Chercheur au Laboratoire Bioénergie et Environnement au Centre de développement des énergies renouvelables, le Dr Majda Amina Aziza a accepté de tout nous dire sur les biocarburants. Elle a également confirmé que l'Algérie s'intéresse de près à ces carburants de substitut. Liberté : Quelles sont les principales plantes cultivées productrices de biocarburants ? Dr Majda Amina Aziza : Actuellement, la canne à sucre, le maïs, le blé, l'orge et la mélasse de betterave sont utilisés dans la production de bioéthanol (mélangé à l'essence). En revanche, le soja, le tournesol et l'huile de palme sont utilisés dans la production d'huiles végétales, carburants et de biodiesel. Il existe aussi des productions encore à petite échelle de biodiesel en Inde et dans quelques pays africains tels que le Mali, le Zimbabwe et le Niger. C'est à partir d'une plante non utilisée dans l'alimentation humaine, ni même animale, en raison de la toxicité des graines qu'il est produit (le biodiesel ndlr). Il s'agit du Jatropha appelée aussi Pourghère ou Tabanani. Cette plante nécessite quand même 400mm de pluviométrie, mais n'est pas très exigeante en termes d'engrais. Cependant des techniques ont été développées pour éliminer les substances toxiques des tourteaux issus du pressage des graines, afin qu'ils puissent être destinés à l'alimentation animale. Certaines cultures énergétiques non utilisées pour l'alimentation humaine et qui poussent d'une manière spontanée sont expérimentées pour la production de biocarburants, soit parce qu'elles contiennent du sucre, de l'amidon ou encore de la cellulose (transformés en alcool), soit parce que leurs graines ou autres parties de la plante contiennent un certain pourcentage d'huile (transformé en huile végétale carburant ou biodiesel). C'est le cas du cactus, de l'artichaut sauvage, du topinambour, de l'eucalyptus, de la canne de Provence… Avec la crise alimentaire qui sévit, il apparaît incongru de parler des biocarburants. Le rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation avait même déclaré à ce propos que leur fabrication “est un crime contre l'humanité”. Pourtant... C'est un grand débat en effet, qui restera toujours ouvert. Néanmoins, les biocarburants produits actuellement (bioéthanol et biodiesel) proviennent de produits alimentaires, tels que la canne à sucre, le maïs, le blé, l'orge, le soja, la betterave, le tournesol. Une production assez importante au Brésil et aux Etats-Unis, et dans quelques pays d'Europe. Une production qui a été déclenchée par les chocs pétroliers de la fin des années 1970, et qui par la suite a participé à la régulation des cours du sucre pour le Brésil et du blé pour les Etats Unis qui ont trouvé ainsi dans la voie des biocarburants, en plus d'une source d'énergie, un moyen d'écouler les excédents de production agricole. Cependant, les prix du blé, du maïs et du sucre ont augmenté, suite à une demande accrue due selon les économistes, en partie, à leur utilisation dans la production de biocarburants. Une reconversion des terres destinées à la culture de blé vers la culture de maïs a fait flamber le prix du blé. Les prix de l'huile végétale ont également augmenté du fait de leur utilisation croissante dans la production de biodiesel en Europe et aux Etats-Unis. De plus, ces cultures sont de grandes consommatrices d'eau et d'engrais, ce qui a posé un autre problème de disponibilité de terres et de ressources en eau. Ces envolées des prix ont lancé le débat sur le choix entre produits alimentaires et carburants qui amènent certains analystes à remettre en cause l'intérêt des biocarburants. Si les biocarburants sont une solution pour certains pays, leur production a cependant participé en partie à la crise alimentaire qui sévit et qui touche les pays les plus démunis, notamment en termes de production agricole. Cependant les besoins énergétiques ne sont pas les mêmes actuellement, et chaque pays est appelé à établir sa propre stratégie énergétique. Une stratégie qui dépendra des besoins, de la dépendance aux énergies fossiles, et des alternatives possibles. D'après les experts la production de biocarburants est appelée à augmenter encore pour pallier à une dépendance énergétique aux carburants d'origine fossile, et pour participer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dues au secteur du transport, quoique le bilan de réduction de ces émissions pour les biocarburants est positif mais le pourcentage de réduction d'émissions par rapport aux carburants d'origine fossile varie d'après les experts avec les méthodes d'évaluation de ce bilan, des méthodes nombreuses et assez controversées. D'ailleurs plusieurs autres pays tels que le Canada, la Chine, la Thaïlande, la Colombie, l'Inde, l'Australie, les Pays d'Amérique Centrale comptent s'investir dans la production de biocarburants. Les conséquences engendrées par l'évolution importante de la production des biocarburants ont incité le secteur de la recherche à proposer des alternatives à l'utilisation des denrées alimentaires pour la production de biocarburants. Il est question de l'utilisation de déchets et de cultures énergétiques non destinées à l'alimentation humaine, ainsi que de nouveaux procédés aboutissant à la production de biocarburants de deuxième génération, suite à l'hydrolyse de la cellulose, ou encore la transformation de la biomasse en carburant liquide