“Ce n'est plus un rapide”, dira une dame, quand le train marque une troisième halte en pleine forêt, au milieu d'un relief inaccessible situé à l'est de la localité d'Oued Zeboudj, entre Khemis-Miliana et Boumedfaâ, à quelques mètres du plus long tunnel. Huit longues heures pour rallier Oran à partir d'Alger, marquées de peur et de fatigue. Telle est la durée du trajet effectué samedi après-midi par le train rapide assurant ladite desserte. Les centaines de passagers de ce train, qui s'est ébranlée à 15 heures de la gare l'Agha, ne sont pas près d'oublier ce qui s'est passé cet après-midi-là. Ces derniers semblent traumatisés lorsqu'ils ont appris dimanche aux environs de 14 heures, qu'un train de marchandises a déraillé près d'Oued Zeboudj suite à l'explosion d'une bombe artisanale. Pratiquement au même endroit où le train rapide d'Oran est tombé en panne la veille à 17 heures. En effet, tout a bien fonctionné au démarrage du train à partir de la gare l'Agha. L'horaire a été respecté à la seconde près, soit 15 heures exactes et, même à bord, la température est clémente, puisqu'à l'extérieur il faisait froid. Dès lors, le train s'ébranle et prend de la vitesse. Les passagers très à l'aise commencent à contempler le paysage pittoresque de la plaine de la Mitidja qui défilait des deux cotés des rails. Subitement, à quelques kilomètres de la ville des Oranges, la vitesse commence à diminuer et le train marque une première halte à la gare de Boufarik. Un arrêt qui n'est pas prévu, puisqu'il s'agit d'un train rapide. La seule escale prévue sur le trajet est à Chlef. Quelques minutes après, le rapide reprend le chemin à une vitesse plus lente que celle entamée à partir de la gare l'Agha. Ainsi, des questionnements et de commentaires fusent de partout dans les locomotives. Les voyageurs s'interrogent sur cet arrêt inattendu. Aucune réponse ne leur a été fournie. Même, les contrôleurs qui avaient entamé leur tournée de chasse aux clandestins ont été assaillis de questions à propos de cette halte, en vain. Même scénario avant l'arrivée à Blida, où le train marque un second arrêt et des voyageurs commencent à monter et d'autres à descendre. Après quelques minutes, le voyage reprend. “Tout est normal et il n'y a pas lieu de s'inquiéter”, dira le conducteur à une dame qui tentait de trouver une explication sur cet énième arrêt. “À ce rythme, ce n'est pas à dix-neuf heures que nous arriverons à Oran, ça sera sûrement à minuit .Ce n'est plus un rapide”, dira la même dame qui sortira de ses gonds quand le train marque une troisième halte en plein forêt, au milieu d'un relief inaccessible, situé à l'est de la localité d'Oued Zeboudj, entre Khemis-Miliana et Boumedfaâ, à quelques mètres du plus long tunnel. Il était alors dix-sept heures passé et sur place, nous apprenons qu'il s'agit bien d'une panne mécanique qui va immobiliser le train sur ce tronçon désert qui serpente dans une forêt dense qui fait rappeler aux voyageurs les attentats perpétrés par les groupes armés durant la décennie noire. Dès lors, un climat de peur, de doute et de panique s'empare des voyageurs, dont la majorité était perdue et ne comprenait rien au sujet de ces arrêts. Les plus curieux parmi les voyageurs sont vite descendus du train pour aller rejoindre la locomotive et en savoir plus sur l'origine de cette panne. Dans un premier temps, le conducteur et le mécanicien en blouse bleue ainsi que d'autres employés de la SNTF, qui étaient à bord du train depuis Alger, tentaient du mieux qu'ils pouvaient de déceler la panne, mais personne ne pouvait avancer une quelconque explication au sujet de cette panne “insolite”. “C'est un fusible qui a sauté”, dira le conducteur en réponse aux pressantes questions des voyageurs. Quelques instant plus tard il est relayé par un autre employé de la SNTF qui annonce “une fuite de gas-oil”. Et d'ajouter : “Patience, une deuxième locomotive sera là dans moins de dix minutes, elle vient de démarrer d'El Affroun”. Une demi-heure s'est déjà écoulée, le soleil commence à décliner et point de locomotive de dépannage ni d'éléments des services de sécurité pour rassurer les passagers, surtout les femmes qui ont perdu patience et dont certaines ont carrément éclaté en sanglot. Las d'attendre, certains passagers se sont rassemblés en groupes de 3 et 4 personnes et leurs divers commentaires allaient bon train. Quelques-uns ont profité de cet instant pour imputer ce laisser-aller au ministre des transports et à la direction générale des transports ferroviaires. “Tout ce que raconte le ministre est faux et contraire à la réalité du terrain. D'un côté, il parle de train électrique et de l'autre on circule encore avec des locomotives des années 1980”, dira un jeune homme impatient. Un peu plus loin, un autre adossé à un arbre, fulmine : “C'est de notre faute si on est arrivé là, car c'est nous qui acceptons de voyager dans ces trains, malgré les prix à 1 300 DA pour la première classe et 1 020 DA pour la deuxième, et qui ne correspondent pas aux prestations fournies”. De son côté, le mécanicien du train, lui aussi, gêné par les remarques des passagers qui le tenait comme le seul responsable de cette panne, révèle que la locomotive a été acquise en 2008. “Elle est neuve, mais, que voulez-vous qu'on fasse, cette machine ne cesse de rouler, elle ne s'arrête jamais et c'est normal qu'elle tombe en panne.” Pour détendre un tant soit peu ce climat de forte tension, le gérant du wagon-restaurant et une jeune hôtesse ont servi avec le sourire des boissons gratuites aux voyageurs et à leurs enfants. Malgré cela, tout le monde ne cessait de compter les longues minutes de retard, jusqu'à dix-huit heures où on a vu arriver enfin la locomotive en sifflant. Elle est aussitôt arrimée au dernier wagon, après la vérification des freins, le chef de train ordonne le départ. Et les voyageurs poussent un ouf de délivrance. A. BOUSMAHA