèges et de dividendes, c'était uniquement parce qu'elles ne s'étaient pas dotées de savoir-faire objectifs qui étaient à la portée de tout le monde. C'est à dire qu'elles n'étaient pas à la hauteur, quelle qu'en soit la raison- incompétence ou mauvaise volonté-.
Tout système est historique et il apparaît aujourd'hui que nous sommes dans un moment particulier de ce système, le temps de sa crise structurelle, la naissance de la transition qui va le dépasser. Il faut pour y réussir clarifier le présent et élucider les contraintes qui vont peser sur les options pour l'avenir. C'est cela que le pouvoir redoute, car la réussite de cette réflexion érode son fondement, surtout dans la première ébauche de transition que beaucoup assimilent à une crise politique. Il n'y a crise politique que parce que s'opposent au sein du système plusieurs réflexions sur le devenir. Bien évidemment, le moment de la transition n'est pas facile et il y a beaucoup d'écueils sur lesquels le processus pourrait s'enrayer, car la clarté est brouillée par les réalités et les tiraillements émotionnels. Mais si nous voulons que notre pays retrouve sa crédibilité auprès de ses propres citoyens, il faudra en passer par là. Sinon nous continuerons à connaître cet ordre hiérarchique et inégalitaire au sein duquel le pouvoir de l'argent, le régionalisme et la répression continueront de dominer la pratique politique avec plus de férocité encore. Ce paradigme a encouragé toutes les aventures jusqu'au reniement des lois historiques sur lesquelles a reposé la crédibilité du pays post- indépendance.
Evidemment, tout groupe puissant a son origine, son histoire, ses connexions et à partir d'un certain moment devient lobby imposant ses représentants au sein du pouvoir pour veiller au bon partage de la rente financière. Mais, à partir d'un certain moment, lorsque l'Etat est devenu leur propriété, ils sont devenus les acteurs politiques de leurs propres intérêts. Le mimétisme étant le propre des parvenus, ils se plaisent à vouloir ressembler aux lobbies évoqués par la presse internationale aux Etats-Unis ou en Europe. Ce sont ces « capitaines d'industrie » qui se présentent, relayés par la presse, comme les sauveurs de la République abandonnée à elle-même. On aboutit à un dangereux mélange consanguin politique-affaires que la morale et la République ne peuvent admettre. Tous deux y trouvent évidemment leurs intérêts : le renforcement de leurs parts de marché, le soutien à l'import, l'accès au crédit et la marginalisation des gêneurs.
Quoi de plus évident que leur soutien à ce pouvoir évanescent contre la majorité et ceux qui, depuis des années appellent à la vigilance pour sauver ce qui peut l'être encore. Les blessures ne se voient pas forcément mais elles sont irrémédiables. Il faut savoir regarder et entendre les souffrances. De toute façon notre grand sorcier n'a plus de magie, si tant est qu'il en ait eu. Le charme est rompu depuis longtemps. Il n'y a que de l'agitation, de l'incantation et des moulinets. Ceux qui veillent doivent le savoir et ne peuvent plus continuer à fermer les yeux. Sauf à être complices.
Mais le président Bouteflika a toujours eu de grandes capacités de résistance. Il sait manœuvrer, se battre, même quand il n'a pas de pouvoir. Aujourd'hui, il a le pouvoir, des forces, des réseaux. Jadis, un rebelle d'Hégel disait que « les événements historiques surviennent toujours deux fois, la première fois cemme tragédie et la seconde fois comme farce ». L'histoire nous instruit de ces séquences de « commedia dell' arte ».
L'auteur est politologue


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