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Le mouton aux cornes d'or de Chréa
Il se négocie entre 25 000 et 50 000 dinars
Publié dans Liberté le 01 - 12 - 2008

Bien que disponible en abondance, le fameux mouton des Nememchas est cher cette année. Les éleveurs font dans la rétention de cheptel et vendent au compte-gouttes, proposant le mouton broutard de moins de 20 kg à 25 000 DA et le bélier entre 40 000 et 50 000 DA. Ce qui porte le prix du kilogramme à quelque 1 200 DA, à savoir une fois et demie le prix de la viande de mouton au crochet des bouchers. Cher, trop cher. Reportage.
La pluie n'a pas totalement délaissé la ville de Chréa et ses environs. Il a plu pendant quarante-huit heures d'affilée la semaine passée, et le soleil, qui brille de nouveau sur toute la région de Tébessa, a repeint les prairies des Nememchas d'un beau vert, celui de l'herbe fraîche. Un bienfait du ciel pour la population locale, car la pluviométrie enregistrée, fût-elle de 15 mm à peine, est la bienvenue. La floraison qu'elle induit représente, en effet, une économie substantielle en aliment de bétail, que les éleveurs nombreux ici achètent au prix fort. “La sécheresse nous a donné plus de travail, on a dû nourrir les bêtes, explique El Hadj M'Hamed Baaloudj. Mais nous sommes encore là à conduire nos troupeaux !” Les habitants de la capitale des Nememchas, comme ils se désignent avec fierté, ont, semble-t-il, payé chèrement la survie de leur cheptel. Selon ce nonagénaire, qui passe pour l'un des plus gros éleveurs d'ovins des Hauts- Plateaux durant les dix dernières années, depuis 1997 exactement, précise-t-il, la sécheresse a arasé des milliers d'hectares de prairies et condamné les éleveurs à vendre une partie de leurs animaux aux abattoirs. Il reste aujourd'hui près de 3 millions de moutons à travers le territoire des Nememchas contre un peu plus de 4 millions en 1999, les propriétaires petits ou grands n'ayant d'autre alternative que de brader une partie de leur bétail pour pouvoir faire face aux frais d'alimentation du reste. El Hadj Baâloudj est justement l'un de ces grands éleveurs de la région, mais il n'est pas connu uniquement à ce titre. Tout le monde à Tébessa sait qu'il est l'un des proches de l'écrivain et poète Mohamed Chebouki, l'autre fils de Chréa, et auteur de Jazaïrouna. On dit même qu'il a été celui qui a diffusé le fameux chant patriotique dans les rangs des moudjahidine et des populations civiles durant les années de braise. Ceci pour dire la notoriété du personnage et le poids de son propos sur la question du cheptel ovin, thème qu'il maîtrise parfaitement, comme nous avons pu le constater. Notre hôte est catégorique, les effets de la sécheresse associés aux coûts exorbitants de l'aliment du bétail sont les causes directes de la surenchère dont le mouton fait l'objet en cette veille de l'Aïd-El-Adha.
Le couvert végétal interdit d'accès
“Même l'accès au maquis, dont le couvert végétal aurait pu permettre aux bêtes de s'alimenter, comme cela se faisait par le passé, a été interdit, les régions boisées de la wilaya de Tébessa étant décrétées zones interdites par les services de sécurité, à cause du phénomène du terrorisme”, déplore El Hadj M'hamed. Les contrevenants à cet interdit auraient fait, selon lui, les frais de leur indiscipline et nombreux sont ceux qui se sont vu délestés de leurs bêtes par des terroristes, si ce n'est par des brigands armés spécialisés dans la contrebande, nous affirmera-t-il. Ces contraintes ont évidemment poussé les éleveurs à se rabattre sur l'aliment du bétail au prix coûtant. “J'avoue qu'il y a eu certes un effort qui a été consenti par les pouvoirs publics, après que nous avons eu la possibilité d'exposer nos problèmes à M. Barkat et au chef du gouvernement Belkhadem lors d'une rencontre organisée, en mars dernier à Zéralda, avec les éleveurs des 18 wilayas concernées”, reconnaît-il. Et de poursuivre : “Ces deux responsables nous ont promis la mise à la disposition de notre circonscription de 1 000 tonnes d'aliment de bétail pour passer l'hiver en attendant d'autres mesures d'encouragement, selon eux. Mais quelle ne fut pas notre surprise de constater, lors de la distribution de ces produits par l'OAIC, que nous n'avions droit qu'à… 300 grammes à peine par tête et par jour !” À l'évocation de cette quantité dérisoire, le président de la section locale de l'UNPA, El Hadj Boulares