Dès que son avion décolla de Doha, le président Bouteflika s'est fendu d'un message assez appuyé à l'émir du Qatar. Ce dernier est pourtant devenu, en l'espace de deux jours, la “bête noire” de l'Autorité palestinienne. “Je note avec satisfaction que la réunion consultative de Doha entre plusieurs dirigeants arabes a été une précieuse opportunité participant d'une prise de conscience en accord avec les sentiments de colère et de condamnation exprimés par tous les peuples du monde et la nation arabe face à des crimes aussi abjects commis par Israël contre notre peuple palestinien”, écrit-il en direction du Cheikh Hamed ben Khalifa al Thani. Dithyrambique à l'égard de son hôte, le président algérien n'hésite pas à saluer les efforts de l'émir qatari “soutenus et sincères au profit des causes arabes et votre soutien honorable à la cause palestinienne, notre cause centrale”. En d'autres temps, le message présidentiel expédié à 10 000 mètres d'altitude dans le ciel du golfe Persique serait passé quasiment inaperçu. Coutumier de cette tradition postale aérienne, Bouteflika a néanmoins adressé un texte que l'Autorité palestinienne a décortiqué méticuleusement. Car, il faut se l'avouer, la participation de Bouteflika à Doha n'a pas été du goût de Mahmoud Abbas qui a snobé le sommet et a invectivé les pays qui y ont participé. Abou Mazen a, de ce fait, utilisé ses deux lieutenants. La première salve est venue de Yasser Abd Rabo, le secrétaire général de comité exécutif de l'OLP, qui a fustigé les participants à la rencontre de Doha. “Ni l'émir du Qatar, ni quiconque d'autre ne décident du sort du peuple palestinien (…) Si l'émir du Qatar a des objectifs qu'il veut atteindre en exploitant le sang qui coule à Gaza, cela le regarde”, conclut-il sèchement. La seconde mèche a été allumée par le secrétaire général de la présidence palestinienne Tayeb Abdelrahim : “Nous avons refusé de participer à cette réunion pour ne pas consacrer les divisions arabes (…) Un langage guerrier et des appels à rompre les relations avec Israël ont marqué les discours à la réunion. Celui qui lance de tels appels doit joindre l'acte à la parole, or il est bien connu que le Qatar entretient des relations avec Israël et abrite des bases militaires américaines.” L'attaque contre celui qui protège la chaîne Al-Jazeera, qui fait le jeu médiatique du Hamas dans la bande de Gaza, fait mouche. À l'issue du sommet, le Qatar, flanqué de la Mauritanie, décide de geler ses relations diplomatiques avec Israël. L'ombre d'Ahmadinejad Et l'Algérie dans tout ça ? La réponse vient de… Téhéran. En pleine crise de Gaza, le président iranien Ahmadinejad dépêche un émissaire à Bouteflika porteur d'un autre message : “Aussi, avons-nous chargé M. Hossein Dahkane, vice-président de la République et président de la fondation Chahid, d'expliquer à Votre Excellence, la position de la République islamique d'Iran et de procéder à un échange de vues sur les possibilités d'une coopération et des mesures communes à prendre.” Cette proximité algérienne avec l'Iran est la clé du positionnement diplomatique de Bouteflika. Surtout que dans la guerre menée contre les Palestiniens à gaza, c'est l'ombre d'Ahmadinejad qui retient l'attention aussi bien des Israéliens que des Américains. Depuis le début des bombardements israéliens, les observateurs politiques se perdent en conjectures sur le “silence” du président algérien. À quoi joue-t-il ? Quelle position tient Alger dans l'échiquier du Proche-Orient ? Àcette dernière question, certains sont tentés de répondre “aucune” surtout que les poids lourds que sont l'Egypte et l'Arabie Saoudite ont trusté les rôles de négociateurs et de médiateurs dans cette crise. Le Caire et Riyad ont repris, paradoxalement, des couleurs depuis que leurs capitales respectives sont devenues l'épicentre des tractations israélo-palestiniennes sur le cessez-le-feu. Mais il leur manque l'essentiel : maîtriser la donne iranienne, surtout que les deux puissances arabes sunnites sont les ennemis jurés du régime des Mollahs. “Les traîtres arabes devraient savoir que leur sort ne sera pas meilleur que celui des juifs dans la bataille d'Ahza”, s'exclame le guide suprême iranien l'ayatollah Ali Khamenei. L'avertissement est de taille de celui qui a donné sa “bénédiction” au Hamas palestinien. En attendant Obama De ce fait, Alger s'est retrouvé dans le camp des durs. Celui de Téhéran, de la direction de Khaled Mechaal, basée en Syrie et de Damas elle-même qui, comme son voisin iranien, compte sur les réseaux du président algérien pour entretenir les canaux de dialogue avec les… Américains. Car dans cette guerre sourde et souterraine, où la diplomatie des réseaux a remplacé celle des alliances, Alger a réussi à court-circuiter Le Caire qui, en guise de représailles politiques, interdit aux avions cargos militaires algériens d'acheminer les aides de la solidarité algérienne vers Gaza. Un petit message entre “frères” arabes. Car tout le monde attend ce que feront les Etats-Unis version Obama. Ce dernier a d'ailleurs clarifié sa politique iranienne en privilégiant le dialogue, pour le moment. Un changement de cap auquel se prépare Téhéran et son meilleur avocat, l'Algérie. Israël qui n'apprécie pas du tout qu'Alger occupe cette position stratégique dans l'après-Gaza qui se profile veut en finir avec le Hamas, afin de se consacrer entièrement à la menace iranienne. Et le début d'un dialogue quelconque n'intéresse pas le cabinet israélien qui a dans son dos une puissance régionale émergente qu'elle accuse d'être “atomique”. C'est pour toutes ces considérations que l'Algérie a basculé dans le camp des irréductibles au grand dam de l'Autorité palestinienne. D'ailleurs, juste après les déclarations incendiaires des porte flingues d'Abou Mazen, des députés algériens d'El-Islah n'ont pas hésité à demander au ministère des Affaires étrangères de convoquer… l'ambassadeur de la Palestine à Alger pour s'expliquer. Une première en Algérie. Il faut dire que sur le front intérieur, l'aile conservatrice du FLN, emmenée par Belkhadem, et le mouvement islamiste légaliste, de Soltani, poussent leurs pions pour faire du Hamas palestinien l'unique interlocuteur avec l'Algérie. Mais ceci relève davantage de notre cuisine interne. Mounir B.