Metteur en scène contemporain, le Français Dominique Lurcel a puisé dans les archives de sa famille pour mettre à nu la honte de ce qui était perçu naguère comme la fierté de la France coloniale. Dans l'héritage légué par son grand-père maternel, ancien haut fonctionnaire de la ville de Paris et historiographe, il a retrouvé un trésor formé par deux ouvrages de 900 pages. Le grand-père y notait avec un souci du détail des comptes rendus consacrés à la célébration du centenaire de la conquête de l'Algérie. Un immense faste a été déployé pour dire l'attachement de l'empire à son joyau. Un siècle après la prise d'Alger, on voit une France fière de cette conquête, loin de s'imaginer ce qui allait lui arriver 25 ans après. Le discours colonial, tel que diffusé par des romans, brochures, cartes postales, films et expositions, n'est que mensonge, déni de la réalité. “Les grands soldats de l'armée d'Afrique ont réalisé en Algérie non pas la conquête brutale du sol par les armes, mais la conquête progressive des populations indigènes, grâce à leur justice, à leur bienveillance et à leur générosité. Ils ont dû souvent employer la force, mais après avoir usé de tous les moyens de conciliation. Leur œuvre a été constructive ; elle a établi la paix, la prospérité et le bonheur, dans un pays désolé par les luttes intestines, l'insécurité et la misère”, peut-on lire sous la plume d'un historien. Le metteur en scène note qu'avec l'Exposition de 1931 “tout est fait pour encenser l'entreprise coloniale, en évacuant sciemment toutes les zones d'ombre (un tiers de la population massacré)”. Sous l'œil de Dominique Lurcel, “les textes révèlent autre chose que ce qu'ils veulent transmettre et se retournent contre leurs auteurs, condamnant définitivement l'entreprise coloniale qu'ils portent aux nues”. Avec la compagnie Les Passeurs de mémoire, Dominique Lurcel compose des tableaux successifs sur fond de fresques et sur un plateau tournant. Cela commence par un instituteur qui fait la leçon sur les bienfaits de la colonisation. Le metteur en scène laisse se dérouler l'Histoire sans porter de jugement. Tout ce qui est prononcé par les dix comédiens a été réellement prononcé par des colons bien sûr mais aussi par des militaires, des hommes politiques, des écrivains. L'Arabe est ainsi une figure des races inférieures dont on appelle à l'anéantissement “pour purifier l'humanité”. Jusqu'à 1948, l'Arabe est présenté par le dictionnaire Larousse comme “une race batailleuse, superstitieuse et pillarde”. Un pied-noir décrivant un Algérien voit “un Arabe, mais habillé comme une personne”. Edifiant. Au final, la barbarie apparaît bien dans le camp qui est le sien. Folies coloniales est à voir à la grande Halle de la Villette à Paris jusqu'au 28 mars. A. O.