dans des conditions de température et de pression particulières. Les chercheurs parlent de la cellulose comme molécule d'avenir pour la production de bioéthanol (mélangé actuellement à l'essence et produit essentiellement de canne à sucre). Elle est présente dans les déchets végétaux, agricoles, déchets de papeterie…Cependant le processus de transformation de cette matière en alcool n'est pas encore rentable du point de vue économique, les spécialistes estiment qu'il faut attendre encore dix ans pour que les biocarburants de deuxième génération soient compétitifs par rapport aux carburants d'origine fossile. Aujourd'hui la recherche, notamment en Algérie, plaide en faveur des biocarburants deuxième génération. Quel est votre avis en tant que chercheur au CDER ? L'Algérie est un pays situé dans une zone qualifiée d'aride et semi-aride, donc très vulnérable aux effets néfastes des changements climatiques, même si elle ne fait pas partie des pays pollueurs. Le recours aux biocarburants peut représenter une alternative intéressante et un moyen de participer à l'atténuation de l'effet de serre. Il n'est cependant pas question de recourir aux produits alimentaires tels que le blé ou le maïs pour les produire, l'alternative des déchets et des cultures non destinées à l'alimentation s'avère intéressante. Il est nécessaire par contre d'évaluer les impacts économique et environnemental d'une production de biocarburants qui dépendent étroitement de la matière première utilisée, du processus, des coproduits engendrés en parallèle et de l'utilisation proprement dite du biocarburant. Il reste certain que même s'ils deviennent compétitifs, ils ne remplaceront jamais complètement les carburants d'origine fossile mais pourraient participer efficacement au développement de zones nécessitant une source d'énergie décentralisée où toutes les conditions se prêtent à une telle activité telle que la disponibilité de la matière première et les possibilités de la transformer sur place. Les biocarburants de deuxième génération issus de la transformation de la cellulose, par hydrolyse (acide ou par utilisation d'enzymes) ou autres procédés (application d'une certaine température et pression), ainsi que l'utilisation des déchets pour la production de biocarburants semblent intéressants à développer. Surtout si l'amélioration des techniques d'utilisation de la biomasse cellulosique permet d'augmenter la compétitivité des biocarburants de deuxième génération. Ce sera possible une fois l'inventaire local de la biomasse et déchets valorisables en bioénergie correctement établis. Les mutations climatiques vont affecter des secteurs stratégiques clé, à savoir l'agriculture. Cela n'empêche pas les chercheurs algériens de penser aux cultures énergétiques non destinées à l'alimentation? Si l'on parle de cultures énergétiques non destinées à l'alimentation humaine pour la production de biocarburants en Algérie, il faut penser aux cultures dites spontanées, ou même cultivables sur des terres non destinées à l'agriculture “alimentaire”. Cela en excluant bien sûr les cultures destinées à l'alimentation du bétail et donc à la production de viande. Ces cultures éventuellement destinées à la production de biocarburants ne doivent pas être très exigeantes en eau ni en engrais, et pourraient pour certaines espèces participer à la lutte contre la désertification. Les biocarburants constituent-ils dans certains pays une réelle solution énergétique alternative ? En effet. Et c'est le cas du Brésil, un pays qui est très dépendant en énergie fossile et où la matière première (la canne à sucre) utilisée pour la production des biocarburants constitue déjà un excédent en termes de production notamment agricole. Dans ce cas, les biocarburants sont une solution oui, mais pas encore une alternative, puisqu'ils sont utilisés en ajout aux carburants d'origine fossile. Les experts brésiliens affirment, qu'actuellement, uniquement 1% de la production de la canne à sucre est destiné à la production de bioéthanol qui mélangé à l'essence arrive à couvrir les besoins du secteur du transport. Pourquoi ne remplaceront-ils jamais les énergies fossiles ? Ce qui est reproché aux biocarburants actuellement en termes de productivité, c'est un approvisionnement incertain en matières premières, qui pourrait ne pas être à l'échelle du marché. Leur contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre est prouvée, mais son importance dépend de la manière selon laquelle elle est évaluée. Elle est significative lorsque le biocarburant est utilisé à l'état pur et non mélangé à un carburant d'origine fossile, ce qui pose encore des problèmes techniques. De plus, l'écart de prix de revient hors taxes entre carburants d'origine fossile et biocarburants est économiquement non compétitif. Quelles sont actuellement les recherches en cours au CDER ? Il y a un vaste programme, mais ce qui est important à signaler ce sont les recherches en cours au CDER, concernant les biocarburants. Elles portent essentiellement sur la valorisation énergétique de la biomasse locale, de l'évaluation du potentiel local en biomasse et déchets valorisables, à la production du biocarburant. Le traitement de déchets pour la production de biogaz et bioéthanol, a fait l'objet d'expérimentations à l'échelle laboratoire, ainsi que la production de bio hydrogène à partir de micro algues. N. R.