Après le Maghreb des livres, Paris abrite actuellement le Maghreb des films. En effet, la capitale parisienne est à l'heure maghrébine et, surtout, algérienne. Vendredi dernier, il a été question de la projection de deux films algériens, à savoir Ayrouwen de Brahim Tsaki et Arezki l'indigène de Djamel Bendeddouche. Vendredi dernier, il a fait froid et humide à Paris et les Parisiens ont en tête les vacances scolaires qui débutaient le soir même. Les rues du haut du quartier Saint-Michel étaient vides. Les tables des nombreux restaurants de la rue Monsieur-le-Prince étaient achalandées. Le cinéma Les 3 Luxembourg était à quelques mètres de l'endroit où les “voltigeurs” de Pasqua assassinèrent brutalement Malek Oussekine. Ce festival Maghreb des films est déjà une revanche de l'histoire. Le film Ayrouwen, qui veut dire “il était une fois” en langue targuie, est la deuxième projection de l'après-midi. C'est une avant-première de la dernière œuvre de Brahim Tsaki, à qui l'on doit cinq longs métrages dont le majestueux Les enfants du vent. Le film, en langue targuie, raconte une histoire d'amour impossible entre un frère et une sœur de lait. Ayrouwen emprunte son rythme et le déroulé de l'histoire au conte. Un conte improbable où l'ambiguïté des situations, qu'elles soient amoureuses, sociales ou environnementales, tend à une narration des impossibles. Impossibilité d'un amour perturbé entre Nord et Sud, où le jeune homme targui, guide de son métier, fait cohabiter deux passions aux aires géographiques éloignées. À cette topographie de l'errance amoureuse est donnée à voir une écologie de l'abandon, une geste environnementale inexistante, réduite à sa portion congrue, illustrée par le ballet roulant des sacs de plastique qui balafrent l'immensité du désert. Un univers menacé par des prédateurs, aidé en cela par l'ignorance et la cupidité des autochtones. Ayrouwen se dégage de tout pessimisme et pourtant il a la faculté — et seulement celle-ci — de nous désespérer un peu. Si plaidoyer il y a, il est contenu dans ce bref échange entre le guide targui et son amoureuse française “notre mémoire est conservée chez vous et notre présent tend à l'être”. Les paysages sont insultants de beauté, rendant improbable, voire injurieuse la présence humaine. Le vent a beaucoup d'allure et d'à-propos dans les œuvres de Tsaki. C'est la rime incorporée dans son écriture filmique. Définitivement, Brahim Tsaki est un poète de l'image. Le second film projeté était Arezki l'indigène de Djamel Bendeddouche. Une longue fresque historique qui traite de la résistance kabyle à la fin du XIXe siècle, dans cette période charnière entre la révolte d'El Mokrani et la structuration du sentiment national. Le film est très documenté, écrit au plus près de la vérité historique, relatant des personnages vrais, qui ont réellement existé. La seule entorse à ce récit historique est l'incarnation par la journaliste, de la presse de l'époque (La Dépêche algérienne, le Courrier de Tizi Ouzou…) qui a couvert tous ces événements. Refusant de céder au manichéisme, qui peut naturellement empreindre ce type de travail, le cinéaste a insisté sur l'ordre colonial, le décrivant habilement au travers des autorités coloniales, des notables allégeants et des mécanismes de la colonisation (spoliation et confiscation des terres, mépris, humiliation, prélèvement de l'impôt…) et il a eu, par ailleurs, l'intelligence de décrire cette cohabitation spatiale, humaine et scolaire entre la population française et la population “indigène”. C'est une œuvre, sans aucun doute, pédagogique, humaniste, qui profiterait à bon nombre de nos jeunes, pour une introspection, sans haine, mais sans oubli, dans notre histoire nationale. M. A.