C'est un trait de caractère bien trempé dans l'Hexagone : les Français adorent leur nombril et les cocoricos qui vont avec, mais par-dessus tout, les premiers rôles quand il leur arrive d'assurer eux-mêmes la distribution, quitte à modifier le scénario si cela était nécessaire. Il est peut-être temps de modifier le casting, du moins en ce qui nous concerne, car l'histoire de notre pays a été très mal véhiculée à l'école Jules Ferry. Et bourrée d'inepties en plus. Entre autres que nos ancêtres étaient des Gaulois. Dans les manuels concoctés par Fernand Nathan et dont nous ânonnions les leçons à longueur d'année, les premiers colons qui débarquèrent en Oranie ne trouvèrent qu'un territoire truffé de marécages insalubres, en plus de quelques mousquetons pointés sur eux et décidés à leur faire la peau. Pour les mousquetons, on les comprend ces braves immigrants. Mais, sauf erreur de notre part, il n'est pas dans notre tradition d'accueillir des fermiers venus occuper nos terres, par des danseuses vahinées et rythme de karkabou au bord des lagons. (Et d'abord, on n'a pas de lagons. Bon bref…) Quant aux marécages qu'ils prétendent avoir asséchés pouce après pouce, les indigènes étant apparemment tous manchots et culs-de jatte, qu'on nous explique alors par quel miracle cette population de handicapés a pu échapper au malaria jusque-là ? La vérité doit être dissipée. La vérité est qu'il n'y avait ni marée haute sur le plateau d'Oran, ni marécage, ni marais salant ni même “marée Brizzard”, comme dirait l'autre… mais des jardins opulents, luxuriants. Selon les récits de nombreux voyageurs à l'époque, 3 400 foyers, 16 medersas en plus des services d'un cadi vivaient dans la ville. Deux rivières à fort étiage la traversaient de part en part. Sur les bords de l'oued R'hi, c'est-à-dire l'oued des meuniers, on faisait moudre le grain de toute la région. Sur celui de l'oued El-Djerraya, on fabriquait la chaux (el djir) pour l'arrière-pays. Ces cours d'eau, sur lesquels l'occupant a bâti les plus grands édifices de sa souveraineté comme l'Echo d'Oran, la mairie et l'opéra, n'ont pas disparu pour autant. Pire.Ils rongent jour après jour les soubassements qui les ont étouffés. On peut abuser l'histoire mais jamais la géographie. M. H.