La perception des lycéens sur la symbolique du 1er Novembre est édifiante. S'ils savent qu'elle marque le début de la guerre de Libération nationale, cette date ne représente, pour la majorité d'entre eux, que quelques jours fériés qui les dispenseraient d'aller en classe. Hassiba Ben Bouali et Ali La Pointe figurent dans le top 5 des rares révolutionnaires connus par les adolescents. À quinze jours de la célébration du 54e anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale, il a semblé opportun, pour la rédaction, de s'attarder sur la perception des lycéens – autant dire les adolescents de 15 à 20 ans – de cet événement historique. La confrontation de l'expérience avec les lycéens de quatre établissements d'Alger, dont les lycées Okba-Ibn-Nafaâ de Bab El-Oued et Arroudj-et-Kheireddine-Barberousse d'Alger-centre (ex-Delacroix), a montré une connaissance limitée de ce que charrie cette date comme faits historiques. Les élèves, quel que soit leur niveau scolaire (1re et 2e année, ainsi que des terminales) et l'établissement où ils sont inscrits, ont reproduit fidèlement des extraits sur le 1er Novembre, publiés dans les livres d'histoire destinés à ces classes. “Le 1er novembre à minuit, a été lancée la première balle annonçant le déclenchement de la guerre de Libération nationale sur l'ensemble du territoire national…” Certains se hasardent à exprimer leur fierté du sacrifice des martyrs, grâce auquel le pays s'est libéré du colonialisme. Jusque-là, l'on aurait été tenté de conclure que l'histoire, telle qu'enseignée dans l'Ecole algérienne, permet aux enfants et adolescents de retenir, au moins, la quintessence d'un événement qui a marqué l'histoire contemporaine du pays. Il n'en demeure pas moins que les réponses stéréotypées des lycéens attestent d'un rapport froid, expurgé d'émotions, avec les faits de cette époque. Il est vrai que les adolescents d'aujourd'hui forment la deuxième génération de l'après-guerre. Ce qui revient à préciser que leurs parents eux-mêmes, pour la majorité, n'ont pas connu la Révolution où étaient de jeunes enfants dans la seconde moitié des années 1950. Il est à noter que l'on ne glorifie nullement les sept ans de lutte armée contre l'occupation française en milieu familial et rarement sur les chaînes de télévision nationales, les ondes de radio et les journaux – auxquels les enfants et les adolescents n'ont pas spécialement accès, préférant les chaînes étrangères, les jeux électroniques et Internet –, en dehors des dates commémoratives. La visite de musées, dont celui du Moudjahid, ne fait pas non plus partie des habitudes des Algériens. Les bribes d'informations, assimilées sur le 1er Novembre 1954, sont puisées des cours d'histoire. De nombreux lycéens confondent, néanmoins, entre cette date et le tragique massacre du 8 Mai 1945. “En cette date, des milliers de personnes sont mortes…”, ont écrit nos jeunes interlocuteurs. Petit cafouillage aussi dans les noms des révolutionnaires ayant marqué la mémoire des Algériens de 15 à 20 ans. Dix-huit noms ont été cités par les adolescents sondés, dont 9 de manière récurrente. Hassiba Ben Bouali, Ali La Pointe, Ahmed Zabana, Didouche Mourad et Larbi Ben M'hidi forment le top 5 des noms les plus évoqués. Encore une fois, la référence n'est autre que le livre scolaire. Beaucoup de lycéens ont, curieusement, évoqué Lala Fatma n'Soumer comme une combattante active de la guerre 1954-1962. Cette personnalité est, certes, marquante dans la résistance contre le colonialisme, mais un siècle auparavant, c'est-à-dire vers 1850. Quelques élèves ont fait mieux en citant le nom de Hocine Aït Ahmed mais aussi celui d'Ali Mecili. Intrusion insidieuse d'un fait d'actualité dans les souvenirs des adolescents, puisque ledit patronyme alimente, depuis plus de deux mois, les chroniques de la presse nationale ? Pour quelques jeunes filles, le 1er Novembre est synonyme de diffusion, sur l'Unique, de films sur la guerre d'Algérie. “Nous regardons beaucoup de films sur la Révolution”, ont-elles souligné. Pour un garçon de 15 ans, scolarisé au lycée Okba-Ibn-Nafaâ, “le 1er Novembre signifie 4 jours fériés, les coups de canon à partir du port et des spectacles de motocycles dans certains quartiers”. Les quelques jours de vacances accordés aux élèves à l'occasion de la commémoration du 1er Novembre sont récursifs dans les écrits des lycéens. “Personnellement, la journée du 1er Novembre me rappelle nos grands-parents qui se sont battus pour qu'on puisse vivre tranquillement et en paix. En plus, ce qui me plaît, c'est de ne pas aller à l'école. C'est trop génial…” “…C'est un jour férié suivi de trois jours de vacances. Donc, j'adore ce jour…” “Je pense que c'est une journée un peu spéciale parce qu'on n'a pas cours et parce qu'on a quelques jours de vacances…” Sur la centaine de lycéens que nous avons interpellée sur le propos, 98% portent leur intérêt majeur sur cette interruption providentielle des cours. “Le 1er Novembre ne représente qu'un alibi pour dormir, puisque nous travaillons sans arrêt pendant la semaine. Voulez-vous parler de notre problème de programme chargé ?” a ajouté au bas de sa réponse un garçon de 17 ans du lycée Arroudj-et-Kheireddine-Barberousse, au même titre que beaucoup de ses camarades, dans d'autres classes et d'autres établissements. Plus désinvolte, une étudiante du lycée Delacroix s'est dit particulièrement marquée par le 1er Novembre car… c'est le jour de son anniversaire. Pour l'un de ses camarades, c'est celui de son père. “C'est pour ça que c'est cool.” Evidemment, ces deux dernières réponses, assez singulières, ne sont pas prises comme modèles d'interprétation de l'image reflétée par la guerre de Libération nationale dans la mémoire des adolescents. S. H. N. B. : Le questionnaire adressé aux élevés des trois lycées Okba, Arroudj-et-Kheireddine Barberousse et Hassiba-Ben-Bouali n'a pas la prétention d'un sondage qui répond aux normes méthodologiques d'usage. Néanmoins, les réponses fournies par les élèves sont révélatrices, fut-ce partiellement, du regard que porte aujourd'hui les jeunes Algériens sur la symbolique du 1er Novembre 54.