Amar, qui est lui-même éleveur et propriétaire d'un cheptel de plus de 1 000 têtes, faillit s'étouffer de colère. “Vous vous imaginez, 300 malheureux grammes, même pas de quoi nourrir un poulet. C'est à croire qu'ils veulent nous pousser au désespoir en agissant ainsi. Où est passé le programme d'importation de 300 000 tonnes d'orge destiné aux éleveurs de la steppe, des Hauts-Plateaux et des régions agropastorales de toutes les wilayas du pays ?” s'interroge ce dernier. El Hadj Boulares, qui semble savoir de quoi il parle, nous explique que les Comités de contrôle et de certification des semences et des plantes (CCCS) sont chargés de l'application sur le terrain dudit programme et de toutes les dispositions gouvernementales en faveur des éleveurs en coordination avec l'Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) au niveau local. Ces organismes ont pour mission de recenser les besoins des éleveurs par zone d'élevage, sur présentation de leur carte d'éleveur et des certificats de vaccination de leur cheptel. Il nous apprendra que l'Etat a octroyé, cette année, aux agriculteurs une aide à hauteur de 30% de leurs besoins en intrants, notamment, et qu'un autre programme de soutien serait en cours d'élaboration. En attendant que la situation soit bien prise en charge par les organismes, les éleveurs sont livrés pieds et poings liés aux spéculateurs.
“Un complexe industriel intégré pour sauver la filière”
“On croit que le fermier est riche. Mais non, son argent, c'est le mouton”, dit Lazhar Boulaaziz, la cinquantaine, un autre éleveur incontournable de la capitale des Nememchas. Cet homme à l'apparence prospère avec son chèche razza et son burnous noir, tenue des notables de la ville, nous avoue qu'il n'a guère plus que 300 têtes de bétail, alors qu'il n'y a pas si longtemps, il en possédait plus de 1 000. “C'est la faute aux spéculateurs”, se plaint-il. Pour cet homme, les prix pratiqués par les importateurs d'aliment de bétail sont devenus inaccessibles, ils dépasseraient tout entendement. “L'orge est vendue à 2 250 DA, alors que le prix fixé par l'OAIC est de 1 500 DA, la luzerne et la botte de foin sont respectivement à 1 550 et 500 DA et nous ne parlons pas des produits phytosanitaires… Au rythme où l'on va, plus personne ne voudra pratiquer ce métier. Nous nous dirigeons tout droit vers l'extinction du cheptel et c'est bien dommage”, s'insurge Lazhar. “C'est la nourriture des animaux qui provoque la flambée des prix sur le marché, on ne peut quand même pas vendre à perte et on ne peut pas garder notre cheptel non plus. Un véritable casse-tête pour nous qui ne savons faire que ça, c'est la tradition séculaire de notre tribu et elle est très ancrée dans notre culture. Et ils font vivre directement au moins 50 000 personnes à Chréa et à Bir Mokadem, la seconde grande agglomération de la wilaya, spécialisée dans l'élevage du mouton. Renoncer est très difficile, nous sommes véritablement à un tournant”, nous dit-il. Evoquant l'introduction de la viande importée dans le commerce et l'engouement des Algériens pour ces viandes rouges qu'ils qualifieront “d'impures”, les trois éleveurs s'élèveront comme un seul homme pour crier à la concurrence déloyale. “C'est un sacrilège que de payer en devises fortes des carcasses d'ovins, alors que le mouton abonde au niveau national. Pourquoi importer alors que tout le monde sait que le cheptel ovin algérien est exporté sur pied au Maroc et en Tunisie ?” commenteront-ils.
Le phénomène de la contrebande auquel font allusion nos interlocuteurs ne serait plus d'actualité pourtant. C'est par Si Boulares que nous apprendrons que les qnatria (contrebandiers) ne trouveraient plus acheteur du côté tunisien. L'interruption du trafic transfrontalier coïnciderait avec l'arrêt de production d'un présumé complexe tunisien d'abattage et de conditionnement implanté à Sfax qui travaillait, semble-t-il, en partenariat avec des Italiens.
C'est alors qu'il nous parlera du projet que compte monter à Chréa, justement, un industriel originaire de la localité, et de l'impact d'un tel investissement sur la vie économique de la wilaya tout entière. “Une perspective qui est portée à bout de bras par tous les habitants de la région des Nememchas, dans un élan collectif de solidarité pour sauver la filière”, affirmera pour conclure El Hadj Baaloudj.
A. A.


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