New York, Brooklyn ou Atlanta, n'importe quelle ville américaine, ou alors le Mexique, ça existe aussi en Algérie. Plus exactement à l'Est, à Constantine. Ce ne sont pas des villes comme on peut les imaginer, mais des quartiers de la nouvelle ville dont la population est à 60% issue des bidonvilles recasés mais qui ont tenu à prendre dans leurs bagages, au moment du relogement, les noms de leurs misérables demeures d'avant. Les pratiques n'ont pas non plus évolué avec ces infinies cités qui se construisent en marge de la ville antique. La première impression qui se dégage de ce décor commun de cités-dortoirs, ce mode urbanistique national est un certain relâchement du conservatisme de Constantine. Culture débridée du ghetto ou évolution des mœurs d'une ville qui s'est repliée pendant longtemps avec l'encouragement d'un islamisme “universitaire” et ostentatoire. Le ministre Soltani et le leader malheureux d'El Islah y ont laissé une empreinte qu'ils évoquent parfois avec fierté. À l'abri de cet enfermement très prononcé, se sont développés des fléaux et des phénomènes, comme l'agression, le trafic de drogue et de véhicules. Constantine se distingue toutefois par le trafic de psychotropes. Cela s'expliquerait en partie, selon le commandant de la compagnie de gendarmerie, par le nombre élevé de grossistes en médicaments dans la wilaya. Leur nombre serait le plus élevé du pays. Il est de ce fait quasiment impossible de déterminer l'origine, le vendeur de ces comprimés, selon l'officier. Pour l'instant, on se contente du constat qu'il y a, quelque part, un dysfonctionnement ou complaisance. Le fait est là, se développe, mais personne n'est ouvertement accusé. Il a été saisi durant les 11 premiers mois de l'année en cours 40 115 comprimés de psychotropes et 12 kilos de kif. Mais si les vols de portables ont diminué conséquemment au durcissement des peines de prison contre les auteurs, les agressions, coups et blessures volontaires avec les armes blanches sont légion, surtout dans ces nouveaux quartiers où les habitants ne sont pas encore bien connus. On y trouve tous les comportements, des “gentils”, des jeunes arrogants, des dealers, des terroristes, des parents dépassés et ces porteurs de couteaux qui se justifient par “la légitime défense” alors que les vengeances entre agresseurs sont courantes. On suppose d'ailleurs que cette ville tentaculaire abrite le plus haut taux de balafrés du pays. “Constantine est au top en matière d'agressions avec les armes blanches”, indique l'officier chargé d'une descente combinée avec la police dans ces quartiers. Ce crime est en tête avec 164 affaires traitées depuis le début de l'année 2008, année qui connaît une hausse par rapport à l'année précédente. Pour cette opération, il a fallu des grands renforts lui donnant l'air d'un ratissage. Le matin, c'est au Faubourg, la gare routière et Bab El Gentra d'être minutieusement “visitées”. Les cibles sont perquisitionnées avec l'occasion de revisiter 10 domiciles de terroristes. Ils n'y sont plus depuis longtemps. Et il est rare, a précisé le commandant régional, qu'un terroriste s'aventure à Constantine. Il est généralement rapidement repéré et neutralisé. Dans le cas de ces 6 terroristes, précisera le commandant du groupement, il ne s'agit pas de perquisition, mais de visite dans le cadre de la réconciliation nationale. Il s'agissait, selon lui, de les sensibiliser et de reprendre contact avec leur famille pour qu'ils rejoignent cette démarche et abandonnent les maquis. Djebel Ouahch, ultime repaire des sanguinaires, est régulièrement ratissé. Sinon, rien de grave à l'horizon, sauf le banditisme, la délinquance et les trafics souterrains, pendant des années, derrière la sauvagerie islamiste, qui apparaît au grand jour une fois sa couverture – priorité accordée à la lutte antiterroriste — perdue. La seconde mi-temps se jouera dans l'après-midi, dans la nouvelle ville et Aïn Smara. Le déploiement est impressionnant. Et les badauds, nullement impressionnés, s'agglutinent devant chaque vérification. Ce quartier, en forme de ville sur une légère pente rectiligne avec des immeubles de part et d'autre d'une large artère, est entièrement quadrillé par les gendarmes et les policiers. Tout est ausculté. Vérification de pièces d'identité, fouille au corps, contrôle et fouille des véhicules qui ne peuvent échapper à ce dispositif en “étau”. Même les tables de cigarettes n'ont pas échappé, au cas où du kif serait dissimulé. Une probabilité qu'atteste l'augmentation des affaires et des quantités de kif saisies. Ce ne sont plus des affaires de petits consommateurs ou de dealers de quartier, mais des quantités importantes – pas aussi importantes que les saisies à l'ouest du pays — et dont les auteurs sont souvent des personnes aisées et insoupçonnables. Résultat de cette descente, trois arrestations de personnes recherchées et huit autres pour port d'armes prohibées, catégorie criminelle du top constantinois. En plus de l'identification des véhicules, de la sanction des infractions au code de la route, a été interceptée une voiture avec à son bord un quintal de phosphate, matière dont le transport est soumis à autorisation administrative parce que entrant dans les compositions chimiques des bombes. Toutefois, le tableau n'est pas assombri par ces chiffres qui font la première statistique nationale, pour cette ville au relief particulier, mais qui a vu naître des artistes, les comédiens Bedos qui évoquera souvent sa ville natale, son quartier et le pont qu'il a failli enjamber dans un moment de spleen, Smaïn ou le maître du malouf, El Fergani, et est devenue un lieu de pèlerinage pour de nombreux pieds-noirs. Et même des nostalgiques de l'Algérie française. La jeune génération a d'autres préoccupations plus éloignées de la culture, de l'histoire, du savoir ou de la réforme du système éducatif, Ibn Badis ne servant d'aucun repère. Rien à voir dans l'antique Cirta. À moins que le projet de la ville universitaire avec ses six écoles contribue à réintroduire l'espèce versée dans le savoir et l'impose comme modèle au million d'habitants de la ville. Population que vient gonfler la main-d'œuvre chinoise et japonaise qui est sur des projets d'infrastructures et de logements. D'ici peu, la ville des Ponts prendra bien d'autres ponts asiatiques pour s'écarter – est-ce d'ailleurs un moyen de préservation ? — de la Vieille ville qui garde son charme malgré sa vétusté et ses embouteillages. Ses légendes et ses héros renaîtront un jour dans les mémoires accaparées par les mirages. Un roi numide sur son cheval dans la ville du rayonnement culturel, les premières balles de la guerre de Libération… peut-être ! Sauf que Constantine s'est alignée sur ses 48 sœurs du pays. D. B.