Bien qu'elle soit actuellement la zone la plus déshéritée de la wilaya, pour ne pas dire d'Algérie, Aït Yahia Moussa (30 km au sud du chef-lieu, Tizi Ouzou), est connue pour son engagement dans la guerre de Libération nationale. Les carrés des martyrs de Tachtiouine, de Tafoughalt et d'Ighil Nali Ouramdane (Carré des martyrs du 6 Janvier 1959) et bien d'autres sont témoins de cet engagement. À l'occasion du cinquantième anniversaire de cette historique bataille, une cérémonie de dépôt de gerbes de fleurs est prévue dans ce Carré des martyrs. Nous évoquons cette géhenne. Mais, peut-être avant de relater les faits d'armes de cette date, il faut dire que la commune d'Aït Yahia Moussa est classée en tête en termes de martyrs tombés au champ d'honneur. Bien avant cette offensive des paras de Bigeard, il y eut les batailles d'Assif Narmalou dans le versant ouest de l'ex-Oued-Ksari, en octobre 1956 lorsqu'un groupe de moudjahidine allait attaquer un poste militaire à Tighilt Bougueni dans l'actuelle commune dénommée M'kira frontalière d'Ath Yahia Moussa. Selon des témoignages recueillis ici et là, après la riposte, des militaires de la force coloniale s'étaient alors engagés corps à corps. Après que des soldats furent tombés devant la stratégie dressée par le chef du groupe Boulaouche Mohamed dit Si Moh Oulhadj, l'arsenal mis en place par l'armée française encercla toute la région et recourut à la torture systématique de la population civile ainsi qu'aux incendies de toutes les habitations du douar entier. Evidemment, cette vaste contrée connue pour être le berceau de la révolution, car rappelons-le, déjà en 1947, le futur colonel Krim Belkacem avait déjà cette idée en tête de déclarer la guerre à la force coloniale. Puis, cette zone fut dans l'œil du cyclone. Par rapport à la bataille du 6 janvier, nous avons pu apprendre qu'elle a eu lieu suite à une réunion qu'allaient organiser des chefs de la wilaya-III dont le colonel Amirouche et les colonels Si Mohammed ainsi que Omar Oussedik. Alors que d'autres versions disent que c'était le commandant Azzeddine qui devait transiter par la région d'Aït Yahia Moussa pour rejoindre l'est du pays. Sur informations captées par les transmissions ennemies, cette opération fut planifiée. Même au plus fort de la nuit, Si Moh Nachid, un autre grand moudjahid put tout de même organiser la sortie de ces responsables en suivant les méandres du massif montagneux du Djurdjura en les confiant à des hommes sûrs de région en région. Mais, l'armée coloniale ne renonça pas à son opération croyant venir à bout de cette organisation. Ecoutons un témoin qui faisait partie du groupe de la logistique et des renseignements au sein du FLN narrer les quelques informations qu'il savait à ce sujet. “Nous étions désignés par les moudjahidine de la région pour prendre place sur les crêtes et surveiller tout ce qui bougeait. À vrai dire, on ne savait pas ce qui était prévu. On disait qu'une grande réunion allait se produire, mais on ne savait absolument rien sur l'identité des présents”, raconte Da Amar, un rescapé de cette grande bataille. Et de poursuivre : “Le 5 janvier au matin, nous entendîmes de gros bruits de partout.” Da Amar secoua la tête sans doute pour se rappeler de quelque chose et ajouta : “C'était le 6 janvier à l'aube. Les combats commencèrent. Au fur et à mesure que le jour se levait, ils doublèrent d'intensité. On savait alors que toute la région était encerclée. Vers la fin de l'après-midi, il y eut beaucoup de morts du côté des forces ennemies. Ce fut alors la rage. Des combats se poursuivirent dans les champs d'oliviers corps à corps. Des blessés et des morts jonchaient aux alentours.” Le lieutenant Chassin et le capitaine Graziani capturés vivants On raconta que ce jour-là, les champs de Vougarfène et d'Ighil Nali Ouramdane étaient devenus des cimetières à ciel ouvert. Beaucoup de morts furent comptés des deux côtés. Durant les combats, le lieutenant Chassin et le capitaine Graziani furent capturés vivants et ils ne furent tués qu'après que l'armée française eut appelé au secours. “Un général s'était posé à Ighil Nali Ouramdane. Il avait dit à ses troupes que c'était un échec”, se rappela notre interlocuteur qui n'a pu retenir ses larmes en évoquant la suite. “Il y avait du sang partout. Il était difficile d'identifier les morts”, poursuivit-il. 32 000 soldats et 30 avions de guerre en action “À la fin de la journée, des hélicoptères appuyèrent les soldats qui grouillaient dans le maquis et dans toutes les oliveraies. Ils évacuèrent leurs blessés”, enchaîne Da Amar. Selon des recoupements de témoignages divers, au total 32 000 soldats et 30 avions de guerre étaient engagés dans cette bataille. “On entendait des bruits partout. Tous les villages étaient encerclés. Personne ne rentrait et personne ne sortait”, confirma une autre personne. Devant l'affolement général, les tonnes de napalm étaient larguées sur les habitations brûlant tout ce qui bougeait. L'armée française laissa des plumes dans une bataille pour laquelle elle avait engagé des moyens colossaux. Du côté de l'armée de l'ALN, il y eut des pertes qui étaient si minimes par rapport à celles des civils. On dénombra au total 385 morts sans compter les blessés à vie. De nombreux citoyens gardèrent les brûlures sur leurs corps pour le restant de leur vie. Avant de mettre fin à cette géhenne, les militaires français placèrent leur camp et des postes avancés dans toute la région pour contrôler toute la zone jusqu'à M'kira. “Depuis ce jour-là, la zone fut placée sous couvre-feu et quadrillée à jamais. Personne ne mit le pied sans présenter un laisser-passer”, conclut-il. D'autres batailles eurent lieu en dépit de ce blocus. On citera, selon des écrits laissés par un autre grand moudjahid, en l'occurrence Rekam Hocine dit “L'Hocine Oumahri”, une autre bataille du côté de Tafoughalt, le 18 mars 1959 et celle du 8 juin 1959. Aujourd'hui, le Carré des martyrs du 6 janvier surplombe l'actuel chef-lieu de commune d'Aït Yahia Moussa en quête d'un quelconque développement pour venir à bout du chômage qui ronge les héritiers de feu Krim Belkacem qui a paraphé les accords d'Evian le 19 mars 1962 en face des négociateurs de De Gaulle, notamment Louis Joxe auquel le “Lion des djebels” avait exigé l'indépendance de toute l'Algérie sans aucune concession, ne serait-ce qu'un pouce de ce vaste pays. O. GHILÈS