Asmi nxeddem le théâtre (Quand on jouait au théâtre), une nouvelle littéraire d'anthologie de Muhend u Yehya, est peu connue du grand public. Cet écrit sur l'apport de la production culturelle dans la revendication identitaire amazighe circulait sous le manteau dans les milieux militants de l'époque. Ayant compris le rôle du théâtre dans la conscientisation du peuple, Muhend u Yehya, de son vrai nom Abdellah Mohia, a très tôt fait de s'intéresser au patrimoine culturel berbère dans toutes ses facettes. C'est ainsi qu'il s'essaya à tous les genres littéraires : poésie, conte, nouvelle, théâtre, essai, traduction et adaptation. Ses chants engagés ont fait les choux gras de nombre d'artistes, dont certains ont été qualifiés par Kateb Yacine de “maquisards de la chanson”. Son intérêt pour le patrimoine universel a donné des œuvres en tamazight qui ont fondé le théâtre d'expression amazighe. Que ce soit à l'université d'Alger ou à Paris avec le GEB (Groupe d'études berbères), Mohia, ce natif de Aït Rbeh, un village haut perché sur les hauteurs du Djurdjura, a explosé littéralement en étant au sommet de son art. De grandes œuvres de la littérature universelle ont été adaptées dans la langue de Mammeri. La Jarre de Pirandello, La décision de Brecht, Tartuffe de Molière, En attendant Godot de Beckett, Le ressuscité de Lu Xun, toutes ces œuvres sont passées sous le “bistouri” de Muhand u Yehya, donnant ainsi les bonnes feuilles du naissant théâtre d'expression amazighe. Rien ne pouvait arrêter le bouillonnant Mohia, qui avait retrouvé alors une source d'inspiration et une créativité débordantes de vigueur et de vie. Mais voilà que le père fondateur du théâtre kabyle a été happé par la Faucheuse un certain 7 décembre 2004, léguant à la postérité une œuvre monumentale. Certaines de ses oeuvres sont laissées à l'état de manuscrit. C'est pour marquer cet anniversaire qu'un hommage lui est rendu à la maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, à travers les troisièmes Journées théâtrales ouvertes jeudi dernier avec des témoignages sur la vie et l'œuvre de Mohia. Ces journées, dont la clôture est prévue pour aujourd'hui à la cité universitaire de Bastos, ont vu la participation de la troupe de théâtre Jean-Sénac de Marseille et Imsebriden, une troupe qui a “sévi” dans les campus universitaires dans les années 80. La troupe de Marseille a présenté Sinistri, alors que la troupe théâtrale Imsebriden a joué, elle, la pièce d'anthologie Tacbaylit. Un recueillement sur la tombe de Mohia a eu lieu à Aït Rbeh. L'hommage de ce week-end remet sur le tapis la question relative à l'état du théâtre d'expression amazighe amateur. Un état des lieux s'impose sur ce théâtre qui, selon les initiés, a connu ses heures de gloire à une époque récente, lorsque l'université de Tizi Ouzou était une sorte de bouillon de culture, une immense scène de création théâtrale. Quand tout le monde jouait au théâtre… Yahia Arkat