Alors que la campagne électorale est lancée, Batna n'a pas encore mis son horloge à l'heure de la présidentielle. La capitale des Aurès semble rechigner à se parer de ses beaux atours pour accueillir dans le faste cet événement capital. La capitale des Aurès est complètement engloutie dans le tourbillon du train-train quotidien comme si rien de particulier ne se profilait à l'horizon. Et les signes extérieurs (les affiches, les portraits des candidats, les banderoles…) témoignant de l'approche du grand rendez-vous électoral sont peu visibles dans les boulevards et ruelles de cette grande ville de l'est du pays. Il est vrai qu'au centre-ville, au cœur des allées Benboulaïd, face au buste du héros révolutionnaire du même nom, des drapeaux et portraits du président de la République ornent les murs de deux villas (l'une est le QJ de la direction de campagne du candidat Abdelaziz Bouteflika et l'autre abrite la permanence de parlementaires du FLN). Les mêmes drapeaux et portraits tapissent le mur donnant sur la grand-rue du siège du parti de Abdelaziz Belkhadem qui, en cette période électorale, ne grouille pas de militants. Bref, pour user du jargon footballistique, Batna n'est pas encore entrée dans le match de la présidentielle. C'est une donnée consacrée dans la sociologie électorale du pays pourtant : Batna a toujours figuré dans le peloton de tête des wilayas où l'on vote le plus. À quoi est dû ce peu d'enthousiasme des Batnéens pour cet événement crucial comme l'élection présidentielle qui, par le passé, les a toujours emballés ? Est-ce la baisse sensible de la température ces derniers jours qui a refroidi l'enthousiasme légendaire des Chaouis ? Pour certains observateurs avertis, comme c'est le cas dans les autres régions du pays, les conditions de vie difficiles de larges couches de la population de Batna sont pour beaucoup dans cette absence de fièvre électorale. “L'indifférence est totale à Batna. Les gens en ont marre. Le peuple n'est pas très chaud pour cette élection”, assure un employé de bureau. Le même constat est relevé par un enseignant universitaire qui assure mi-sérieux mi-plaisantin qu' “il n'y a pas d'élections”. Et d'analyser : “Ici, on est complètement déphasé. L'Algérie mérite mieux que cette kermesse. C'est toujours les mêmes personnes qui s'agitent, c'est-à-dire celles qui courent derrière les postes pour se sucrer. Quant aux petites gens, elles ne sont pas très chaudes. Les gens sont beaucoup plus préoccupés par la vie chère et le pouvoir d'achat qui a accusé une baisse de 20%. Ils savent que voter ou non ne changera rien à leur situation”. Lui en tout cas, il dit ne rien attendre de cette élection. La raison ? “Il n'y a pas d'alternance donc il n'y a pas d'espoir. C'est le même personnel qui défile à la tête de l'Etat depuis longtemps”, explique-t-il. Ce sont ces convictions politiques qu'un membre de l'association Aurès El Kahina a brandies pour justifier son refus d'aller voter. “Je suis démocrate, donc je boycotte. Au soir du 9 avril, il n'y a pas l'ombre d'un doute que Bouteflika succédera à lui-même”, prédit-il. Taux de participation, la grande bataille Le taux de participation reste la plus grande inconnue. Chacun y va de ses prévisions. Certains jurent leurs grands dieux que les Batnéens ne se rendront pas massivement aux urnes . “La participation ne sera pas aussi conséquente que lors des élections précédentes. Les gens sont complètement coupés des élections. Et la campagne tapageuse menée par l'administration ne chargera rien à la donne”, estime un journaliste local. “La majorité de la population de Batna rejette cette élection. Ils savent que ça ne sert à rien d'aller voter puisque Bouteflika succédera à lui-même. Nous concernant, on va faire un boycott de proximité”, souligne, pour sa part, M. Merchiche, président du bureau régional du RCD. Les partisans du président Bouteflika, eux, ne l'entendent pas de cette oreille et croient dur comme fer que la population de Batna ne tournera pas le dos aux élections. “Nous avons une grande confiance en notre population connue pour son attachement viscéral à son passé historique. Les Aurès ne lâcheront pas leur fils (Bouteflika, ndlr)”, assure M. Djebbar du FLN. Et M. Zereg d'appuyer : “Batna est une wilaya qui a toujours répondu présent dans les grands moments qui ont jalonné la vie de la Nation. Nous nous attendons à ce que le taux de participation ici à Batna soit parmi les plus élevés du pays”. À mi-chemin entre les deux extrêmes, les partisans de Louisa Hanoune et ceux de Touati estiment que la participation sera moyenne. “À mon avis, ça va dépasser les 50%. Car cette fois-ci, la société civile comme l'administration se sont investies totalement pour sensibiliser les citoyens à la nécessité de voter”, estime M. Benahmed du FNA. M. Allouache du PT remarque : “Pour être franc, nous ne nous attendons pas à un grand taux de participation. Mais nous ferons tout pour convaincre les gens à voter”. Les raisons de cette tiédeur ? “La perte de confiance du citoyen à l'égard de l'Etat et la dégradation des conditions de vie de la population”, de l'avis de notre interlocuteur. Et le refus de Zeroual de s'engager dans l'élection présidentielle aurait-il un quelconque impact sur le comportement électoral des citoyens de Batna ? Toutes les parties se sont accordées à répondre par la négative même si Zeroual jouit d'un respect immense. “Il a quitté le pouvoir comme il est entré : propre. Nous sommes bien réconfortés qu'il ne soit pas candidat”, assure Mme Djamila Zeroual du PT, nièce de l'ex-président de la République. Mais que font les disciples des différents candidats à la veille du lancement officiel de la campagne électorale ? Permanence de Bouteflika : travail