Le sommet de Doha qui s'est transformé en front de refus en l'absence, provoquée, du quorum, a réussi là où la Ligue arabe de Amr Moussa a lamentablement échoué. La Mauritanie et le Qatar ont en effet décidé, séance tenante, depuis hier de suspendre leurs relations avec Israël pour protester contre la guerre contre Ghaza, qui entame sa quatrième semaine. Bien que cette réunion « informelle » de 12 chefs d'Etat et souverains arabes et musulmans n'ait pas eu l'estampille de la Ligue arabe, elle a tout de même donné lieu à des décisions inespérées face aux tirs groupés auxquels elle a dû faire face. Et ce furent surtout des tirs « amis » voire de « famille » en provenance du Caire, de Riyad et de la… Cisjordanie. Apprécions ce chef-d'œuvre de « solidarité » du secrétaire général de la présidence palestinienne Tayeb Abderrahim : « Un langage guerrier et des appels à rompre les relations avec Israël ont marqué les discours à la réunion (Doha). Celui qui lance de tels appels doit joindre l'acte à la parole, or il est bien connu que le Qatar entretient des relations avec Israël et abrite des bases militaires américaines. » Malheureusement pour ce lieutenant de Mahmoud Abbas, le Qatar a bel et bien joint l'acte à la parole au même titre que la Mauritanie. Le secrétaire général du comité exécutif de l'OLP, Yasser Abed Rabbo, eut lui aussi des mots très durs à l'égard de l'émirat du Qatar, coupable de vouloir prendre des décisions fermes. Des mots que ce dirigeant de l'OLP n'a curieusement pas osé prononcer contre les dirigeants d'Israël. « Ni l'émir du Qatar, ni quiconque d'autre ne décide du sort du peuple palestinien », a-t-il déclaré. Avant d'asséner que « si l'émir du Qatar a des objectifs qu'il veut atteindre en exploitant le sang qui coule à Ghaza, cela le regarde ! ». Il est clair que Ehud Olmert et ses collaborateurs ont beau jeu face à ces frères ennemis arabes qui s'entredéchirent. A quoi bon ordonner un cessez-le-feu quand les pays arabes supposés défendre la même cause se déclarent la guerre entre eux, devaient se dire les Israéliens. C'est que le tandem Egypte-Arabie Saoudite, allié inconditionnel des Etats-Unis et par voie de conséquence d'Israël, à leur corps défendant, font face à un autre front de refus constitué autour du Qatar, la Syrie, l'Algérie et l'Iran. Et chacun des deux camps relaye et appuie le discours et la méthode de l'une des deux factions palestiniennes aux options diamétralement opposées, le Hamas et le Fatah. L'initiative arabe est morte. L'Egypte, qui a tenté - avec un certain succès, il faut le dire - de torpiller la conférence de Doha, a dû constater hier les dégâts de son entreprise. Le négociateur israélien, Amos Gilad, a quitté hier le Caire comme il était venu, c'est-à-dire avec un refus franc du plan Moubarak que ce dernier devait brandir comme un trophée de guerre pour snober ses homologues réunis à Doha. Des sources diplomatiques révèlent que l'émissaire d'Ehud Barak a fait part du refus israélien d'une trêve d'un an proposée par le Hamas au médiateur égyptien. Le Caire devrait donc tenter une gymnastique diplomatique pour convaincre le Hamas d'accepter la trêve selon le paradigme israélien. Mais c'est d'ores et déjà peine perdue pour Moubarak et ses alliés. Khaled Machaâl, le chef du Hamas, a répliqué hier à partir de Doha que son mouvement « rejetait les conditions d'Israël à un cessez-le-feu », qui exigeait notamment la présence de forces de l'Autorité palestinienne au point de passage de Rafah avec l'Egypte. Pour Khaled Machaâl, une éventuelle trêve devrait passer nécessairement par « l'arrêt de l'agression (...), le retrait de Ghaza, la levée du blocus et l'ouverture de tous les points de passage, notamment celui de Rafah » à la frontière égyptienne. De fait, l'Egypte est en train de tenter de rapprocher des positions qui s'excluent mutuellement. Moubarak aura bien du mal à arracher plutôt à s'offrir un accord qui satisfasse à la fois le Hamas et Israël. En face, les conclavistes de Doha ont donné une dimension internationale à leur événement en y associant le président iranien Ahmadinejad, et Abdoulaye Wade, président de l'Organisation de la conférence islamique (OCI), mais surtout des représentants du Venezuela, de l'Indonésie et de la Turquie. Ce pôle diplomatique qui dépasse largement le cadre de la Ligue arabe pourrait induire le creusement de la tombe de l'organisation de Amr Moussa ou, tout au moins, précipiter son mode de fonctionnement très « égyptien ». Cela étant dit, il faudrait noter également ces autres décisions à mettre à l'actif de la réunion de Doha. A commencer par celle du président Bachar Al Assad qui a décidé « de suspendre sine die les négociations indirectes avec Israël », engagées par l'intermédiaire d'Ankara. Aussi, et c'est la plus importante, le dirigeant syrien a signé l'acte de décès de l'initiative de paix arabe de 2002. Celle-ci prévoyait notamment une normalisation des relations arabo-israéliennes en échange du retrait israélien des territoires arabes occupés depuis 1967. Le président syrien a prononcé hier une sorte d'oraison funèbre sur cette initiative qui tient à cœur tous ces pays déjà liés d'une manière ou d'une autre à Tel-Aviv. « Elle a (l'initiative) été tuée par Israël et on doit la considérer comme morte », a-t-il tranché. C'est donc le retour à la case départ et les Etats-Unis qui tirent les ficelles de cette division arabe pourraient « héliporter » une solution toute faite qui serait un cadeau d'investiture à Obama de la part d'Israël. Et les Arabes auront palabré pour rien.