L'émergence des maladies les plus fréquentes dans le monde est liée presque directement à une alimentation déséquilibrée et surtout à une surconsommation de produits nocifs pour la santé. Les Algériens, qui ont adopté de nouvelles habitudes alimentaires avec l'avènement de l'économie de marché, sont exposés, de la même manière, à la prolifération des pathologies des temps modernes, dont l'obésité. Les pédiatres affirment qu'ils reçoivent de plus en plus de parents qui ramènent leurs enfants en consultation pour un problème d'excès de poids, alors qu'il y a à peine quelques années, ils étaient plutôt confrontés au phénomène de la malnutrition. “La malnutrition posait un important problème de santé publique qui a beaucoup régressé grâce à l'amélioration des conditions de vie. Cela dit, je parle de ce qu'on voit à Alger. La situation est peut-être différente ailleurs”, dit le Pr Khiari, chef de service pédiatrie au CHU Beni-Messous. Il se rappelle l'époque où deux à trois enfants, souffrant de diarrhées, de déshydratation et d'un gros déficit pondéral (effets de la malnutrition sévère), occupaient un même lit, dans son service. Pour dire que le phénomène était sérieux. À l'orée du deuxième millénaire, la tendance s'est renversée de manière assez spectaculaire. “Il y a actuellement émergence d'une pathologie nouvelle, qui était rare en Algérie, c'est-à-dire l'obésité. Elle n'est pas encore mesurée, mais la tendance est réelle. Il faut dire que nous sommes en phase de transition épidémiologique. Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas-là. Cela concerne les pays en voie de développement”, soutient le praticien. L'enquête menée par différents départements ministériels pour la mise au point du Plan d'action septennal de promotion des droits de l'enfant (2008-2015), présenté récemment par la ministre déléguée chargée de la Famille, Nouara Saadia Djaffâar, a révélé que le taux de malnutrition de la mère et de l'enfant à baissé de 7,2% en 2002 à 3,7% en 2006, avec un à deux points d'écart entre les villes et les villages. A contrario, l'étude susmentionnée signale que 9,3% de la population enfantine (moins de cinq ans) souffre de surpoids par rapport à la taille. Elle montre que la proportion est nettement plus élevée en zones urbaines, avoisinant les 10,5% contre 7,9% en régions rurales. Le Pr Khiari précise qu'au-delà des soucis de l'esthétique et de troubles psychologiques qu'il induit immanquablement, en particulier chez les adolescents et les jeunes adultes, l'excès du poids favorise le développement du diabète et des problèmes cardiaques et autres pathologies plus ou moins graves. D'où l'urgence de freiner le phénomène qui puise sa source principalement dans l'apparition de l'industrie alimentaire internationale, à l'avènement de l'économie de marché. “Le marché est inondé d'aliments prêts à l'emploi. La parabole et internet ont changé la culture culinaire des Algériens”, déclare le pédiatre. Souhila Tafiani, nutritionniste diététicienne au CHU de Bab El-Oued, met en cause les mauvaises habitudes alimentaires adoptées quasi systématiquement par les Algériens. “Les gens n'ont pas le temps de choisir quoi manger. Ils se réfèrent toujours aux fast-foods ou aux repas préparés.” Elle précise que les Algériens mangent mal et sont de surcroît devenus sédentaires. “Ils ne brûlent pas de calories et gardent dans leur corps tout ce qui est mauvais”, ajoute-t-elle. Elle explique que la consommation en excès des boissons gazeuses, des bonbons et des gâteaux provoque le diabète car ceux-ci contiennent une quantité de sucre supérieure à celle conseillée. Les frites, le ketchup et la mayonnaise sont responsables de l'obésité. Les acides gras transes, contenus dans beaucoup d'aliments à grande consommation, augmentent le niveau du cholestérol et provoquent l'hypertension artérielle. En somme, les erreurs alimentaires sont à l'origine de la prolifération de ce qui convient d'appeler les maladies du siècle, c'est-à-dire le diabète, l'hypertension artérielle et l'obésité, pour ne citer que les plus fréquentes. Pour la nutritionniste, il est impératif de se servir un petit déjeuner copieux pour éviter le creux de 10h qui incite au grignotage — gros ennemi du contrôle de poids —, de manger bien au déjeuner et de ne jamais dormir sans dîner qu'il faudra prendre plutôt léger. “Sauter un repas est mauvais, car la personne est alors exposée à une hypoglycémie et éprouvera, par conséquent, davantage son foie et son pancréas”, affirme-t-elle. Elle donne, néanmoins, une mention spéciale au carême du mois sacré. “La durée du ramadan est de 30 jours. C'est juste ce qu'il faut pour épurer le corps et lui permettre de révéler les maladies silencieuses. Il n'en demeure pas moins que des erreurs alimentaires sont commises pendant ce mois.” Pour Mme Tafiani, une alimentation équilibrée sous-entend manger au moins cinq légumes et fruits par jour, c'est-à-dire suivre une recommandation de l'OMS (Organisation mondiale de la santé). Elle assure que les fruits et les légumes renferment les vitamines et les sels minéraux indispensables dans la prévention contre les accidents cardiovasculaires et les cancers. Il est connu d'ailleurs que les agrumes, riches en antioxydants tels que les vitamines C et E, protègent contre les infections et les rhumes, très fréquents en hiver. Les viandes et le poisson sont de plus en plus rares dans les mets des ménages, à cause de leur cherté. Pourtant, ils combattent efficacement l'anémie. La nutritionniste focalise sur la nécessité de consommer le poisson, abondants en acides gras non saturés, grands protecteurs du muscle cardiaque. Les produits de la mer sont également “source de protéines au même titre que la viande mais leur meilleur atout est leur faible valeur calorique”, a-t-elle souligné. Sur un ton où se mêlait nostalgie et regret, Souhila Tafiani fait l'apologie de la cuisine traditionnelle et notamment des anciens modes de cuisson qu'elle dit meilleurs que ceux prévalant de nos jours. “Dans le passé, on consommait plus naturel et plus frais”, note-elle, en soulignant que les légumes vendus actuellement sont généralement, soit réfrigérés, soit congelés ou ayant été exposés démesurément sur les étalages. “Je ne dis pas que tout ce qui est congelé est mauvais, mais j'incrimine les mauvaises conditions de stockage et d'emmagasinement qui font perdre aux produits leurs valeurs nutritionnelles”, atteste notre interlocutrice. Elle évoque une enquête de la commission de la wilaya d'Alger qui a dévoilé que les gérants de beaucoup d'épiceries et de supérettes débranchent les frigos le soir à la fermeture. “Cette pratique est évidemment interdite car la chaîne de froid est ainsi rompue. Le pullulement de microbes est très importante dans l'aliment qui subit les variations de températures”, conclut-elle. S. H.