de fourmi pour le quadrillage de la région. Incontestablement, les partisans de Bouteflika ont une belle longueur d'avance sur leurs adversaires. Ils opèrent en terrain quasi conquis. Il est vrai qu'ils disposent de plus de moyens que les autres. Chapeautée par le recteur de l'université de Batna, la direction de campagne du candidat Bouteflika s'est offerte deux somptueuses villas : l'une est au centre-ville et l'autre dans la rue des Abattoirs, à quelques pas seulement de la maison de… Liamine Zeroual. Rencontré dans son bureau au siège de la rue des Abattoirs, M. Zereg, affable, sûr de lui est d'un optimisme tranquille. Il assure que la précampagne électorale “se présente dans les meilleures conditions”. Et pour cause, des permanences électorales sont implantées aux quatre coins de la wilaya. Mieux. À Batna-ville, pas moins de 4 permanences sont ouvertes dont une pour les étudiants en attendant celle des femmes. “Après avoir mis en place les structures nécessaires à la bonne prise en charge de la campagne de notre candidat, nous nous attelons maintenant au travail de sensibilisation. D'ailleurs, une réunion a été tenue avec les représentants des partis, des organisations de masse, des associations et même ceux des deux clubs locaux, le MSPB et le CAB. Notre programme est basé sur le travail de terrain”, assure-t-il. Pour M. Zereg, la popularité de Bouteflika est toujours intacte à Batna. La preuve ? “Nous avons réussi à collecter quelque 53 000 signatures sans compter celles des partis et des organisations de masse. On n'est devancé que par Alger”, se réjouit-il. Pour ce qui est de la campagne électorale, elle sera axée sur le bilan et les réalisations du président Bouteflika durant ses deux mandats. En 10 ans, Batna a bénéficié d'une enveloppe de 160 000 milliards de centimes. Le fameux aveu de Bouteflika quant à l'échec de sa politique économique fait l'été dernier devant les walis n'est-il pas de nature à gêner ses partisans lors de la campagne électorale ? “Bien au contraire. Ce genre de déclarations rehausse son image. C'est à mettre sur le compte de l'objectivité que doit avoir tout responsable. Ça ne sert à rien de taire les choses qui ne vont pas bien et verser dans la démagogie”, rétorque M. Zereg. Partisans de Louisa Hanoune : grands espoirs et moyens dérisoires Les cadres du Parti des travailleurs (PT) comptent beaucoup sur l'aura de leur candidate et le volontarisme politique de leurs militants pour consolider la percée réalisée par le parti lors des dernières élections où ils ont réussi à décrocher 31 sièges et 2 APC. Il reste que les moyens dont ils disposent pour tenir la dragée haute à des concurrents comme Bouteflika sont à la limite du rudimentaire. Pour preuve, ce n'est que le jour de l'installation du directeur de campagne de leur candidate qu'ils ont songé à louer un siège. Mais cette donne est loin de décourager Amar Allouache, premier responsable du PT à Batna, et ses camarades. Les 4 000 signatures glanées lors de la campagne de souscription les motivent beaucoup. “Nous allons faire une campagne de sensibilisation pour convaincre les gens à aller voter et barrer la route à ceux qui ont l'habitude de triturer les suffrages des citoyens. Nous allons sillonner toutes les communes de la wilaya pour mener une campagne de proximité”, promet M. Allouache. Leur campagne électorale, M. Allouache et ses pairs vont l'axer sur le programme électoral de la candidate mais aussi sur celui du parti (la souveraineté nationale, le secteur public…). Les chances de Louisa Hanoune de gagner les suffrages des Batnéens ? “Nous avons bon espoir. Le PT dispose ici à Batna d'une véritable assise militante. La preuve en est qu'à notre première participation nous avons réussi à gagner plusieurs sièges”, répond M. Allouache. Le FNA espère consolider sa victoire aux dernières élections locales La belle victoire remportée lors des dernières élections a comme donné des ailes aux cadres du Front national algérien (FNA) qui croient dur comme fer que cette fois-ci encore, ils ne manqueront pas de surprendre. Le parti de Moussa Touati compte pas moins de 102 élus APC et aux assemblées locales, 11 APC, 11 autres à l'APW avec en prime un vice-président. Ils ont remporté 11 communes sur les 46 où ils sont entrés en lice. Ils sont convaincus cette fois-ci encore qu'ils créeront la surprise. Et lors de la collecte des souscriptions en faveur de la candidature de leur président, ils ont réussi une belle moisson : 2 543 signatures de citoyens et 98 autres d'élus. “Lors des précédentes élections, nous avons réussi à organiser un meeting qui a impressionné même les partis ancrés dans la région comme le FLN. Batna est la wilaya qui a le plus d'élus FNA sur tout le territoire national”, s'enorgueillit Abdelamadjid Ben Ahmed, responsable du bureau de wilaya du parti. Il vient juste de procéder à la restructuration de son parti au niveau des communes pour être d'attaque le jour J.Comme le PT, M. Benahmed est à la recherche d'un siège pour abriter le bureau de campagne du candidat Touati. Une campagne de sensibilisation sera menée au niveau de toutes les daïras. “Notre programme est basé sur le pragmatisme. Nous refusons de promettre monts et merveilles. Nous nous concentrons sur le meeting qui sera animé par notre candidat”, assure M. Benahmed. Pour ce qui est du risque de fraude, les cadres du FNA refusent de faire dès à présent “des procès d'intention”. “Nous serons dans tous les bureaux de vote pour limiter la fraude comme ça a été le cas lors des élections précédentes. Mais toutes les parties doivent unir leurs efforts”, jure M. Benahmed. En attendant, il fallait d'abord gagner la mère des batailles : convaincre la population d'aller voter. A. C.