Une danseuse sortie de prison n'a que le mot vengeance à la bouche. Elle accuse des gens qui représentent la réussite sociale et veut écrire ses mémoires pour faire triompher la vérité. Mais qui va croire une délinquante… Une femme souillée, humiliée et trahie ? C'est de ces questions et d'autres dont traite la pièce El Ghoutia, en 1 heure 30 environ de spectacle. Le Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi a abrité, le week-end dernier, trois représentations consécutives de la pièce El Ghoutia, une de ses productions de l'année 2008, mise en scène par Mohamed Abbas Islam (également comédien) et écrite par Hocine Tayleb. El Ghoutia raconte l'histoire d'une danseuse qui a flirté avec la politique, qui a été trahie par ses maris et qui s'est retrouvée en prison. À sa sortie, elle retourne chez elle, ne trouve que son échanson qui lui est resté fidèle et prend la décision de se venger. Sa vengeance, elle l'accomplira par le biais de l'écriture. En effet, El Ghoutia décide d'écrire ses mémoires mais étant elle-même analphabète, elle propose à un journaliste paparazzi de réhabiliter son image et sa réputation à travers sa plume à lui. Afin de tourner définitivement la page de son passé honteux, El Ghoutia veut laisser une preuve écrite d'une existence ponctuée par des trahisons, d'arrivisme, d'ambition et de plaisirs. Imposante, dominatrice, tyrannique et intransigeante, El Ghoutia a fait fuir tous les hommes qui l'ont épousée. Mais ce n'est pas seulement pour cela que tous ses maris ont fui. Ils l'ont trahie parce qu'ils ont préféré l'argent et le pouvoir. Apprenant le retour d'El Ghoutia, deux d'entre eux, qui étaient également dans son orchestre, demandent à la voir pour la dissuader d'écrire ses mémoires… Le rôle du premier mari campé par Djamel Guermi (également assistant metteur en scène dans la pièce) est celui d'un traître arriviste qui prend peur de la perte de ses privilèges et de sa place acquise à coups de bassesses. Quant au second mari, il se réfugie dans la religion. Le propos de la pièce tourne autour de la restitution de la mémoire. En fait, il est question dans El Ghoutia de la difficulté pour l'individu d'oublier, lorsque le bourreau et/ou la personne qui a nous a fait du mal, vit toujours, existe toujours et évolue dans le même contexte social. Parfois même, ces bourreaux sont valorisés plus que les victimes elles-mêmes. Toutefois, la pièce a été traversée par beaucoup de moments difficiles, notamment l'exagération dans le jeu et le texte. En effet, la pièce est très vulgaire, mais cette vulgarité que l'équipe de la pièce tente d'expliquer comme étant une subversion et une manière de casser les tabous, n'est malheureusement pas justifiée. La vulgarité dans El Ghoutia n'est pas artistique, elle est seulement une manière de remplir les vides et la légèreté du texte. Ce dernier n'est pas maîtrisé non plus et va souvent dans tous les sens, certainement parce que son auteur, Hocine Tayleb, a voulu dire beaucoup de choses à la fois. Nous avons constaté également, ces derniers temps, que le théâtre utilise de plus en plus la figure de l'échanson à savoir, celle du valet aux manières efféminées. Par ailleurs, le jeu des comédiens va dans tous les sens et la comédienne principale, Mounira Nouara, n'a ni la présence ni le charisme pour interpréter un rôle aussi important que celui d'El Ghoutia. Bien que le propos de la pièce se perd, le spectateur apprend une leçon très importante à savoir, le pardon n'implique pas l'oubli, la vengeance mène à la haine, la mémoire ne peut être préservée que par l'écriture, et la plume fait peur à tout le monde, même à ceux qui se sont installés dans les mots. Sara Kharfi