Des jeunes, torse nu, sont déjà dans l'eau en dépit de la fraîcheur matinale. Ils guettent les poissons sans vie qui surnagent sur les flots impétueux. Et dès qu'un banc de poissons arrive à leur niveau, ils se jettent dans le cours d'eau et repêchent, chacun une carpe qui le dépasse en taille. Une véritable catastrophe naturelle est en train de se produire en aval du barrage de Beni Haroun dans la wilaya de Mila. Les lâchers d'eau effectués depuis lundi dernier par l'ANBT provoquent la mort d'une importante partie de la faune lacustre. L'ouverture des vannes pour évacuer le surplus d'eau du lac, généré par les récentes précipitations, occasionne actuellement la chute mortelle de plusieurs milliers de ces gros poissons d'eau douce, des carpes royales et des carpes argentées, constituant l'essentiel de la population de la retenue d'eau de Beni Haroun. Entraînés par des chutes d'eau d'une hauteur de près de 100 mètres, les pauvres bêtes finissent par s'écraser lourdement sur les écueils qui émergent au pied de la digue où elles s'éventrent piteusement. Ce sont des milliers de sujets, dont le poids varie de 20 à 40 kg qui sont ainsi massacrés depuis plusieurs jours. Une vraie coupe sombre ! Une fois morts, ces poissons sont emportés par les flots d'Oued El-Kébir, qui coule en aval du barrage. La plupart de ces cadavres seront interceptés, à une encablure de là, par les riverains qui descendent désormais en nombre sur les rives du cours d'eau, mais beaucoup de poissons aussi finiront par se décomposer au milieu de la végétation exubérante, sur les bords de l'oued. Alertés par la rumeur faisant état de ce massacre, nous nous sommes rendus sur les lieux, jeudi dernier. Notre première halte a été la localité de Lamaâzel, à environ 300 mètres en aval de la digue du barrage. Malgré l'heure matinale, environ 9h, une multitude de gens venus des nombreuses localités de la région était là, à repêcher les poissons morts. Un vrai souk ! Le pont construit en contrebas de l'agglomération de Lamaâzel grouille de monde et sur les berges du cours d'eau, on n'avait pas où placer un pied ! Des jeunes, torse nu, sont déjà dans l'eau en dépit de la fraîcheur matinale. Ils guettent les poissons sans vie qui surnagent sur les flots impétueux. Et dès qu'un banc de poissons arrive à leur niveau, ils se jettent dans le cours d'eau et repêchent, chacun une carpe qui le dépasse en taille. Ces poissons sont ensuite emportées à pleins bras sur la rive, où des enfants se chargeront de les monter sur le pont pour les exposer à la vente aux automobilistes. Une activité incessante ! Les poissons continuent d'affluer par bancs, les plongeurs les interceptent au bon moment, une poignée de secondes après, on les retrouve tristement entassés sur la route. Un jeune habitué des lieux, Nabil, âgé de 24 ans, affirme que lundi et mardi passés le nombre de poissons charriés par les flots était beaucoup plus important. “Ils arrivaient morts ou blessés par dizaines, voire davantage”, nous dira-t-il. Béni Marouf… l'ultime voyage Plus loin, à Hammam Beni Haroun, c'est le même spectacle. Une foule est là, le long du cours d'eau, affairée à repêcher des carpes. Sur la route de la corniche qui surplombe la source thermale, des tas de gros poissons sont exposés à la vente. Ils sont cédés entre 600 et 1 000DA, suivant le gabarit. Certains sujets, fraîchement repêchés remuent encore, d'autres, inertes, sentent déjà la décomposition et, partout, une odeur forte de poisson imprègne l'atmosphère. On se serait cru dans le voisinage de quelque poissonnerie! Nous avons poussé notre randonnée jusque dans la wilaya de Jijel, toute proche, pour mieux mesurer l'ampleur de la catastrophe. À oued Raf Raf, dans la commune de Sidi Maârouf, le spectacle n'est pas différent. Une dizaine de riverains sont là. Les pantalons retroussés, ils attendent, au milieu des flots, l'arrivée des rares poissons qui échappent à la vigilance de leurs homologues à Hammam Beni Haroun et à Lamaâzel. Là, un jeune berger, qui abandonne maintenant son troupeau sur les reliefs pour s'occuper de la pêche, affirme avoir capturé, depuis lundi, de belles pièces qu'il a vendues aux usagers de la RN27. D'ailleurs, à notre arrivée, vers les coups de 11 heures, de belles prises ont été réalisées déjà : plus de 10 carpes étaient proposées aux automobilistes. Il est à souligner que cette situation n'est pas la première du genre. Elle se reproduit, en effet, à chaque fois qu'il y a un lâcher d'eau. Seulement, cette fois, on a enregistré un massacre autrement plus grand dans la faune lacustre en raison du prolongement de la durée du présent lâcher d'eau. De retour, vers 13 heures, on a eu droit, tout au long de notre parcours, sur 25 km, à ce hideux spectacle de tas de gros poissons, sentant fort, étalés sur les routes, depuis Sidi Maârouf, dans la wilaya de Jijel, jusqu'à Ferdoua, à un jet de pierre de la ville de Mila, où l'on a trouvé une belle carpe d'une vingtaine de kilos jetée dans une décharge sauvage ! Signalons, enfin, que ces poissons ont été importés, en 2006, de Hongrie et lâchés dans les eaux de Beni Haroun en vue de leur peuplement en poissons d'eau douce. Kamel Bouabdellah